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5 mars 2003 — Hier, nous avons publié
Le cadre et les faits, d’abord :
« The commander, General James Jones, said that the plans, which were still at an “embryonic stage,” would shift the weight of American forces from Western Europe to eastern countries, like Poland, Bulgaria, and Romania, which are closer to the post-Cold War conflicts of today.
» “With an alliance that is moving to the east, it stands to me as eminently logical that we will have more contacts with the east,” Jones said in a briefing here at the European headquarters of the United States forces. “We will be looking for ways to be more flexible, more agile.” »
• Le premier constat est que Jones ne perd pas de temps. Il nous dit certes que ses plans sont au “stade embryonnaire”, mais pour un SACEUR arrivé le 1er janvier à Mons (SHAPE), c’est tout de même extrêmement rapide. (D’autant que le Congrès a déjà été “briefé” sur ces plans “embryonnaires”.) Notre hypothèse est que Jones est arrivé en Europe avec ses plans “embryonnaires” déjà en poche.
• L’aspect politique est très fort, comme Jones lui-même le reconnaît. Il est difficile de ne pas voir combien ce déplacement, qui implique d’abord un retrait d’Allemagne, semble correspondre aux menaces qui ont suivi la querelle entre les USA et l’Allemagne (non-soutien de la guerre par les Allemands). Les premières menaces spécifiques de cette sorte sont apparues dans la presse peu après la réunion de Munich du 8 février, où les accrochages furent si sévères entre Américains et Européens ; c’est la première fois qu’il fut fait état du transfert vers la Pologne et d’autres pays d’Europe de l’Est de forces US cantonnées en Allemagne (avec, effectivement, l’idée d’une restructuration de ces forces). (Nous relevions le fait dans un F&C du 16 février, à partir d’une information publiée par le Scotsman le 10 février.) La réaction de Jones à ces interprétations est évidente, et sans doute fondée : .« Jones insisted his plans had nothing to do with the trans-Atlantic tension. “I cannot dictate what people think,” he said. “But I will do everything possible to dissuade them.” »
• Jones donne quelques détails, — ou refuse d’en donner à l’une ou l’autre occasion, — qui permettent de spéculer sur l’importance du transfert d’Allemagne vers l’Est : il sera sans doute massif. Jones ne parle spécifiquement que du maintien de la base de Ramstein, parmi les grands centres opérationnels US en Allemagne, et laisse entendre que le centre de Heidelberg (où se trouve l’état-major des forces US et du U.S. Europe Command) sera effectivement transféré. Cela semble indiquer qu’il n’y aura plus en Allemagne que des relais pour les opérations US. (Ramstein est une base aérienne, Heidelberg dirige toutes les forces, principalement les forces terrestres US en Allemagne.)
A partir de ces informations, on peut spéculer dans plusieurs sens à propos de la signification de la décision américaine.
• Il n’y a pas de “bluff” dans l’air, de menaces non fondées. Les Américains quittent vraiment l’Europe occidentale, et l’affaire était déjà entendue avant les grands heurts transatlantiques de fin-janvier/début février. D’ailleurs, on l’a déjà mentionné avec les conditions de départ des forces US d’Allemagne (pour le Golfe) dès janvier. Simplement, l’affaire, qui était essentiellement stratégique au départ, se double désormais d’un aspect militaire : c’est autant un départ qu’une rupture.
• Pour l’instant (cela pourrait changer), Jones n’est qu’un exécutant de plans très précisément faits au Pentagone, et certainement supervisés par Rumsfeld. Cela pourrait changer, en fonction de la personnalité de Jones (francophile).
• L’OTAN bascule vers l’Est, opérationnellement, stratégiquement, et, désormais, politiquement. Cela correspond à la campagne d’intoxication américaine, relayée sans beaucoup de jugeote par les pays d’Europe de l’Est, sur la proximité de ceux-ci des Américains. Ce basculement vers l’Est de l’OTAN n’est pas un simple changement stratégique, c’est une rupture stratégique du continent, les Américains confirmant que leur choix d’aller plus à l’Est en Europe implique un désengagement politique d’Europe occidentale. Ce n’est pas un élargissement de l’OTAN, c’est une rupture de l’OTAN (ou bien, disons qu’il y a deux OTAN ?)
• Dans ce cadre général, la rupture déjà constatée entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est, à propos des différentes polémiques déjà enregistrées, devient dramatique et va peser politiquement de tout son poids. L’essentiel du problème va se déplacer vers les nouveaux entrants dans l’UE, qui vont se trouver confrontés à cette contradiction de liens de plus en plus forts avec les USA, et de la nécessité de montrer leur “bonne volonté européenne” au sein de l’UE, où, justement, la dimension militaire (défense) va nécessairement se développer (d’autant plus nécessairement, justement, que l’OTAN bascule vers l’Est). Nous allons, tout aussi nécessairement, vers des formules européennes “à plusieurs vitesses”, surtout au niveau de la défense.