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1175Les bons esprits libéraux et postmodernes exultent à nouveau, le temps d’un discours, et notre scepticisme ne cesse d’être nourri à ce propos. Le discours du 21 mai de Barack Obama, annonçant la fermeture de la prison de Guantanamo est effectivement salué par les esprits en question. Leur enchantement, très type-postmoderne, est en soi une raison de s’inquiéter, notamment à la lumière des analyses teintées d’un romantisme de midinette qu’ils développent en général.
Obama a “confirmé” qu’il fermerait le camp de détention de Guantanamo. Le Monde du 22 mai 2009 présente ce discours de cette façon:
«Le président américain, Barack Obama, a confirmé sa détermination à fermer le camp de détention de Guantanamo, parce qu'il “affaiblit l'autorité morale des Etats-Unis”. Dans un discours sur la sécurité nationale, prononcé jeudi 21 mai aux Archives nationales, à Washington, il a affirmé que “le coût que nous aurions à payer en maintenant [Guantanamo] ouvert dépasserait de loin les complications que pose sa fermeture”, ajoutant qu'il était en train “de nettoyer le bazar [laissé par l'administration Bush]”.
»Dans cette intervention, “on a retrouvé le Obama des grands discours”, estime Corine Lesnes, correspondante du Monde à Washington. Après des mois de polémique le président “a repris les choses en main”…»
Le “Obama des grands discours”? Obama qui “reprend les choses en mains”? Plutôt, un Obama de plus en plus hésitant, qui tente de compenser une décision par l’autre, sans jamais en prendre une qui soit concluante. Après tout, s’il veut fermer Guantanamo, c’est parce que Guantanamo est un désastre de relations publiques pour l’image des USA, ou, plus joliment dit, parce qu’il «affaiblit l’autorité morale des Etats-Unis», – mais quant à condamner ce “système Guantanamo”? Finalement, le plus étonnant, le plus consternant dans les déclarations d’Obama, lorsqu’on songe aux crises énormes qui se préparent ou grondent déjà, c’est de l’entendre affirmer que la question de Guantanamo constitue le dossier le plus difficile pour son administration («M. Obama admet que les personnes suspectées de terrorisme détenues à Guantanamo qui ne peuvent actuellement être jugées mais continuent d'être dangereuses représentent “le problème le plus difficile” pour son administration»).
Hors de ces mièvreries sur notre saint-Obama retrouvé, il y a le constat que le président des USA se laisse désormais enchaîner, comme on est tenté d’écrire, dans un affrontement rhétorique avec Cheney, plus psychopathe que jamais, ce qui est un comble. C’est une circonstance extraordinaire que de se laisser prendre à ce jeu. Face à Cheney, qui a une rhétorique pathologique absolument invincible quand on l’affronte en acceptant sa logique, Obama ne peut que perdre, reculer, céder, acculé à sans cesse démontrer qu’il n’est pas aussi défaitiste que le dit l’ancien vice-président, donc à durcir sa position.
Sur Online Journal ce 21 mai 2009, Eric Walberg pose la constat qu’il faut, qui nous éloigne bienheureusement des salons parisiens: «Obama cannot afford to be indecisive.» Mot important, certes, “indécis”…
«The centrepiece of United States President Barack Obama’s PR campaign to show the world the US is the nice cop was to end the military tribunals, which he called “an enormous failure” during last year’s presidential campaign, and close the infamous Guantanamo prison. This was Obama’s first major “achievement” upon assuming office. […] The decision to persist with the tribunals was immediately attacked by critics. “It’s disappointing that Obama is seeking to revive rather than end this failed experiment,” said Jonathan Hafetz of the American Civil Liberties Union. “There’s no detainee at Guantanamo who cannot be tried and shouldn’t be tried in the regular federal courts system.” How did this sorry state of affairs come about so soon after all the fanfare?»
Suit le récit de la dégradation de la position d’Obama ces dernières semaines, passant notamment par l’hystérie qui s’est emparée de son administration avec la question pakistanaise. Effectivement, il y a eu là une accélération de la déstabilisation psychologique de cette administration, devant la perspective, que nous persistons plus que jamais à considérer comme grotesque, à l’image de ce qu’en disait Engelhardt (comparer l’affaire pakistanaise à la crise des fusées de Cuba en 1962!), d’une explosion catastrophique au Pakistan… Pour en arriver à ce constat: dans cette occurrence, Obama montre l’une de ses faiblesses cachées, – l’indécision effectivement, l’incapacité de prendre un parti ou l’autre, peut-être, paradoxalement, le tribut négatif d’une trop grand habileté manœuvrière et d’une trop grande confiance en soi.
«This is no time for Obama to be indecisive. Guantanamo must be closed and remaining prisoners must be tried in US courts or repatriated. If that’s a problem, he can always take up Chavez’s offer. And patch up relations with him and Castro in the process. Hell, why not give back Guantanamo to Cuba as a peace offering while he’s at it? The important thing is not to blink while he’s doing what’s right, or else the jackals of war will chew him to shreds.
»The latest fear among Democrats is that the gulf between them and the Republicans is widening, even as Democratic policies are gaining support among the people. Huh? They should take a leaf from FDR’s book, to fear nothing but fear itself. Let the Republicans march into the wilderness. Democrats can take control of US politics for the next two decades by following truly popular, socially just policies. Americans are not imperialists at heart. They will follow you. And be sure to close Guantanamo.»
La dégradation de la position d’Obama se marque également dans l’offensive montée par les “faucons” de l’AIPAC, le Lobby, relais direct du Likoud bien plus encore que du sionisme en général (cela apaisera les âmes inquiètes de la morale du monde), en connexion avec Netanyahou, pour transformer la rencontre BHO-Netanayahou en victoire complète du second. (Il faut dire que les Iraniens extrémistes, évidemment en pleine campagne électorale, apportent une aide notable aux extrémistes type AIPAC et Netanyahou, – mais il y a complicité objective entre les deux, – en choisissant ce moment pour effectuer un tir de missile à moyenne portée.) Il y a l’interprétations très pessimiste, celle de Buchanan, («Did Bibi Box Obama In?», sur Antiwar.com, le 23 mai 2009); et celle, plus réaliste, de Daniel Luban («Iran Hawks Push Obama on Deadline for Diplomacy», sur Antiwar.com, le 23 mai 2009). Tout cela montre, moins que l’habituel complot de service, qu’Obama est dans une phase délicate, avec le risque désormais sérieux de se laisser embourber dans la machine extrémiste du système général, avec les habituels participants à la chose.
(Par ailleurs, et pour ces divers points ci-dessus, on ne doit pas oublier que les facteurs fondamentaux subsistent. Pour ce qui concerne l’Iran, le point fondamental reste l’état d’immense faiblesse de l’appareil militaire US et la perspective jugée en général désastreuse d’une poussée vers une action militaire. De ce point de vue, on en revient à la perspective de situations de blocage ou de dilemme déjà vues sous l’administration Bush, dans une situation encore aggravée par la crise économique. Une “bonne guerre” peut détourner l’attention du public de la crise économique mais une guerre tournant en catastrophe peut donner le coup de grâce au système.)
Pour l’instant, une seule voie reste intéressante, d’autant plus qu’Obama y tient comme à la prunelle de ses yeux: les négociations START avec les Russes, qui marchent raisonnablement bien (une première réunion les 19-20 mai, une seconde début juin, avec l’espoir de premiers résultats pour la rencontre de Medvedev-Obama à Moscou en juillet). Ce dossier est fondamental, parce qu’il implique aussi bien l’affaire des anti-missiles en Europe (BMDE) que la question de la non-prolifération, qui prend le problème iranien par le haut et implique Israël dans le domaine sacro-saint de leur armement nucléaire, et même, impliquant indirectement la question AfPak avec l’Afghanistan si proche des Russes et le nucléaire pakistanais. Ainsi, ce sont les Russes qui, peut-être, tiennent la clef pour donner à Obama une occasion de se dégager de son embourbement. On peut penser, quand on sait leur sentiment sur la question de la politique d’Obama (voir Rogozine), qu’ils pourraient réaliser qu’ils vont devoir faire le maximum pour dégager une voie Russie-USA qui tendrait à libérer Obama de ses actuelles contraintes.
Mis en ligne le 23 mai 2009 à 12H09