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1683002 novembre 2016 – Il s’agit ici de faire la présentation et l’analyse d’une expression avec deux aspects inhabituels pour la rubrique. Il y a d’une part un aspect incontestable de paradoxe presque provocateur, en rassemblant deux termes qui sembleraient à première vue inconciliables ; d’autre part, un aspect caricatural du fait d’un des termes employés, qui semblerait bannir cette expression de la prétention d’être un “concept” intellectuel au sens le plus large (le plus “sérieux”), et donc devrait lui interdire de figurer dans cette rubrique Glossaire.dde que nous présentons souvent comme notre “arsenal dialectique et conceptuel”.
Le cas spécifique et très caractéristique ici est que nous nous sommes aperçus que l’expression elle-même s’est constituée en concept, quasiment d’elle-même. Au départ expression simplement descriptive sinon caricaturale, plutôt “jeu de mots” comme procédé d’un travail d’écriture de combat sinon polémique (mais dans le bon sens du mot), voulant exprimer et décrire la dérision et le ridicule d’une situation, et donc dérisoire et ridicule elle même à l’origine par conséquent ; l’expression s’étant constituée évolutive, devenue d’elle-même un concept, c’est-à-dire accouchant elle-même, comme fécondée par elle-même à la manière d’une expression hermaphrodite, d’une signification infiniment plus grande et plus haute que ce qu’on croyait y avoir mis au départ.
Un éclaircissement s’impose ici, bon pour cet article du Glossaire.dde mais valable pour toute la rubrique et pour l’écrit en général, comme pour le langage... Cette circonstance (“signification infiniment plus grande et plus haute que ce qu’on croyait y avoir mis au départ”) est à prendre absolument au pied de la lettre. Il s’agit d’un phénomène essentiel de l’écriture (du langage lui-même) que nous expérimentons et tenons pour acquis, que nous jugeons dans tous les cas essentiel et constitutif du caractère fondamental de l’écrit lorsque et parce qu’il est autre que simple information, autre que simple “communication” au sens commun du terme ; lorsque et parce qu’il se retrouve dans la conception que nous avons du terme “communication” dans l’expression spécifique de la situation de notre temps de “système de la communication” [non “système de communication”] ; ce système, selon cette expression, étant défini justement par des caractères d’autonomie de lui-même, renvoyant à cette spécificité haute et fondamentale de l’écrit et du langage. Par conséquent, il nous paraît évident, impératif et essentiel qu’il faut accepter sans aucune restriction l’idée du travail d’un auteur dans un état d’absence de conscience immédiate de l’entièreté des concepts qu’il manie, des mots et des phrases eux-mêmes, et cela surtout dans l’écrit, dans la mesure où le langage lui-même recèle ses propres capacités d’évolution autonome et par conséquent ses significations cachées pour l’écrivain lui-même, – qu’il découvre ou ne découvre pas c’est selon, à mesure qu’il écrit, et surtout après qu’il ait écrit, lorsqu’il se redécouvre. Littéralement, il doit se concevoir qu’en se relisant selon des circonstances données (chronologie, temps écoulé, évolution conceptuelle de l’auteur, etc.), un auteur peut et même doit découvrir des sens nouveaux, féconds, cachés et qu’il ignorait complètement, dans ses propres écrits.
La définition que George Steiner donne des “logocrates”, que nous reprenons souvent en raison de sa justesse de description (rappelée dans le Journal-dde.crisis de PhG le 18 octobre 2015), met en évidence ce caractère de l’écrit, ou du langage ; il le fait d’une façon exceptionnelle puisque, de l’aveu de Steiner lui-même, quasiment ésotérique :
« Le point de vue “logocratique” est beaucoup plus rare et presque par définition, ésotérique. Il radicalise le postulat de la source divine, du mystère de l’incipit, dans le langage de l’homme. Il part de l’affirmation selon laquelle le logos précède l’homme, que “l’usage” qu’il fait de ses pouvoirs numineux est toujours, dans une certaine mesure, une usurpation. Dans cette optique, l’homme n’est pas le maître de la parole, mais son serviteur. Il n’est pas propriétaire de la “maison du langage” (die Behausung der Sprache), mais un hôte mal à l’aise, voire un intrus… »
L’expression que nous allons définir ici est particulièrement intéressante par rapport à ce phénomène logocratique auquel nous nous référons, justement à cause de son aspect initial. Le bond est spectaculaire entre ceci : “expression simplement descriptive sinon caricaturale, plutôt ‘jeu de mots’ comme procédé d’un travail d’écriture de combat sinon polémique (mais dans le bon sens du mot), voulant exprimer et décrire la dérision et le ridicule d’une situation, et donc dérisoire et ridicule elle même” ; et cela, qui décrit une évolution fondamentale jusqu’à faire de cette expression une description d’une situation ontologique extraordinaire, caractéristique de la Grande Crise d’effondrement du Système (de notre-civilisation).
... Il s’agit donc de l’expression “tragédie-bouffe” qui, on le comprend aussitôt, réconcilie deux aspects extraordinairement différents et d’un antagonisme complet, caractérisant notre époque. D’une part, il y a une dimension tragique extrême, nourrissant des pensées eschatologiques et catastrophiques qui se nourrissent elles-mêmes de visions telles qu’“effondrement du Système”, “effondrement de la civilisation”, “fin du cycle de la civilisation”, “crise de la Fin des Temps” ; ou encore, plus caractérisées mais non moins tragiques, telles que “dislocation dans le chaos” (notamment du Moyen-Orient), “dislocation de l’Europe”, “dissolution du pouvoir américaniste”, “Troisième Guerre mondiale”, “guerre nucléaire”, etc.
(Sur le mot “tragédie”, d’origine grecque et aux diverses interprétation : « Le mot τραγῳδία / tragôidía est composé de τράγος / trágos [“bouc”] et ᾠδή / ôidế [“chant”] ; il veut originellement dire “chant du bouc”. Mais les raisons d’un tel vocable ne sont pas très claires. [...] Certains voient dans le “chant du bouc” l’expression de la plainte de l’animal mené à l’autel sacrificiel, mis en parallèle avec la confrontation du héros tragique à son destin lors d’une lutte qu’il sait être perdue d’avance. » Pour nous, le mot “tragédie” signifie pleinement le mystère du sens de la vie considéré du point de vue métaphysique et éventuellement ésotérique, avec l’existence d’un destin qui dicte sa loi dans les orientations générales des êtres, et ce destin faisans partie de l’ontologie d’un être.)
D’autre part, il y a cette dimension définie par le mot “bouffe” (que nous employons volontairement au masculin) qui vient de l’italien buffone (plaisanterie dans le sens de la mise en évidence du ridicule), qu’on associe au mot “bouffon” très employé dans un sens populaire aujourd’hui. “Bouffe” dans le sens que nous privilégions fut souvent employé dans la période de la seconde moitié du XIXème siècle et du début du XXème jusqu’à 1914 pour désigner une certaine catégorie “bouffonne” du spectacle sur scène (essentiellement avec l’expression “opéra-bouffe”, mais aussi avec l’établissement renommé baptisé “Les Bouffes-parisiennes”). Il s’agit de caractériser un état d’esprit très particulier, restituant une perception bouffonne des événements, soit par la caricature, par la farce, par la musique moqueuse, etc., qui déplace la perception vers une vision des choses grossièrement déformée dans le sens de la dérision, de la raillerie et de la parodie.
Cette dimensio, ici décrite comme un “style” volontaire de la scène, est utilisée par nous pour la description analogique d’un autre aspect, involontaire, voire inconscient, de l’état d’esprit de notre époque, et qui est pour cette raison accolé au mot “tragédie“. Elle complète un état de l’esprit qui est celui de vivre des événements absolument terrible, c’est-à-dire tragiques, et les considérant en ignorant, complètement ou pour partie chez certains esprits, leur aspect sinon leur ontologie même terrible et tragique, – le plus souvent, là encore, ignorance involontaire et inconsciente.
Cette dimension du “bouffe” dans la psychologie pourtant confrontée à des événements tragiques nous a été inspirée par une image dans la description que Jacques Bainville fait (en 1924) de l’état d’esprit de la France devant la montée du péril prussien entre 1866 et 1870, entre Sadowa (victoire de la Prusse sur l’Autriche-Hongrie) et Sedan (défaite de la France face aux Prussiens). Nous avons cité Bainville dans un passage que nous citons ici, d’un texte extrait des Archives-PhG, mis en ligne le 5 décembre 2011, et nous mettons en évidence (en caractère gras) cette image (“Sadowa devenait un opéra-bouffe”).
« Bainville, notre compagnon pour cette partie précisément de notre analyse, enrage en décrivant l'attitude de la France alors que la Prusse complète son banco avec Sadowa. Cette fois, plus personne ne s'y trompe, ou presque. Alors qu'en 1850, ils étaient plusieurs à rester aveugles devant la marche prussienne en avant, cette fois ils ont, pour la plupart, compris de quoi il retourne. Les Anglais, les princes allemands, se tournent vers la France, et semblent lui dire : dites quelque chose, c'est le moment ou jamais ; ils lui disent : dites halte ! Dites que cela suffit. La reine de Hollande, qui est proche de Louis-Napoléon, lui glisse en un reproche qui résume tout, qui devrait éveiller l'esprit avancé mais qui montre que l'esprit est plus convenu qu'avancé : “Vous laissez détruire les faibles.” De tous les côtés, l'Europe dit à la France : sauvez-nous en vous sauvant, en agissant maintenant. Au lieu de quoi, nous dit Bainville, la France est comme la Grande Duchesse de Gerolstein qui observerait la Prusse en train de devenir l'Empire allemand, en train de préparer le coup final, que l'Empire frappera demain contre elle-même, avant de s’autoproclamer dans la Galerie des Glaces. Elle aura vu tout venir, la Grande Duchesse, sans y rien comprendre.
» A Paris, c'est le triomphe de La Grande Duchesse de Gerolstein, et cela compte plus que Sadowa et les exhortations des autres Européens. Bainville écrit avec une subtile ironie chargée de dérision, et, tout au fond, d'un mépris complet : “La France, en 1866, a crié : ‘bon débarras’ à ce vieux particularisme allemand rossé par la Prusse; nous paierions cher pour le ressusciter aujourd'hui [N.B. : écrit en 1924], et nous saluerions avec plaisir sa renaissance. Mais il avait paru plaisant que ces vestiges d'un autre âge eussent été balayés si énergiquement par le Prussien, champion des ‘idées modernes’. Deux hommes d'esprit saisiront ce comique, et La Grande Duchesse de Gerolstein eut un grand succès de rire. Le général Boum, le baron Grog, l'électeur de Steis-Stein-Steis, tout ce que Bismarck venait de mettre en déroute chanta et dansa, pour le grand amusement de Paris et des provinces, sur la scène des Variétés. Sadowa devenait un opéra-bouffe, tandis que déjà Bismarck avait signé des conventions militaires secrètes avec les États du Sud, battus mais subjugués. La Grande Duchesse de Gerolstein, c'était la circulaire de Lavalette mise en musique par Offenbach. Elle eut beaucoup plus de succès que les nouvelles prophéties de Thiers...” (Thiers, in illo tempore sensible à la fascination prussienne contre l'alliance autrichienne, revenu sur terre en 1866 pour dénoncer l'irrésistible marche prussienne. Dans ‘Cette étrange guerre de 1870’, Henri Guillemin ne lui pardonnera pas cette lucidité tardive, qu'il jugera à la fois tordue, machiavélique, calculatrice et racoleuse. Bref, monsieur Thiers est un sale fusilleur réactionnaire de droite. Tandis que les irresponsables qui applaudissent l'Allemagne bismarckienne triomphant à Sadowa n'ont, eux, que l'encre de leurs colonnes sur les mains. Et ils sont de gauche, on s'en serait douté.) »
Nous employâmes pour la première fois cette expression de “tragédie-bouffe” le 15 octobre 2012, à propos de la politique étrangère d’Erdogan ; puis nous l’oubliâmes, bien que le mot “bouffe” soit plusieurs fois revenu sous notre plume entre octobre 2012 et le moment où nous y revînmes de façon décidé, pour ne plus abandonner son emploi, à intervalles assez rapprochés, au point que nous jugeons aujourd’hui qu’il peut et même doit faire l’objet d’un Glossaire.dde. C’est en effet le 15 octobre 2015, exactement trois ans après son premier emploi qu’il fut à nouveau réintroduit, cette fois d’une façon structurée, consciente. C’était dans le Journal-dde.crisis de Philippe Grasset... (Utilisation du caractère en gras à nouveau, pour signaler cet emploi.)
« Pour ce qui concerne la Syrie, le Moyen-Orient, l’intervention russe, je vais vous avouer une chose : je suis un peu... Comment dire ? Oui, c’est ça, déstabilisé, et enfin pas qu’un peu... Je ne parviens pas à prendre cette affaire si tragique complètement au tragique, et certes je m’en veux... Des gens souffrent et meurent là-bas, des destructions terribles ont lieu, des pays sont pillés, transformés en désordres et chaos sanglants, et nul ne doute de l’énormité quasiment eschatologique des enjeux comme de la véracité déchirante des souffrances et des injustices. A côté de cela, il y a un air de “tragédie-bouffe”, selon une expression qu’on a déjà utilisée (sur ce site), d’ailleurs pour une situation dans la région et pour un de ses acteurs les plus déroutants et les plus exotiques.
» Je ne suis pas le seul, pour ce qui concerne la “tragédie-bouffe” ... Quand, parlant de ses contacts avec ses “partenaires” américanistes à propos de ces intenses et terribles agitations en Syrie et des positions respectives, un Poutine dit qu’il semble que “certains de nos partenaires” ont “de la bouillie [de maïs ?] en guise de cerveau” ou quelque chose d’approchant (« “It seems to me that some of our partners have mush for brains,” commented Putin »), tout cela sur un ton amical et un peu ironique me semble-t-il ; quand on lit cela, on est conduit à conclure qu’il y a effectivement le signe que, par certains côtés, cette crise si terrible et si profonde n’est pas considérée de façon très sérieuse par tous les acteurs, surtout ceux qui se prennent tant au sérieux. Non, je ne suis pas du tout le seul : le colonel Patrick Lang écrit le 11 octobre sur son site Sic Semper Tyrannis que le gouvernement US, dans cette affaire, ressemble à un “gamin capricieux”, « The US Government continues to resemble a petulant child who, having dominated the schoolyard, is faced with another child who takes control of a game. The petulant one then announces that the new kid is cheating and walks away from the scrum. » (Pour bien comprendre le jugement, notez que le mot pétulant est une sorte de “faux-ami” comme les langues des pays-frères savent se ménager entre elles, comme on fait un croche-pied. En français, la connotation est très positive, – vif, plein d’ardeur, etc., – en anglais elle est nettement négative : irritable, irascible, de mauvaise humeur, – et j’ajouterais bien pour mon compte, comme on l’a lu, “capricieux” et “boudeur”.) »
Nous l’avons déjà écrit plus haut : “Cette dimension du “bouffe” dans la psychologie pourtant confrontée à des événements tragiques...”. C’est-à-dire que le concept de “tragédie-bouffe” est d’abord un concept psychologique, d’ailleurs comme un très grand nombre de concepts que nous étudions dans ce Glossaire.dde. Mais dans l’inspiration de départ (Bainville, « Sadowa devenait un opéra-bouffe... »), même si nous sommes sur le territoire de la psychologie il ne s’agit pas vraiment de la psychologie elle-même ; il y a un spectacle sur scène qui fait courir les foules parisiennes, qui remplit les boulevards, cette Grande Duchesse de Gerolstein, avec, toujours selon Bainville, « deux hommes d’esprits » (les librettistes Ludovic Halévy et Henri Meilhac, sur la musique d’Offenbach) qui saisirent « le comique » (assez sinistre, certes) de la représentation que “le monde” parisien se faisait de Sadowa et du reste. Le “bouffe” était une traduction, une illustration railleuse de la psychologie et de sa perception, il n’était pas la psychologie elle-même... Il y avait encore, dans l’état de l’esprit, des restes de civilisation.
C’est-à-dire, encore, que Sadowa, malgré l’interprétation de Halévy-Meilhac comme excellents psychologues de leur temps parisien, restait une bataille avec tout son poids historique fondamental de tournant décisif dans la formation du Reich qui faisait d’elle une tragédie. La tragédie était interprétée d’une façon bouffe mais elle n’était pas bouffe, nullement “tragédie-bouffe”.
Aujourd’hui, s’il y avait un Sadowa, ce serait une tragédie mais ce serait également un événement bouffe ; comme Alep, tragique bataille qui est déformée d’une façon bouffe, notamment par l’extraordinaire grossièreté du procédé de communication, en “crime de guerre“ voire en “crime contre l’humanité” (y ont-ils pensé ?) uniquement russo-syrien ; de même, Mossoul, tragédie en soi, est présenté comme une immense bataille où les criminels seront punis alors qu’on leur ouvre un passage pour qu’ils puissent se défiler, les criminels, tandis que la coalition rassemblée contre l’ennemi commun met ensemble des gens qui s’affrontent directement par voie de communication sinon bientôt par les armes (Irak et Turquie, par exemple). De même, enfin, la présidentielle USA-2016 est (ou plutôt “était” au départ), pour certains qui ont été légions avant d'être touchés par une certaine conscience de la tragédie réelle qui frappe l’Amérique, – heureusement dirait-on, il était temps, – réduite à un bouffon ; puis le bouffon devenu brusquement, par des procédés d’une stupidité affligeante, un nouvel Hitler-2016 comme si Hitler avait été en 1933 un Trump-1933, autrement dit Hitler étant alors un bouffon lui-même et non plus comme nous le disent ces esprits “le plus grand criminel de l’Histoire” sinon “l’incarnation du Mal”... Ces observations poussant l’interprétation au terme de sa logique folle ne font-elle pas comprendre le ridicule, le caractère-bouffe justement de cette marche de l’esprit postmoderne, inverti par l’influence diabolique ?
L’aspect bouffe de ces exemples pourtant absolument tragiques, – aspect d’autant plus bouffe que les exemples sont tragiques, – se trouve encore plus dans la présentation de ces diverses manœuvres, dans l’absence de sens (manœuvres tactiques ne répondant à nulle stratégie), dans l’espèce de désordre qu’elles créent pour elles-mêmes ; c’est-à-dire dans la présentation de telles manœuvres fabriquées parfaitement avec une dimension bouffe en elle-même. Il est incontestable que lorsque vous voyez s’affronter en Syrie pendant des semaines et des mois des groupes qui émargent au même portefeuille général (on songe aux groupes financés d’une part par la CIA, d’autre part par le Pentagone), la dimension bouffe se trouve dans l’événement lui-même ; ou lorsque vous considérez la grande attaque contre Mossoul, annoncée depuis des mois comme pour avertir l’“ennemi” dont on sait qu’il est en bonne partie “ami” sinon complètement financé par tel ou tel des attaquants, tandis que les attaquants alliés pour l’occasion sont en réalité ennemis sur le terrain, etc., et tout cela comme si c’était à l’infini ... Les gens souffrent et meurent, les bombes explosent et tuent, les obus de même, les sociétés sont détruites et les témoignages de pierre des civilisations pulvérisés, tandis que l’ensemble se déploie comme une immense mise en scène où dansent et s’agitent Grand Cheikh et Grand-Duc de Ryad, Grand Mufti et Grand Duc d’Ankara, Grand Notaire et Grand Duc de Paris-Elysée, Grand-Exceptionnel Empereur et Grand Duc de la Blanche-Maison de Washington D.C... Valsez saucisses!, – mais tristment, au contraire de ce qu'en écrivait Paraz.
... Même chose, s’il est nécessaire de le dire, s’il faut encore insister sur ce “dossier”, lorsque la corruption absolument étalée, à ciel ouvert, directement négociée dans leur souk postmoderne et instituée comme gangrène totale de la civilisation, s’institue juge du bouffon transformé en Hitler-2016 qui vient la défier sans se rendre compte de ce qu’il fut à l’origine, de ce qu’il fit, et de ce qu’il est devenu... Dans ce cas, qui est le plus bouffon dans cette mêlée étrange, du bouffon lui-même ou de ceux qui prétendent lui faire la leçon en exposant involontairement leur propre côté bouffe dont ils n’ont même pas la plus petite conscience dans leur arrogance-hybris générale, en agitant le poids incroyable de leur corruption comme argument pour attaquer le bouffon devenu Hitler-2016 ?
Il est extrêmement difficile de faire cohabiter aussi intimement, à propos du même événement, une pensée complètement empreinte du tragique absolument véridique dudit événement d’une part, et d’autre part la dimension absolument bouffe que les psychologies inverties sous l’influence du Système, parce que trop fatiguée pour y résister, y mettent comme un autre élément constitutif de l’événement, sans en avoir la moindre conscience bien entendu. Il faut pourtant s’y forcer parce que, de cette façon seulement parvient-on à comprendre, à identifier et à explorer le concept de tragédie-bouffe, et ainsi à comprendre plus justement l’époque qui est nôtre et la nature de la crise qui affecte les sapiens, ceux que nous désignons comme sapiens-Système dans cette époque...
Cette vérité-de-situation de faire côtoyer l’aspect tragique et la dimension bouffe pour un même événement, avec tout le poids de la faute sur le compte de la pathologie de la psychologie humaine, nous indique par ailleurs combien le concept de “tragédie-bouffe” constitue une clef d’une utilité exceptionnelle. Il nous permet de mieux comprendre que la crise générale que nous affrontons, avant d’être une crise d’une situation, d’un domaine, d’une nation/d’un groupe de nations, d’une activité, d’une politique, d’une stratégie, etc., est en vérité et d’abord sinon exclusivement la crise du sapiens devenu sapiens-Système, et de l’espèce qu’il représente, transformée à l’image des Orques de Tolkien si l’on veut ; c’est donc bien plus qu'“une crise”, mais rien de moins que la crise de la civilisation elle-même telle que le sapiens-Système l’a transformée ; non pas seulement la crise de ce que cette civilisation a engendré et produit selon le mouvement naturel de l’Histoire où l’espèce humaine a évidemment sa place sans être une usurpation diabolique comme aujourd'hui, mais bien la Crise Générale et Finale.
(Cette crise spécifique de notre-civilisation est bien entendu entièrement due à l’influence du Système et de toute l’ascendance que nous connaissons, – le “déchaînement de la Matière” de la jointure des XVIIIème et XIXème siècles et tout ce qui y conduit ; tout cela représentant évidemment l’incursion des forces déstructurantes-dissolvantes-entropiques, ou du Mal pour prendre une terminologie ésotérique générale, ou d’une influence satanique pour en appeler à une connotation plus générale, éventuellement religieuse pour certains ; toutes ces interprétations ayant leur raison d’être et leur justification selon l’état de l’esprit qu’on a, et conduisant au même constat catastrophique. Pour cette raison, le sapiens dont nous parlons, celui qui manifeste cette pathologie de la psychologie jusqu’à la réduction de devenir un attribut, un outil du Système, est également désigné par nous comme sapiens-Système. Il est le figurant, le complice, la chose même du Système en partie sinon en très grande partie de lui-même, même si une autre partie, ou une autre très petite partie de lui-même s’insurge parfois contre cet état de chose, ce partage terrifiant de lui-même qu’il perçoit inconsciemment.)
Une crise peut et doit être une tragédie mais elle ne peut être bouffe, à l’image de la bataille de Sadowa ; c’est la psychologie malade du sapiens-Système qui, la distinguant comme il le fait, par des interprétations grossières faites de slogans primaires et d’une réduction systématique à l’affectivisme, d’une dialectique doucereuse plaquée sur des narrative à mesure, d’une critique railleuse et persifleuse jusqu’à l’absurde dans un but de démonisation des arguments contraires, habille la tragédie (la crise) de sa dimension bouffe comme si c’était le vrai. Par cet acte qui crée rien de moins qu’une idéologie-bouffe dont l’inspiration et le sens lui échappent, le sapiens-Système nous indique sa volonté inconsciente de refuser le tragique de la crise, c’est-à-dire la vérité-de-situation de la crise ; agissant ainsi, certes, comme s’il savait qu’une telle reconnaissance impliquerait la mise en évidence qu’il est lui-même (le sapiens-Système) une tragédie, et une tragédie de la perdition de lui-même.
Mais un événement récent est survenu pour nous indiquer que cet aspect bouffe pouvait être exploité jusqu’à l’extrême, pour être retourné contre le sapiens-Système (contre le Système) qui l’emploie dans le but qu’on a vu de réduire la tragédie, et donc pour mettre à nu la condition et exposer la profonde corruption qui conduit à imposer l’interprétation en tragédie-bouffe alors qu’il s’agit d’une tragédie pure et simple, et même à nulle autre pareille. C’est un cheminement classique avec le Système, que d’utiliser jusqu’à l’extrême ses propres armes et de les retourner contre lui-même : le fait est accompli et l’on peut alors considérer que le phénomène de la “tragédie-bouffe” est accompli, c’est-à-dire que le concept de tragédie-bouffe est arrivé à sa maturité.
Cet “événement récent”, c’est Donald Trump, et ce personnage considéré hors de son parcours électoral (qu’il soit vainqueur ou pas le 8 novembre, – question toujours ouverte à ce moment où nous écrivons ces lignes), et bien entendu hors de toute référence à ce que sont ses propositions politiques, à ce que serait sa politique, etc. Trump a fait, là aussi involontairement et inconsciemment, la démonstration de l’invalidité rocambolesque du concept de “tragédie-bouffe”, et mettant ainsi en lumière, toujours de la même façon involontaire et inconsciente, la pathologie tragique (le qualificatif est bienvenu) de la psychologie qui pousse à l’entretien de ce concept.
Lui-même, en effet, bouffon incontestable au départ et donc créature du côté bouffon de la tragédie-bouffe, d’ailleurs sans doute entré en campagne pour des motifs également bouffons, a évolué au long de la campagne, d’abord en devenant le représentant d’une souffrance évidente de la population ridiculisée d’une manière sinistre par le Système (“The Deplorable” de la sinistre créature qu’est Clinton, véritable Orque maquillé en sapiens-postmoderne) ; ensuite en choisissant décisivement son camp, devenant l’accusateur, sur la fin de sa campagne, à la fois de la corruption généralisée de Washington D.C. et des terrifiantes conséquences envisageables sans émotion particulière par le commun-Système en cas d’élection de sa concurrente (la guerre, sinon la Troisième mondiale). Il a ainsi engendré, toujours selon l’incertitude de l’inconscience plus ou moins assumée de l’action dans ses perspectives, une situation absolument tragique pour le système de l’américanisme qui est le principal moteur du Système. Le bouffon (le bouffe) a montré dans sa vraie dimension l’immense tragédie de la Grande Crise générale dont les USA sont à la fois le moteur, le foyer, et la victime principale par rapport à l’image et à la narrative de cette puissance que le système de l’américanisme entretient. Le bouffe a révélé la tragédie-bouffe à sa véritable et seule dimension tragique, et suggéré que le reste n’est que théâtre monté par la pathologie de la psychologie du sapiens-Système ; le bouffon a révélé la tragédie américaniste qui frappe, au nom du Système, les USA et tout le monde du bloc-BAO.
Si l’on veut une autre image, le bouffon s’est montré capable d’affronter les persifleurs type-postmoderne (Trump-Hitler, etc.), donc de les vaincre, donc de vaincre le diable et ses entreprises sans nécessairement comprendre le sens de sa démarche, et peut-être même, d’autant mieux victorieux qu’il n’a pas vraiment compris le sens de sa démarche. Le bouffon a retourné le bouffe contre ceux qui le créent pour ne pas voir la tragédie.
Notre conclusion est que ce concept de tragédie-bouffe représente une tentative, sans doute ultime si l’on considère ses effets catastrophiques dans le sens contre-productif au plus haut niveau de puissance (le bouffon-Trump mettant à nu la tragédie de l’américanisme), de la psychologie postmoderne infectée et épuisée par le Système (le Mal) pour tenter de repousser la puissante ontologie, l’essence fondamentale de la tragédie par la dimension-bouffe qu’on lui a accolé. Le concept et l’état du concept sont une mesure imparable de l’infection et de l’épuisement de cette psychologie de l’homme postmoderne, du sapiens-Système, ce « dernier homme » de Nietzsche.
D’une certaine façon, on peut dire qu’il s’agit d’une resucée, en beaucoup plus rapide, en beaucoup plus extrême, en beaucoup plus improvisée, de l’action du “persiflage” sur les psychologies tel que se manifesta ce phénomène au XVIIIème siècle, dans le but (atteint) d’achever l’épuisement des psychologies pour ouvrir la voie à la Révolution. Mais, paradoxalement (en apparence) puisque le Système est en mode de surpuissance, cette tentative de subversion finale de la psychologie se fait aujourd’hui en mode complètement défensif et produit finalement son contraire dans l’exposition de la situation et, nous en sommes nous-mêmes convaincus, dans l’évolution de la situation ; la raison en est que la surpuissance du Système est en train de se transformer en autodestruction, et l’apparent aspect offensif du bouffe dissimule à peine une déroute complète, – et là se trouve le paradoxe signalé plus haut.
Le seul effet obtenu finalement est de renvoyer la dimension bouffe aux psychologies postmodernes, donc de démontrer le caractère faussaire et usurpateur, inverti et catastrophique, absolument déroutant d’insignifiance de ces psychologies postmodernes. “C’est nous qui sommes bouffe”, nous dit le sapiens-Système, et non la tragédie, “parce que nous n’avons pas la puissance ni le caractère d’accepter la vérité-de-situation qu’est la tragédie caractérisant notre époque.” La tragédie se fera et se fait sans eux, ce qui est finalement la meilleure situation possible : le sapiens-Système reste dans le caniveau du bouffe tandis que passe, se déroule et s’impose la tragédie cosmique du monde. Tout est dit, sinon chuchoté dans le silence qui ressemble à celui des “Grands Cimetières sous la lune”.
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