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25 mai 2004 — Il est assez probable que les mollahs iraniens, qui sont plus habiles et manœuvriers que ne laisseraient croire leurs déclarations extrémistes, sont peu sensibles aux sophistications du virtualisme washingtonien. C’est-à-dire qu’ils ne s’y laissent pas prendre, contrairement aux hommes politiques washingtoniens. (Les mollahs savent manipuler, pas avares de propagande, etc, — mais s’y laisser prendre eux-mêmes, c’est une autre histoire comme eux-mêmes sont d’une vieille tradition…)
Par contre, il est possible que les mêmes mollahs aient décidé de jouer du virtualisme pour accélérer, peut-être décisivement, une tendance virtualiste déjà fortement installée à Washington, dans l’administration GW, et encore plus fortement avec l’attaque du 11 septembre 2001. C’est donc la nouvelle thèse en vogue à Washington, depuis la rupture entre les Américains (dans tous les cas le State department) et Ahmed Chalabi, l’homme-miracle de l’invasion de l’Irak. La CIA appuie à fond cette thèse, d’abord parce qu’elle déteste Chalabi (et le Pentagone, et les divers faucons en place), ensuite parce que cette version permet de diablement relativiser la version-“guerre sainte” de l’affaire irakienne chère au Pentagone et aux néo-conservateurs, enfin parce qu’elle a de sérieux éléments pour le faire. (Bien entendu, la CIA est soutenue à fond dans cette affaire par le State department parce qu’ainsi, les deux peuvent faire le meilleur marché du monde de leurs ennemis jurés : le Pentagone et ses faucons, les néo-conservateurs et le reste.)
« Some intelligence officials now believe that Iran used the hawks in the Pentagon and the White House to get rid of a hostile neighbour, and pave the way for a Shia-ruled Iraq. According to a US intelligence official, the CIA has hard evidence that Mr Chalabi and his intelligence chief, Aras Karim Habib, passed US secrets to Tehran, and that Mr Habib has been a paid Iranian agent for several years, involved in passing intelligence in both directions.
» The CIA has asked the FBI to investigate Mr Chalabi's contacts in the Pentagon to discover how the INC acquired sensitive information that ended up in Iranian hands.
» The implications are far-reaching. Mr Chalabi and Mr Habib were the channels for much of the intelligence on Iraqi weapons on which Washington built its case for war. “It's pretty clear that Iranians had us for breakfast, lunch and dinner,” said an intelligence source in Washington yesterday. “Iranian intelligence has been manipulating the US for several years through Chalabi.”
» Larry Johnson, a former senior counter-terrorist official at the state department, said: “When the story ultimately comes out we'll see that Iran has run one of the most masterful intelligence operations in history. They persuaded the US and Britain to dispose of its greatest enemy.” »
L’interférence de l’hypothèse iranienne dans le désordre irakien est un événement très intéressant. D’abord, comme on l’a dit, parce qu’il représente un retour à la réalité, — autant on se demande pourquoi les USA voulaient fracasser Saddam et l’Irak comme ils l’ont fait, autant on comprend parfaitement pourquoi l’Iran aurait voulu que les USA le fassent, et qu’ils aient tout fait pour cela. Il s’agirait d’un retour à la stratégie, aux manipulations pour les jeux d’influence, au “Grand Jeu” classique où les pouvoirs se servent de relais et de manœuvres pour se renforcer. Le Grand Jeu serait d’autant plus habile que, quelle que soit l’issue de l’actuelle controverse et même si la mise à jour du jeu de Chalabi, dans l’hypothèse où c’est le cas, représente un revers pour les Iraniens, ce revers ne serait que tactique et la victoire stratégique est d’ores et déjà acquise : l’intervention US a remis les Chiites en selle, ce qui va évidemment dans le sens des intérêts des mollahs iraniens ; les Américains, dans une situation désespérée, ne pourront que chercher à conforter cette orientation.
Un autre aspect intéressant de cette polémique est, justement, le crédit qu’on peut lui accorder. Il ne vient à personne l’idée que l’hypothèse d’un Chalabi manipulant les faucons et, au-delà, les USA, vers la guerre en Irak, soit absurde. On peut la discuter, la peser, mais on ne peut en dénier la possibilité. C’est la conséquence de la forme qu’a prise le pouvoir américain, complètement défini par les jeux d’influence, sans assise transcendante solide mais ayant choisi l’apparence du virtualisme pour “se définir”. Il en résulte qu’il est complètement crédible qu’un seul homme, avec le relais involontaire de quelques hommes (les faucons) habiles à utiliser les relais d’influence, puisse si complètement manipuler la politique de la super-puissance soi-disant impériale, jusqu’à la précipiter dans un imbroglio et un bourbier incontrôlable. Il suffit de comprendre les forces irrationnelles en action et les jeux des intérêts dans ces forces d’influence.
Restera à déterminer les positions des Iraniens par rapport à l’autre force d’influence extérieure à Washington, c’est-à-dire Israël. La logique découverte avec l’hypothèse d’un Chalabi relais des Iraniens pourrait impliquer l’hypothèse que les Israéliens, comme les Américains, ont été manœuvrés. Dans ce cas, ils auraient préféré l’ombre à la proie, attaquant une fausse force régionale (Saddam et son Irak pulvérisé depuis 1991) pour en renforcer une vraie, l’Iran des mollahs.
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