Guénon et la spiritualité perdue de la monnaie

Les Carnets de Nicolas Bonnal

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Guénon et la spiritualité perdue de la monnaie

On sait que l’argent ne vaut plus rien. Les prix de l’immobilier ont été multipliés par cent à Paris en soixante ans. J’ai plusieurs exemples en tête.

On se doute que sur ce sujet j’aurai recours à René Guénon, au règne de la quantité (chapitre XVI). Ensuite à Egon Von Greyerz, dont tous les crétins se moquaient récemment encore sur certains soi-disant sites antisystèmes !

Une chose est sûre, le fric, qui ne valait déjà plus rien, va disparaitre. Une autre l’est moins, savoir si on nous volera notre or (quand vous en avez) comme au temps de Roosevelt (Gold Reserve Act, bonne fiche sur Wikipédia-anglais), des nazis et du Front populaire. Il suffira de tuer quelques contrevenants pour faire craquer tous les autres. L’Etat moderne, qui en a vu et fait d’autres, ne s’arrêtera pas là. Lisez l’historien Hoppe pour le comprendre enfin.

Je vais insister théologie ici, parce les choses sont plus graves que ne le pensent les « éconoclastes » : l’annihilation de la monnaie reproduit en ces Temps de la Fin l’annihilation spirituelle de notre civilisation ET MEME DE NOS PERSONNES.

Je rappelle à certains que salaire vient du mot « sel », que espèces viennent du mot « épices » !

Mais venons-en à Guénon qui se surpasse parfois – et pourtant c’est Guénon :

« La question dont il s’agit est celle de la monnaie, et assurément, si l’on s’en tient au simple point de vue « économique » tel qu’on l’entend aujourd’hui, il semble bien que celle-ci soit quelque chose qui appartient aussi complètement que possible au « règne de la quantité » ; c’est d’ailleurs à ce titre qu’elle joue, dans la société moderne, le rôle prépondérant que l’on ne connaît que trop et sur lequel il serait évidemment superflu d’insister ; mais la vérité est que le point de vue « économique » lui-même et la conception exclusivement quantitative de la monnaie qui lui est inhérente ne sont que le produit d’une dégénérescence somme toute assez récente, et que la monnaie a eu à son origine et a conservé pendant longtemps un caractère tout différent et une valeur proprement qualitative, si étonnant que cela puisse paraître à la généralité de nos contemporains. »

Guénon explique ce qu’était une monnaie :

« Il est une remarque qu’il est bien facile de faire, pour peu qu’on ait seulement « des yeux pour voir » : c’est que les monnaies anciennes sont littéralement couvertes de symboles traditionnels, pris même souvent parmi ceux qui présentent un sens plus particulièrement profond ; c’est ainsi qu’on a remarqué notamment que, chez les Celtes, les symboles figurant sur les monnaies ne peuvent s’expliquer que si on les rapporte à des connaissances doctrinales qui étaient propres aux Druides, ce qui implique d’ailleurs une intervention directe de ceux-ci dans ce domaine ; et, bien entendu, ce qui est vrai sous ce rapport pour les Celtes l’est également pour les autres peuples de l’antiquité, en tenant compte naturellement des modalités propres de leurs organisations traditionnelles respectives. »

Le lien entre spirituel et temporel était ainsi établi selon Guénon :

« Le contrôle de l’autorité spirituelle sur la monnaie, sous quelque forme qu’il se soit exercé, n’est d’ailleurs pas un fait limité exclusivement à l’antiquité, et, sans sortir du monde occidental, il y a bien des indices qui montrent qu’il a dû s’y perpétuer jusque vers la fin du moyen âge, c’est-à-dire tant que ce monde a possédé une civilisation traditionnelle. On ne pourrait en effet s’expliquer autrement que certains souverains, à cette époque, aient été accusés d’avoir « altéré les monnaies » ; si leurs contemporains leur en firent un crime, il faut conclure de là qu’ils n’avaient pas la libre disposition du titre de la monnaie et que, en le changeant de leur propre initiative, ils dépassaient les droits reconnus au pouvoir temporel. »

Guénon rajoute dans une note passionnante :

« Voir Autorité spirituelle et pouvoir temporel, p. 111, où nous nous sommes référé plus spécialement au cas de Philippe le Bel, et où nous avons suggéré la possibilité d’un rapport assez étroit entre la destruction de l’Ordre du Temple et l’altération des monnaies, ce qui se comprendrait sans peine si l’on admettait, comme au moins très vraisemblable, que l’Ordre du Temple avait alors, entre autres fonctions, celle d’exercer le contrôle spirituel dans ce domaine ; nous n’y insisterons pas davantage, mais nous rappellerons que c’est précisément à ce moment que nous estimons pouvoir faire remonter les débuts de la déviation moderne proprement dite. »

Relisez Dante…

Fin du caractère sacré :

« Il est donc arrivé là ce qui est arrivé généralement pour toutes les choses qui jouent, à un titre ou à un autre, un rôle dans l’existence humaine : ces choses ont été dépouillées peu à peu de tout caractère « sacré » ou traditionnel, et c’est ainsi que cette existence même, dans son ensemble, est devenue toute profane et s’est trouvée finalement réduite à la basse médiocrité de la « vie ordinaire » telle qu’elle se présente aujourd’hui. »

Guénon donne une bonne explication à la Prison Planet du capitalisme moderne :

« Ce que nous avons dit du caractère quantitatif par excellence de l’industrie moderne et de tout ce qui s’y rapporte permet de le comprendre suffisamment : en entourant constamment l’homme des produits de cette industrie, en ne lui permettant pour ainsi dire plus de voir autre chose (sauf, comme dans les musées par exemple, à titre de simples « curiosités » n’ayant aucun rapport avec les circonstances « réelles » de sa vie, ni par conséquent aucune influence effective sur celle-ci), on le contraint véritablement à s’enfermer dans le cercle étroit de la « vie ordinaire » comme dans une prison sans issue. »

Il explique avant Yellen-Draghi pourquoi la monnaie ne vaut rien (un quarantième de l’or depuis quarante ans, un centième pour le dollar depuis la FED-1913) :

« Pour en revenir plus spécialement à la question de la monnaie, nous devons encore ajouter qu’il s’est produit à cet égard un phénomène qui est bien digne de remarque : c’est que, depuis que la monnaie a perdu toute garantie d’ordre supérieur, elle a vu sa valeur quantitative elle-même, ou ce que le jargon des « économistes » appelle son « pouvoir d’achat », aller sans cesse en diminuant, si bien qu’on peut concevoir que, à une limite dont on s’approche de plus en plus, elle aura perdu toute raison d’être, même simplement « pratique » ou « matérielle », et elle devra disparaître comme d’elle-même de l’existence humaine. »

Et tout cela annonce notre Armageddon :

« Cela peut déjà servir à montrer que, comme nous le disions plus haut, la sécurité de la « vie ordinaire » est en réalité quelque chose de bien précaire, et nous verrons aussi par la suite qu’elle l’est encore à beaucoup d’autres égards ; mais la conclusion qui s’en dégagera sera toujours la même en définitive : le terme réel de la tendance qui entraîne les hommes et les choses vers la quantité pure ne peut être que la dissolution finale du monde actuel. »

Et maintenant je laisse conclure Von Greyerz qui n’a peut-être pas lu Guénon mais nous aura prévenus.

« Peu de gens réalisent que leur monnaie n’est qu’une entrée électronique qui peut être annulée en une seconde par le gouvernement. Cela signifie que leur monnaie peut disparaître, pour ne jamais réapparaître. C’est ce que les gouvernements et les banques centrales veulent imposer dans la plupart des pays occidentaux.

Les gens pensent que leur argent est en sécurité à la banque et ne réalisent pas que la monnaie électronique n’est pas introduite par commodité, mais bien pour les empêcher de retirer leur argent lorsque les banques insolvables ayant utilisé à outrance l’effet de levier manqueront de cash. Quiconque possède un compte bancaire doit comprendre qu’un jour, il n’y aura plus d’argent à la banque. Les distributeurs automatiques seront fermés et il n’y aura pas de cash disponible. C’est une façon élégante de régler le problème d’insolvabilité du système financier: il n’y aura pas de monnaie papier disponible, ni de monnaie électronique… plus d’argent à retirer.

À ce moment-là, le gouvernement n’imprimera plus de monnaie pour les particuliers, puisqu’elle sera inutilisable. Il imprimera des coupons à utiliser dans certains magasins et pour d’autres dépenses. C’est déjà le cas dans des pays comme le Zimbabwe. Les gens ne pourront dépenser qu’une quantité très limitée de l’argent déposé sur leur compte bancaire chaque mois, comme nous l’avons vu en Argentine.

Bien sûr, l’impression monétaire massive continuera pour sauver le système financier lorsque tous les actifs imploseront. Une très faible quantité de cette monnaie parviendra aux gens ordinaires. »

La plupart d’entre vous diront que ce scénario est totalement irréaliste, pire qu’apocalyptique. J’espère qu’il ne se réalisera jamais. Mais ce que je veux dire est qu’en remettant des actifs aux banques et, finalement, au gouvernement, qui contrôle les banques, la plupart des gens perdront totalement le contrôle de leurs biens. »

On va citer Dante, pour terminer, sur la destruction des templiers et nos rois maudits. Et je vous préviens : ça n’est pas dépassé du tout. C’est même à l’époque du reptilien Draghi et des dettes (debitum, le péché, en latin) européennes ou yankees terriblement actuel :

Que pourrais-tu nous faire, Avarice, de plus,

après avoir si bien avili tous les miens,

que de leur propre chair ils ont perdu le soin ?

Pour que le mal futur ou fait paraisse moindre,

je vois la fleur de lis entrer dans Anagni

et faire prisonnier le Christ en son vicaire.

Je le vois à nouveau soumis aux moqueries ;

je vois renouveler le vinaigre et le fiel ;

je le vois mettre à mort, où les larrons sont saufs.

Ce Pilate nouveau, je le vois si cruel

qu’il n’en est pas content et pousse jusqu’au Temple,

sans jugement, la nef de sa cupidité.

 

Sources

Dante –Purgatoire, XX, vers 48-82

René Guénon – Le règne de la quantité et les signes des temps (chapitre XVI)

Elgin Groseclose – Money and man

G. Edward Griffin –The creature from Jekyll Island

Murray Rothbard – The mystery of banking

Stephen Zarlenga – The lost science of money