Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
91318 juin 2006 — Le 15 juin devait être décisif et triomphal. Ce ne fut ni l’un ni l’autre. Une rencontre à haut niveau entre Britanniques et Américains devait sceller dans les détails techniques l’accord politique Blair-Bush du 26 mai sur le transfert de technologies et de maîtrise (USA vers UK) dans le programme JSF. On a convenu qu’on en reparlerait et qu’on se reverrait.
Quelques détails qui ne soulèvent pas vraiment l’enthousiasme, selon Reuters, juste après la rencontre du 15 juin entre Gordon England (USA) et Bill Jeffrey (UK) :
« U.S. Deputy Defense Secretary Gordon England and his British counterpart, Bill Jeffrey, will continue their technology-transfer talks this summer, said Kevin Wensing, an England spokesman, after the two leaders met on Thursday.
» “More time needed, but no snag,” Wensing said in an e-mailed reply to a query from Reuters.
» A British embassy spokesman, Steve Atkins, said England and Jeffrey acknowledged the “good work” toward a deal “in a technically complex area.” They agreed “to take stock again in a month or so's time,” he said. »
On a un peu plus de détails, non sur la rencontre mais sur le désagrément, d’après un texte de Inside Defense, publié par le site “Military.com”. Le texte est daté (mis en ligne) du 16 juin mais il est écrit avant la rencontre comme on le comprend aussitôt. Il n’en est pas moins intéressant, d’autant qu’il annonce l’échec de la rencontre.
« Tomorrow's scheduled meeting at the Pentagon between U.S. Deputy Defense Secretary Gordon England and Bill Jeffrey, the U.K. Defence Ministry's permanent secretary, was intended to produce a “statement of principles” to facilitate sharing technologies and secrets with Britain to give it means to maintain and upgrade its notional JSF fleet independent of the United States.
» That agreement, however, is not likely to be reached this week. Sources involved in the negotiations — who were granted anonymity because they were not authorized to speak publicly about the ongoing deliberations — said the discussions on the statement of principles broke down earlier this week.
» One Pentagon official, apparently seeking to dampen hopes for the outcome of the England-Jeffrey appointment, said, “We have no expectations one way or another about tomorrow's meeting.”
» Another official expressed confidence the two sides, with more time, will resolve the outstanding differences, noting that the June 15 date was simply a target by which both nations hoped to conclude an accord. “I'm not despairing that we're not going to come up with an agreement,” said the official.
» At issue, sources said, are four technology areas that British would like greater access too than the Defense Department, at this juncture, is prepared to made available. The Ministry of Defence is interested in securing access to technologies that will enable it to maintain its aircraft without relying on the United States of U.S. defense contractors. Officials involved in the discussions declined to identify the areas.
» Defense and aviation analysts, however, said sticking points are likely British access to: low-observable — or stealth — technology; the software source code underpinning the aircraft whose operations are driven by immense computing power; details of the flight control software; and a possible agreement for follow-on development of aftermarket capabilities that British defense industry could manufacture and market around the world. »
La saga-JSF se poursuit, avec au centre les special relationships. En attendant et pour faire bonne figure, les partenaires, y compris les Britanniques et les Américains, ont signé un “accord de principe” sur un “plan à long terme” où chacun exprime ses intentions d’achat du JSF. Selon Reuters : « The United States and eight partners have agreed in principle to a long-term plan for Lockheed Martin Corp.'s $276 billion F-35 Joint Strike Fighter jet, the costliest weapons program ever, a Pentagon official said on Thursday. [...] Included in a draft pact reached last week were statements of intent by the non-U.S. countries, including Britain, to buy a total of 710 radar-evading F-35s, said Kathy Crawford, a spokeswoman for the Pentagon program office. “It's one step closer to finalizing partnerships that will last 40 years or more,” she said. »
In illo tempore, un tel “accord de principe” aurait été perçu comme un filet (américaniste) se resserrant un peu plus sur les coopérants non-US pour verrouiller leur engagement dans le programme. Dans le contexte de la bagarre USA-UK, cet “accord de principe” paraît plutôt pathétique. Il n’engage personne à rien et il apparaît pour ce qu’il est : une affirmation de principe pour tenter d’écarter la mauvaise impression générale sur le sort du programme de coopération. Avec la proximité chronologique de l’échec de la rencontre du 15 juin, il aboutit plutôt à l’inverse de l’effet recherché ; il met, par son caractère artificiel et convenu, d’autant plus en lumière les difficultés considérables qui existent sur la voie d’un accord définitif. Tout le monde est d’accord pour commander le JSF (on le sait depuis 2002) mais à des conditions si différentes selon les partenaires (c’est la nouveauté pour 2006) qu’on peut se demander si les bonnes intentions pourront se concrétiser. (En l’espèce, tout le monde comprend que la suite du programme est suspendue à l’accord USA-UK.) Nous dirions au bout du compte que cet “accord de principe” relevant des relations publiques traduirait plus la très forte inquiétude générale chez les divers partenaires, et notamment chez les Américains, qu’il ne nous rassurerait.
Le commentaire d’un expert très intéressé dans cette affaire, Pierre Chao du CSIS, co-signataire d’un texte très intéressant dans le Financial Times, situe bien l’enjeu et la tension du débat actuel entre USA et UK (le commentaire date d’avant la rencontre du 15 juin): « If there is no agreement tomorrow it just raises the tension level and continues to raise the pressure. I don't want to be overly dramatic and say that if there is no agreement that the whole deal is off because, there is still time. But you are really beginning to run out of running room. »
Ce qui est remarquable dans les informations données autour de la rencontre, c’est l’importance des exigences britanniques. Le détail des technologies et informations réclamées par les Britanniques montre qu’ils veulent aller au cœur du système pour le contrôler. Cela explique les difficultés actuelles et n’augure rien de bon pour l’issue des négociations, — ni pour après, d’ailleurs, si les négociations aboutissent avec la satisfaction des exigences britanniques. On voit mal comment le Congrès laisserait passer un tel accord sans en faire un cas national de protection de la base technologique américaine.
Ces détails sur les exigences britanniques semblent confirmer que ces mêmes Britanniques ont bien choisi de tenir une position maximaliste. Richard Aboulafia, du Teal Group, suggère l’explication qu’ils exigent beaucoup pour prendre toutes les assurances possibles qu’ils ne seront pas ensuite phagocytés par le processus bureaucratique US ; c’est courir le risque, poursuit justement Aboulafia, de faire capoter les négociations à cause de la hauteur des exigences. (« There is genuine concern on the British side that the process is bogged down at the bureaucratic level. They run the risk of not getting anything like what they want. »)
L’explication générale qu’implique cette remarque n’est sans doute pas fausse. Pour nous, elle serait plutôt incomplète et raterait le fond du débat. Notre analyse reste que la position britannique n’est pas seulement tactique (exiger beaucoup pour contrôler l’essentiel). Il y a un aspect beaucoup plus fondamental, “stratégique” si l’on veut parler en termes militaires. C’est la crise de confiance UK-USA (dans ce sens) que nous avons déjà évoquée. Si l’hypothèse est juste, les péripéties qui nous attendent vaudront le détour.