Guerre hybride des nerfs

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Guerre hybride des nerfs

07-08-2024 (14H25) – Disons d’abord une chose qui permet d’écrire en toute liberté : l’analyse (?) que je vais exposer vaut pour les quelques jours qui se sont déroulés depuis l’assassinat du chef du Hamas, quoiqu’il arrive dans les heures et les jours qui viennent, – si l’attaque iranienne a lieu ! Car c’est bien de cela qu’il est question : la tension nerveuse est formidable en Israël, alors que, selon notre bon vieux penchant à prendre pour des abrutis rétrogrades tous ceux qui se trouvent à l’Est et au Sud de notre jardin miraculeux par contraste à la jungle du reste selon le philosophe Josep Borrell, ce serait aux Iraniens à être transis à l’idée de devoir attaquer Israël après les multiples agressions de la seule démocratie du Moyen-Orient, morceau de notre civilisation placé là pour surveiller les Huns.

Notre excellent ami Mercouris a un très bon programme là-dessus, hier précisément. Il décrit d’abord la situation à Teheran où se trouve, en visite technique, le secrétaire à la défense et ex-ministre, le Russe Choïgou. Détrompez-vous, ce n’est pas une décision à la sauvette déclenchée par l’attaque et la riposte-en-devenir : sa visite est prévue depuis le mois de mai, et n’a donc rien à voir avec les derniers événements. Tout de même, cela tombe bien, et le Mossad aurait dù faire un rapprochement.

Du coup et pendant qu’il y est, il semblerait que Choïgou, qui voit tout le monde y compris le nouveau président, discute de livraison d’armements très avancés aux Iraniens. Mercouris fait l’hypothèse qui suit divers rapports, et moi-même je le suis bien volontiers, que les Russes livrent aux Iraniens de la défense anti-aérienne, missiles dernier cri et surtout système de guerre électronique, en grande quantité.

Le problème est que ces systèmes très avancées demandent des servants d’une très grande expertise. Mercouris a deux hypothèses : des Russes viennent avec les matériels et seront aux manettes lorsque Israël attaquera en riposte de la riposte iranienne ; ou bien, des Iraniens ont été formés en Russie et sont prêts à prendre en main le matériel qui ne serait livré qu’en cas d’alerte maxi (ce qui est le cas). Bref, on papote beaucoup à Teheran.

Et pendant ce temps, on s’arrache les cheveux à Tel Aviv ! Que font donc les Iraniens, à la fin ? Où est leur riposte tant et si justement prévue ? On nous avait promis lundi, dernier carat :

« Les États-Unis et Israël poursuivent leurs préparatifs en vue d'une attaque majeure de l'Iran en représailles à l'assassinat de dirigeants du Hamas et du Hezbollah, a rapporté Axios samedi, citant des sources. L'attaque devrait commencer lundi.

» Selon deux responsables américains anonymes, le général Michael Kurilla, chef du commandement central américain, est arrivé dans la région pour une visite planifiée à l'avance qui devrait se concentrer sur les efforts visant à mobiliser la même large coalition internationale et régionale qui a défendu Israël contre une précédente attaque iranienne majeure en avril.

» Les tensions au Moyen-Orient ont atteint le point d'ébullition ces derniers jours... »

Plus encore, c’est-à-dire pire encore, l’atmosphère en Israël est absolument détestable. Non seulement, on attend l’attaque iranienne qui n’est pas encore venue, – mais pour qui se prennent-ils, ces sauvages, d’ainsi ne pas riposter aussitôt ? – mais en plus on se déchire méchamment entre Netanyahou et son état-major. Mercouris, qui a la lecture éclectique et qui garde un œil sur tout, nous rapporte un article du ‘Financial Times’ sur une réunion entre le Premier ministre israélien et ses généraux et chefs des services de renseignement.

« Couards !, leur a-t-il lancé. Vous préférez exercer une telle pression sur le premier ministre d’Israël plutôt que sur le chef du Hamas ! »

Là-dessus, Mercouris se fait un plaisir, sinon un délice, – il me semble qu’il buvait du petit lait, mais vraiment en toute objectivité et sans parti-pris, – de nous décrire ce qu’il perçoit de l’atmosphère régnant actuellement en Israël :

« Je vais aller encore plus loin d'ailleurs. Israël est un démocratie constitutionnelle, c'est au moins un pays où l'armée, les gens de la sécurité et du renseignement sont complètement sous l’autorité légale. Je dis autorité constitutionnelle alors qu’Israël n'a en fait pas de Constitution écrite, mais de toute façon il y a le Premier ministre légitimement élu. Dans n'importe quel autre pays auquel je peux penser, du moins dans n'importe quel autre pays du Moyen-Orient, dans tout autre pays en dehors de l’Occident-collectif, [...] une querelle de ce genre créerait la situation pour un coup d'État en fait. Je dis juste que je ne m'attends pas à ce que cela se produise en Israël mais c’est pour illustrer l'ambiance à Jérusalem et à Tel Aviv où ces décisions sont prises, cette ambiance doit être incroyablement difficile en ce moment...

» Quoi qu’il en soit, si les choses ne vont  pas très bien dans l’affrontement avec l’Iran, une telle situation en Israël risque d’avoir de très sérieux prolongements [en Israël même]... »

Si vous étiez un esprit simple en même temps qu’un dirigeant iranien, votre conclusion serait : pourquoi attaquer ? Il suffit d’agiter de temps en temps le spectre de l’attaque, de déplacer des batteries de missiles antiaériens, l’une ou l’autre unités, d’inviter un ou deux généraux russes pour discuter le bout de gras, bref s’agiter pour faire croire qu’effectivement on va attaquer et justement ne pas attaquer, – pour faire hurler leurs nerfs à vif et faire exploser la bouilloire israélienne qui n’en peut plus d’attendre et passe le temps en s’insultant et en se prenant par le col...

Triste mois d’août, le mois des grandes guerres.

Fort bien, tout cela mais, – et l’Amérique ? J’allais l’oublier, moi. Mercouris n’oublie rien et c’est la première fois que je l’entends employer un terme un peu leste, – oh à peine mais tout de même :

« Les Américains, eux, sont complètement à l’Ouest  [“to be at sea”], ils n’ont aucun contrôle sur la situation réelle, ils tentent de recoller les pots cassés avec les Qataris en tentant de les convaincre qu’ils étaient de bonne foi en parlant d’un cessez-le-feu depuis le début, qu’ils ne complotaient pas avec les Israéliens... »

Voilà, c’était une visite à une phase extrêmement tendue du Grand Jeu qu’Américanistes et Israéliens sont en train d’exécuter dans la région. Je trouve que c’est rassurant, c’est une sorte d’hollywoodisme qui marche cul par-dessus tête.