Gitmo, ou la parabole de l’absurde

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Gitmo, ou la parabole de l’absurde

La prison de Guantanamo est un symbole, porté haut, nullement dissimulé, presque brandi par les États-Unis d’Amérique pour affirmer qu’en présence de la “Terreur”, de cette guerre sans fin ni dessein, de cette guerre presque devenue essence de la Grande République, fabriquée autant qu’enfermée dans un symbolisme de fer dont elle découle, pour affirmer haut et fort qu’aucun principe de la susdite Grande République qui fut élaborée par et pour les gens manifestement les plus civilisés du monde, ne vaudrait une seule seconde pour un barbare, inculte, sans foi ni loi. On parle bien sûr des “terroristes” puisqu’on parle de la Terreur. (Quoique, – “sans foi ni loi”, pour ces propagateurs de la foi la plus radicale, au nom de la loi la plus extrême [la sharia]…)

Il est admis qu’à la prison de Guantanamo sont enfermés des gens qui n’ont droit à aucune des dispositions juridiques en cours dans un système normal de civilisation. Ces gens ont été souvent enlevés, bien entendu torturés avant d’être livrés à Guantanamo, où ils continuent à l’être (torturés) d’une façon absolument systématique, presque sanitized, avec des gants de plastique blanc de chirurgiens, et sachant qu’on ne peut parler de torture mais de quelque chose

de totalement insaisissable du point de vue de la sémantique (voir enhanced interrogation techniques ou alternative set of procedures). Les tortures psychologiques développées à l’encontre des prisonniers font passer pour des créations d'amateurs un peu pusillanimes celles que développaient les communistes, et notamment les Nord-Coréens, pendant la Guerre froide, – pour parler des exemples qui furent l’objet d’une publicité abondante à l’Ouest, de façon à affirmer les vertus de l’Ouest par contraste. Ils sont emprisonnés parfois, sinon souvent, sans qu’il leur soit expliqué pourquoi, et parfois sans même que leurs geôliers sachent pourquoi, et dans certains autres cas, alors même que l’innocence du détenu a été prouvée ou est évidente. Bien entendu, on ne sait combien de temps ils seront enfermés puisqu’il n’y a ni accusation formelle, ni procès, ni condamnation. Parfois, on en libère l’un ou l’autre, on ne sait exactement pourquoi. Ce système absurde autant que cruel et inhumain, complètement inefficace du point de vue de l’information recueillie, porte aujourd’hui sur 166 prisonniers et Gitmo continue à bien fonctionner malgré une directive présidentielle de 2009 ordonnant la fermeture de la prison (une des promesses électorales d’Obama). La dernière touche au tableau vient d’être donné avec l’aspect financier et budgétaire de ce symbole de la complète absurdité prédatrice du Système qui enchaîne notre civilisation. (Sur Yahoo.com, le 1er août 2013.)

«The United States government spends about $2.7 million per prisoner per year to operate the Guantanamo Bay detention facility in Cuba, the Washington Post reports. That estimate comes from a recent study by the Miami Herald’s Carol Rosenberg, who has covered Gitmo since 2002. According to Rosenberg, the U.S. will spend $454 million this year to maintain the facility and pay troop salaries, among other fees — a little under half a billion dollars. With only 166 prisoners, that works out to an annual cost of about $2.7 million per detainee. For a point of comparison, California spends an annual $47,000 per prisoner, according to a 2010 study from that state’s government.

»According to the Post, Rosenberg’s study serves as a reminder of the tremendous cost and inefficiency of running Gitmo and why the detention facility has been such a thorn in the side of the Obama administration. In January 2009, President Barack Obama issued an executive order to close the camp, but the process has been stymied at every turn by a veritable Gordian knot of political and legal obstacles as well as national security concerns. Finding a place to put the prisoners if Gitmo were shuttered has been a contentious issue in both domestic politics and international diplomacy. “I think for a lot of Americans, the notion is out of sight, out of mind,” Obama said at a press conference in April, insisting he would resume efforts to close the prison. “I’m going to go back at it because I think it’s important.”»

Un autre texte, de defenseone.com du 2 août 2013, reprenant un texte de Quartz.com du 1er août 2013, précise que Guantanamo devrait avoir coûté $5,24 milliards entre 2001 et 2014, selon le Pentagone, et que même ce coût n’est peut-être pas complet... «Guantanamo Bay is already said to be the most expensive prison in the world. Yet even the latest figure from the US Defense Department might not be high enough. The Miami Herald points out that total costs are likely to be higher because the Defense Department doesn’t take into account the facility’s $13.5 million headquarters built in 2004. It also doesn’t include costs for “Camp 7”, a compound for detainees formerly kept by the Central Intelligence Agency, like Khalid Shaikh Mohammed, the self-proclaimed architect of the September 11 attacks.»

Avec ces détails de comptabilité, on peut estimer que le cas, ou le dossier de la prison de Guantanamo, ou Gitmo, est bouclé. Ce cas représente un archétype symbolique du Système, sans la moindre restriction. Il expose absolument le nihilisme du Système, sa marche systématique à l’entropisation, sa déshumanisation complète, sa complète inefficacité au travers de sa prétention à manipuler les psychologies humaines dans un but autre que de les subvertir (alors qu’il ne fait que les subvertir), sa complète ignorance des tendances principielles qui conduisent les sapiens dans des situations de tension et d’affrontement. En cela, Gitmo est effectivement un symbole, mais nullement à la gloire du Système par l’intermédiaire de l’“idiot utile” qu’est l’américanisme, plutôt un symbole de la vérité absolument catastrophique du Système.

• Le fait est que Gitmo, dès sa création, est devenu un objet complètement contrôlé par la bureaucratie du Pentagone, servant alors d’instrument au Système. La complète impuissance du président Obama à parvenir à faire fermer Gitmo, – alors qu’il le voulut et l’ordonna au début de son mandat, – montre la puissance tentaculaire de la bureaucratie et sa capacité à habiller les initiatives qu’elle contrôle de la carapace inviolable du juridisme américaniste, puisqu’effectivement Gitmo dépend de dispositions juridiques contraignantes créées pour la cause. Gitmo est une réalisation presque parfaite, dans sa complexité achevée, d’un instrument complètement contrôlé par le Système et s’imposant à toutes les directions humaines successives.

• Opérationnellement, Gitmo a bien été effectivement une entreprise symbolique, selon l’idée qu’elle constituerait un puissant symbole de la puissance et de la détermination des USA (du Système), conduisant à semer le désarroi et la débâcle dans les rangs terroristes. On retrouve le cas déjà mis en évidence du comportement complètement faussaire et inverti de la psychologie américaniste, complètement dans la logique du Système qui consiste à nier l’essence même de ce qui n’est pas américaniste, et donc de ce qui n’est pas du Système. (Voir le 29 juillet 2013 : «Finally, Muslims see Americans as strangely narcissistic — namely, that the war is all about us. [...] ... but nonetheless sustains their impression that when Americans talk to Muslims they are really just talking to themselves.») Le résultat est que, si effectivement Gitmo est un symbole, c’est celui de l’impuissance, de l’illégalité, de la cruauté et de l’incompétence des USA (du Système) ; au lieu de semer le désarroi et la débâche chez l’ennemi, Gitmo s’en est fait un recruteur privilégié et une référence pour constamment renforcer sa détermination. (A de nombreux égards dans ce qu’on a décrit, le statut de Gitmo ressemble, dans l’esprit de la chose, à la mise en place de la séquestration, ou comment un automatisme-Système créé par la communauté de sécurité nationale pour forcer à des décisions du pouvoir politique s’est finalement installé au cœur de la communauté de sécurité nationale en tant que tel, pour devenir le grand régulateur de la répartition budgétaire, fonctionnant aveuglément, selon les impulsions du Système et non selon les besoins de la sécurité nationale, et finalement engendrant une déstructuration rampante de la communauté de sécurité nationale. La séquestration est un pas en avant du processus ayant engendré Gitmo, puisque directement orienté contre l’instrument du Système qu’est la communauté de sécurité nationale US.)

• La plus grande réussite de Gitmo, et le signe le plus assuré qu’il s’agit d’une réalisation du Système parfaitement achevée, se trouve dans la manière dont il a imposé le soutien de sa survivance jusqu’à ce qu’elle devienne presque une sorte de pérennité. Aucun officiel US n’est capable de monter un argumentaire pourtant évident contre cette institution, et aucune autorité humaine n’a la moindre autorité sur elle. En installant et en protégeant cette sorte d’appendice cancéreux aussi puissant et durable qu’est un symbole au cœur même de la puissance US, – dans la plus grande base de l’hémisphère américain, symbole des liens anciens de vassalité entre les USA et Cuba, – le Système a activé une formidable source d’influence antiaméricaniste et par conséquent antiSystème. Aujourd’hui, toute discussion sérieuse sur le véritable statut des USA comme patrie de la démocratie et des droits de l’homme peut être conclue d’un seul mot : Guantanamo. Ce symbole est donc aussi celui de la surpuissance aveugle du Système se transformant presque fatalement en une dynamique d’autodestruction.

• Que tout cela ait déjà coûté autour de $5 milliards depuis 2001 permet de clore le dossier par le plus bas possible, qui est celui de la comptabilité. L’équation surpuissance-autodestruction se retrouve aussi bien dans les pratiques de gestion de la structure américaniste, où la masse semble engendrer l’incompétence la plus complète, accélérant à mesure qu’elle est déversée et dépensée un gaspillage exponentiel qui est l’un des caractères symboliques de l’entreprise. Les dépenses budgétaires pour Gitmo semble faire correspondre, dans un rapport parfait d’inversion, la masse budgétaire nécessaire à l’entreprise au nihilisme des effets opérationnels de l’entreprise.


Mis en ligne le 3 août 2013 à 12H47