GW, de la réalité perdue au virtualisme

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Interrogé lors de sa conférence de presse du 14 février par un journaliste de ABC sur la question de savoir s’il y avait ou non la guerre civile en Irak, GW a enchaîné avec ce commentaire (rapporté par RAW Story) pour expliquer pourquoi il ne pensait pas qu’il y avait vraiment la guerre civile en Irak:

«It's hard for me living in this beautiful White House to give you an assessment, a first hand assessment. I haven't been there. You have, I haven't. But I do talk to people who are and people whose judgment I trust and they would not qualify it as that. There are others who think it is.»

Cette réponse est impressionnante d’ingénuité, voire de candeur. Elle nous confirme deux choses qui devraient nous apparaître évidentes, qui devraient nuancer tous nos jugements sur la valeur et la responsabilité des dirigeants modernes, sur la valeur et la responsabilité des politiques qui sont conduites par ces dirigeants.

• D’une part, l’isolement complet du dirigeant moderne de la réalité, isolement extraordinaire dans le cas de GW. S’il est question de le “jolie Maison-Blanche”, il devrait être question également des armées d’agents du Secret Service, du service de communication, etc., qui tendent un écran opaque et infranchissable entre le dirigeant et la réalité. (Il faut noter que Bush affirme qu’il n’a jamais été en Irak [“I haven’t be there”] alors qu’il y a été à plusieurs reprises. Ce n’est ni un mensonge ni un trou de mémoire. Entouré par et enfermé dans ce rideau opaque comme il l’était, il n’y a effectivement jamais été.) Si Bush vit dans sa bulle, on ne peut dire que quoi que ce soit ait été fait pour l’en faire sortir, et cela essentiellement par système et nullement par complot, — d’une façon d’autant plus hermétique en un sens.

• D’autre part, ceci étant la conséquence évidente de cela, il y a la façon dont Bush s’appuie complètement sur ses conseillers pour juger de la situation et prendre les décisions qu’on attend. C’est là où le caractère et la psychologie entrent en jeu. La faiblesse de caractère de Bush et sa psychologie très rudimentaire font qu’il en vient à transférer tout le poids du jugement sur les autres, et donc à se dégager de la seule pression qui pourrait conduire un dirigeant moderne à tenter de se faire une opinion par lui-même : sa responsabilité. Sa réponse au journaliste (“pensez-vous qu’il y ait la guerre civile en Irak?”) est finalement dans cette phrase : «But I do talk to people who are and people whose judgment I trust and they would not qualify it as that.». Cela signifie que ces personnes en qui Bush a confiance pensant qu’il n’y a pas la guerre civile, le jugement de Bush est qu’il n’y a pas la guerre civile : le rapport est direct, sans aucun filtre, — “ils pensent ceci, donc je pense (donc je suis)”. (Il y en a d’autres « who think it is»: libre à eux mais ce n’est pas l’affaire de Bush.)

• La question est bouclée lorsqu’on observe évidemment que ces personnes en qui Bush a confiance appartiennent à un système entièrement basé sur le conformisme et le carriérisme et dont les avis renvoient à la nécessité de satisfaire le président et non de l’informer. Ils vont donc donner au Président des avis sur la situation en Irak qui déforment celle-ci dans un sens optimiste. Le circuit est fermé. Il n’y a pas de référence à la réalité. Il n’y a pas de complot non plus. Il s’agit d’une pente humaine naturelle dans un système dont les contraintes de fer ne laissent guère d’occasion de délibérer selon ses propres conceptions et son propre sens de la responsabilité, — quand il en reste chez l’un ou l’autre.

Il n’y a rien de nouveau dans ce circuit très humain des systèmes politiques décadents. Les dimensions extraordinaires de la situation tiennent essentiellement à trois choses : à la puissance de la communication, qui ne laisse aucune place à la réflexion et au doute éventuel par accident ou par inspiration (mise en cause éventuelle des avis qui lui sont donnés par le Président, au vu des effets à long terme de sa politique) ; à la puissance nécessaire du conformisme, qui interdit les accidents et sélectionne ou influence des psychologies conformes (celle du président, celle de ses conseillers) ; à la puissance brute, tant militaire qu’économique, dont dispose le système, qui fait que chaque décision erronée entraîne des conséquences immédiates et catastrophiques.

Est-il utile d'ajouter qu'ainsi se trouve ouverte la voie royale, ou impériale dans le cas US, pour l'installation du virtualisme, — qui est de croire à tout cela de la façon la plus forte et intellectuellement la plus élaborée?


Mis en ligne le 16 février 2007 à 08H37