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14 avril 2004 — Dans le Daily Telegraph de ces derniers jours, on trouve un intéressant quoique involontaire échange d’articles antagonistes, et entre deux hommes qu’on a l’habitude de voir main dans la main, surtout lorsqu’il s’agit d’Irak et de politique musclée. Il s’agit, successivement :
• d’un article de Niall Ferguson, l’éminent et passionné historien britannique, dans les éditions du 10 avril du Daily Telegraph, avec le titre assez révélateur : « This Vietnam generation of Americans has not learnt the lessons of history ». (On a déjà l'évolution de la position de Ferguson au travers de certains de ces textes.)
• d’un article de Mark Steyn, chroniqueur canadien de tendance impérialiste britannique et proche des néo-conservateurs US, et publiant surtout au Royaume-Uni. (Steyn est-il Canadien, Britannique, Américain ? Who knows ? Pour sûr, c’est un vrai homo transatlanticus.) L’article de Steyn est publié dans les éditions du 13 avril du même Daily Telegraph. L’article de Steyn, « Liberty and imperialism don't mix », est une vive critique de l’article de Ferguson, et il défend bien entendu la position et le comportement américains, mais à sa façon si l’on veut.
Il n’est pas sûr que les arguments soient fondamentalement nouveaux. Certes, ici et là, il n’est pas inintéressant de rappeler quelques faits intéressants. Ferguson s’en prend à un comportement américain avec une rage contenue, à mesure de ce que fut son enthousiasme pour les premiers temps de la soi-disant “aventure impériale” des USA depuis 9/11. Son attaque touche l’extraordinaire manque d’intérêt des Américains pour l’histoire et ses leçons (dans ce cas, Ferguson pense à l’histoire de l’empire britannique, dont il est un fervent zélateur). Les détails sont intéressants, voire piquants.
« Around this time last year I had a conversation in Washington that summed up what was bound to go wrong for America in Iraq. I was talking to a mid-ranking official in the US Treasury about American plans for the post-war reconstruction of the Iraqi economy. She had just attended a meeting on precisely that subject. “So what kind of historical precedents have you been considering?” I asked. ”The post-Communist economies of Eastern Europe,” she replied. “We have quite a bit of experience we can draw on from the 1990s.”
» When I suggested that the problems of privatisation in Poland might not prove relevant on the banks of the Euphrates, she seemed surprised. And when I suggested that she and her colleagues ought at least to take a look at the last Anglophone occupation of Iraq, her surprise turned to incredulity. Not for the first time since crossing the Atlantic, I was confronted with the disturbing reality about the way Americans make policy. Theory looms surprisingly large. Neoconservative theory, for instance, stated that the Americans would be welcomed as liberators, just as economic theory put privatisation on my interlocutor's agenda. The lessons of history come a poor second, and only recent history — preferably recent American history — gets considered.
» That's why there hasn't been a month since the invasion of Iraq last year without some clapped-out commentator warning that Iraq could become “another Vietnam”. For many Americans - including the Democratic contender for the presidency, John Kerry — the only history relevant to American foreign policy is the history of the Vietnam War. True, the Department of Defence has commissioned some ambitious historical studies. In August 2001, Donald Rumsfeld's office produced “Strategies for Maintaining US Predominance”, which compared America's bid to establish “full spectrum dominance” with the attempts of previous empires. Most of it, however, consisted of pretty superficial economics and the conclusion was that technological change has put the US in a league of its own, so more detailed comparative study would be superfluous. »
Steyn admoneste son ami Ferguson. Il estime que Ferguson n’a rien compris à l’Amérique. Ferguson, nous dit-il en substance, a tort de faire le parallèle entre l’empire britannique et la soi-disant volonté impériale des USA. En fait, cette volonté n’existe pas et n’a jamais existé. L’Amérique est trop le pays de la liberté pour être un pays impérialiste.
Cela n’est pas faux, — sauf qu’il faudrait investiguer pendant qu’on y est, voir si cette liberté n’est pas celle, sans limite à ce moment-là, d’être conforme à la façon d’être et aux conceptions américaines ; voir si elle ne mène pas, cette liberté, à cause de ses contradictions et de ses distorsions, au contraire de la liberté. (On connaît la musique, à défaut de connaître la réponse, — mais grâce à la musique, la réponse n’est plus si loin.)
Au reste, la chute est intéressante : Steyn, après avoir durement ferraillé, après avoir pendant des mois et des années, in illo tempore, annoncé le triomphe américain, aujourd’hui termine par cette affirmation, si incertaine finalement, si pathétique, et si vaine au bout du compte : « America may fail. But it will be an American failure. »
« I know how the Prof feels. After 9/11, I wasted many months urging formal imperialism on the Americans. The hands-off approach — “He may be a sonovabitch but he's our sonovabitch” — gave us the House of Saud and most of our present troubles. Better to kit out the chaps from the Beltway think-tanks in solar topees and ostrich feathers and make American imperialism an administrative reality. It could hardly get a worse press than the informal, cultural imperialism of hamburgers and ''Dude, Where's My Car?'' that provoked Jean-Pierre Chevènement, the former French defence minister, to claim America was dedicated to “the organised cretinisation of our people”. Might as well make the cretinisation more organised, I'd say.
» But no takers. America hasn't an imperialist bone in its body. For one thing, there's nobody to staff an imperial governing class. If you were the average 19th-century Englishman, life in the colonies had plenty of attractions: more land, better weather, the opportunity to escape the constraints of class. None of these factors applies to the average 21st-century American: if you're in Maine and you're sick of it, you can move to Hawaii rather than the Malay states.
(…)
» Speaking of Hawaii, why is it a state rather than a colony? …
» The very reason that Hawaii is a state is the same reason that America makes a poor imperialist: it is uncomfortable with colonial subjects; it lacks the benevolent paternalism necessary for empire. In Iraq, they're betting not on imperialism, but on liberty. That's a long shot, given the awful passivity and fatalism of the Arab world. But it's not inherently more preposterous than the fake Hashemite kingdom imposed on Mesopotamia by Britain. America may fail. But it will be an American failure. Imperial nostalgics who wish to live vicariously will have to look elsewhere. »
L’humeur de ces deux chroniqueurs est un signe intéressant. Ceux qui, hier, formaient les phalanges enthousiastes des partisans de la puissance américaine (impériale ou pas), aujourd’hui se déchirent. Cela vaut encore plus pour nos amis britanniques, dont le parti impérialiste et néo-impérialiste mit tant de lui-même dans le soutien de GW Bush, tant il y voyait une résurrection du grand Empire. Cela ne marche pas.
Steyn nous explique pourquoi, sans aller au bout de sa logique qui est que cette nation (les USA) avec la puissance d’un Empire et sans l’intelligence d’un Empire, avec la dynamique d’un Empire et sans la pérennité d’un Empire, est destinée par conséquent à échouer lorsqu’elle sera au bout de sa course sans repos et sans espoir, et sans but historique, lorsqu’elle sera par conséquent à bout de souffle et à bout de représentation virtualiste. Comme on sait, puisqu’on vient d’une puissance si grande et si haute : plus dure sera la chute. Nous n’en sommes plus très loin.