Gorbatchev à BHO : quittez l'Afghanistan, vite

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L’ancien (et dernier) dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev a donné une interview à la BBC, reprise dans BBC.News le 27 octobre 2010. Il parlait au correspondant de la BBC à Moscou, Steve Rosenberg.

«…Mr Gorbachev praised President Barack Obama for his decision to begin withdrawing troops next year, but said the US would struggle to get out of the situation. “Victory is impossible in Afghanistan. Obama is right to pull the troops out. No matter how difficult it will be,” Mr Gorbachev said.

»He said before the Soviet Union withdrew from Afghanistan, an agreement had been reached with Iran, India, Pakistan and the US. “We had hoped America would abide by the agreement that we reached that Afghanistan should be a neutral, democratic country, that would have good relations with its neighbours and with both the US and the USSR.

»“The Americans always said they supported this, but at the same time they were training militants - the same ones who today are terrorising Afghanistan and more and more of Pakistan,” Mr Gorbachev said. Because of this, it would be more difficult for the US to get out of the situation.

»“But what's the alternative – another Vietnam? Sending in half a million troops? That wouldn't work.” The best that Nato could hope to achieve, he said, was to help the country get back on its feet and rebuild itself after the war.»

Notre commentaire

@PAYANT L’interview de Gorbatchev est intéressante, parce qu’elle contient des “messages” comme l’on dit, des “conseils” à Obama. Gorbatchev intervient comme s’il tenait pour acquis qu’Obama va effectivement ordonner, – et obtenir? Question ouverte, – le retrait des forces US d’Afghanistan en juillet prochain, et il l’en félicite avec chaleur parce que c’est, pour lui, la seule chose sensée à faire. Instruit par son expérience de la direction de l’Union Soviétique, et surtout son expérience spécifique du retrait de l’Afghanistan (en 1988), Gorbatchev ne peut effectivement donner d’autre conseil à Obama. Contrairement à la thèse générale répandue par les conservateurs et les neocons US qui ont expliqué la chute de l’URSS par la ruine de cette puissance en tentant de suivre l’effort d’armement US, notamment le développement de la défense anti-missiles (SDI, ou Stars War), – thèse chronologiquement faussaire mais qui permet de justifier tous les efforts d’armement US, – Gorbatchev juge en pleine connaissance de cause que la guerre d’Afghanistan a constitué le poids extérieur principal qui a achevé de ruiner l’URSS dans les années 1980, en plus de la catastrophe psychologique que ce conflit a constitué pour l'URSS. C’est pourquoi il insiste tant dans son effort d’encourager Obama à tenir son engagement de retrait d’Afghanistan à partir de juillet prochain.

Pour autant, il ne se fait guère d’illusions. Il afirme que les USA, alors qu’ils avaient passé un accord avec l’URSS pour faciliter le retrait soviétique (annoncé secrètement par Gorbatchev à Reagan dès 1986, alors que le retrait eut lieu en 1988), n’ont pas cessé d’entraîner et d’armer les combattants islamistes anti-soviétiques, et de les inciter à harceler les forces soviétiques, jusqu’aux derniers temps de la présence soviétique en Afghanistan. (Il n'est pas certain que Gorbatchev accuse ici Reagan de duplicité, mais il ferait plutôt allusion au comportement de forces diverses au sein du système de sécurité nationale US, suivant leur propre politique.) Dite sous forme d’un propos général sans précisions spécifiques, il s’agit là, avec ces observations, plus d’une révélation que d’un rappel ; c’est la première fois que l’ancien dirigeant soviétique laisse entendre aussi nettement qu’il y a eu accord avec les USA sur l’Afghanistan et que les USA n’ont pas tenu cet accord. Cela le conduit à observer que la responsabilité des USA dans l’émergence d’une force islamiste anti-occidentale en Afghanistan et au Pakistan est très grande, et qu’elle est la cause directe de la situation actuelle. Le principe de la chose, c’est-à-dire la responsabilité complète initiale des USA dans cette affaire, était connu de façon très précise depuis les révélations de janvier 1998 de Brzezinski (voir notre texte du 31 juillet 2005). Mais Gorbatchev rajoute une précision importante en révélant que jamais les USA n’ont cessé leur action, alors même que l’URSS avait besoin de leur restriction en la matière pour favoriser leur retrait. D’où la conclusion de Gorbatchev sur ce point, selon laquelle les USA, à cause de ce comportement et de ce qu’ils ont fait naître pour une longue durée chez les islamistes, auront bien des difficultés à réaliser le retrait qu’il recommande lui-même à Obama («Because of this, it would be more difficult for the US to get out of the situation»).

Ce dernier point implique le deuxième “message” de Gorbatchev à Obama, dont on connaît le sens, et qui prend dans cde contexte une force particulière : dans ces conditions, et parce que nombre de ses militaires ne veulent pas de retrait, Obama aura bien des difficultés à faire respecter son calendrier. (On pourrait supposer que Gorbatchev, en réalité, ne se fait guère d’illusions à ce propos.)

Ces interventions de Gorbatchev ne sont ni gratuites, ni de simple intérêt général. Il y a des liens précis entre Gorbatchev et Obama, avec au moins deux rencontres entre les deux hommes (voir notre texte, le 10 juillet 2009) ; il y en aurait peut-être eu une troisième, peu après avant ou peu après la décision d’Obama sur la stratégie afghane, en décembre 2009, mais là les interprétations diffèrent, entre la version selon laquelle cette rencontre a eu lieu et celle selon laquelle il y a eu une tentative de rencontre, qui n’a pas abouti. Dans tous les cas, Gorbatchev se sent particulièrement intéressé par Obama, et par le destin d’Obama, selon l’idée qu’Obama est la dernière chance des USA d’éviter un destin similaire à celui de l’URSS, que sa réussite à cet égard dépend notamment, voire essentiellement du retrait d’Afghanistan, – cela comme un autre point précis de similitude entre les deux puissances. L’un dans l’autre, et compte tenu de la nécessité du langage diplomatique de Gorbatchev, on sera conduit à conclure, en confirmant la suggestion faite plus haut, qu’il n’est pas précisément optimiste pour l'ensemble de cette affaire.


Mis en ligne le 30 octobre 2010 à 06H28