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760Si l’on veut poursuivre la question que soulèvent le comportement du President-elect qui-est-déjà-président, de ses choix pour constituer une équipe qui semble nous rajeunir de 15 ans (Clinton, circa 1993), d’une politique possible/probable qui ne serait qu’une duplication adaptée aux circonstances de crise de la politique catastrophique qui conduisit à ces circonstances de crise, il y aussi à considérer l’hypothèse de “la guerre totale”, – ou, plutôt, l’évidence de la “guerre totale”. Dans ce cas, prisonnier ou complice de l’establishment, qu’importe, Obama n’aurait fait que choisir ce qu’il juge être dans l’immédiat les seuls capables de réagir à une guerre féroce à laquelle les USA se trouvent confrontés; guerre contre eux-mêmes, guerre contre les effets de leur système sans pour autant trop toucher à ce système parce qu’on estime que ce qui reste des ruines encore debout s’effondrerait…
Robert Reich, sur son blog personnel, détaille jour après jour une évolution de l’administration Obama qui ressemble à s’y méprendre à un New Deal au goût du jour. Dans ce cas d’une orientation si clairement affirmée, et pressée par le feu et le rythme des événements, peu importe qui manie la barque de l’économie. Reich écrit, le 26 novembre, comme si l’affaire était quasiment entendue avec un retour au keynésianisme pour lequel FDR avait, dans les années 1930, montré tant d’attention. La situation économique, dit Reich, ne laisse aucun choix…
« The economy has just about come to a standstill – not so much because credit markets are clogged as because there’s not enough demand in the economy to keep it going. Consumer spending has fallen off a cliff. Investment is drying up. And exports are dropping because the recession has now spread around the world.
»So are we about to return to Keynesianism? Hopefully. Government is the spender of last resort, which means the new Obama administration should probably be considering a stimulus package in the range of $600 billion, roughly 4 percent of national product –
– focused on building and repairing the nation’s crumbling infrastructure, providing help to states to maintain services, and investing in new green technologies in order to wean the nation off oil.»
Ainsi, la longue analyse que publie le Los Angeles Times le 30 novembre est-elle perçue pour ce qu’elle est réellement: la description d’une énorme puissance, les USA, soudain en état de guerre, une guerre d’une intensité jamais vue depuis la Deuxième Guerre mondiale. C’est en ces termes que la situation est décrite, avec au passage des précisions qui ne nous effraient plus guère mais qui pèsent tout de même leur poids («Economic rescue could cost $8.5 trillion»), et, effectivement, de constantes références au climat de guerre qui règne à Washington. Le but, finalement, est assez simple: comment éviter une dépression, la Dépression?
«Reporting from Washington — With its decision last week to pump an additional $1 trillion into the financial crisis, the government eliminated any doubt that the nation is on a wartime footing in the battle to shore up the economy. The strategy now – and in the coming Obama administration – is essentially the win-at-any-cost approach previously adopted only to wage a major war.
»And that means no hesitation in pledging to spend previously almost unimaginable sums of money and running up federal budget deficits on a scale not seen since World War II. »[…]
»But the Bush administration and the economic team that Obama is rapidly assembling like a war Cabinet are vowing to spend whatever it takes to avoid a depression; they'll worry about the effect later. “I don't think that there's any way of denying the fact that my first priority and my first job is to get us on the path of economic recovery, to create 2.5 million jobs, to provide relief to middle-class families,” Obama told reporters last week. “But as soon as the recovery is well underway, then we've got to set up a long-term plan to reduce the structural deficit and make sure that we're not leaving a mountain of debt for the next generation.”
»The mountain is already there, and rising faster than at any time since the 1940s, when the United States was fighting a global war.»
Alors que la résolution semble prise, pourtant et d’ores et déjà, les avertissements se multiplient sur les risques que font courir ces pratiques d’amasser un déficit colossal, dont ceux de l’ancien directeur de GAO David Walker. Les risques sont ceux d’une autre, d'une nouvelle crise financière enchaînant sur la précédente et sur la crise économique qui s’est elle-même greffée sur le phénomène. Il s’agit, non seulement du “perfect storm” mais du cercle vicieux des crises.
«Indeed, analysts warn that the nation's next financial crisis could come from the staggering cost of battling the current one. […] Once the financial crisis eases, higher interest rates and soaring inflation will be risks. If they materialize, they could dramatically increase the government's borrowing costs to meet its annual debt payments. For consumers, borrowing could become more expensive even as the price of everyday items rise, holding back economic growth. “We could have a super sub-prime crisis associated with the meltdown of the federal government,” warned David Walker, president of the Peter G. Peterson Foundation and former head of the Government Accountability Office.»
Reich a une réponse prête: le déficit crée par le sauvetage de l’économie sera résorbé par les revenus créés par l’économie sauvée… «What the hawks don’t get is what John Maynard Keynes understood: when the economy has as much underutilized capacity as we have now, and are likely to have more of in 2009 and 2010 (in all likelihood, over 8 percent of our workforce unemployed, 13 percent underemployed, millions of houses empty, factories idled, and office space unused), government spending that pushes the economy to fuller capacity will of itself shrink future déficits.» Au reste, Walker le reconnaît: il faut tout faire, pour l’instant, pour sauver l’économie; les événements commandent et nous sommes en guerre décidément. («But even deficit hawks such as Walker acknowledge that the immediate crisis is priority No. 1. Just as with World War II, the government can worry about paying the bills once the enemy is defeated.»)
Cette perspective impose une grande relativité à l’autre vision de l’administration Obama en formation, celle qui débat de savoir si l’homme est prisonnier de l'establishment, complice ou proche de s'en libérer, si son administration est une ruse, une trahison ou une provocation, s’il est Gorbatchev ou Eltsine… Pourtant, entre les deux visions, il y a un lien, et ce lien se montrera à un moment ou l’autre. Il est vrai que la crise impose à la manœuvre politique des contraintes inaliénables, et la manœuvre politique ne peut pas ne pas tenir compte de ces contraintes. Ce lien existe peut-être, également, entre le vrai Obama, si c’est le cas de dire “le vrai”, et l’image de changement à laquelle il doit adhérer, ou à laquelle on le contraint d’adhérer.
L’atmosphère “de guerre” ainsi décrite est particulièrement frappante, particulièrement pesante, particulièrement contraignante. On ne cesse de peser la puissance de ce phénomène à la rapidité de son installation, qui se mesure après tout aussi bien à la légèreté avec laquelle les deux candidats avaient (ou n'avaient pas) traité de la crise avant que la crise ne les contraigne, à partir du 15 septembre, à s’intéresser à elle. Cette atmosphère “de guerre” doit exercer une forte contrainte sur les psychologies. Les acteurs de l’administration Clinton recyclés en nouveaux acteurs de l’économie avec l’administration Obama, même s’ils paraissent effectivement ressusciter l’administration Clinton, sont en fait totalement privés de la puissance et de l’hégémonie encore intactes des USA des années 1990, et de l’atmosphère triomphante qui, à partir de 1995-1996 surtout, a accompagné, permis et appuyé leur politique financière dévastatrice pour le reste du monde, puis pour les USA eux-mêmes.
Là où, peut-être, toutes ces visions et ces points de vue différents vont se rejoindre dans une tragédie commune, c’est dans un constat désormais très concret, et complètement marqué de cette dimension tragique. Ils sont lancés dans la guerre à outrance, dans la Grande Guerre contre la Dépression.
...D'autre part, et pour terminer cette description dans un cercle parfait, et peut-être vicieux, on sait bien que c'est par ce biais de la tragédie, instruits ou pressés par la nécessité, qu'on retrouvera les autres questions, et notamment celle qui est posée par le biais des références à Eltsine et à Gorbatchev.
Mis en ligne le 1er décembre 2008 à 17H04
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