GW est-il prisonnier de John Bolton?

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GW est-il prisonnier de John Bolton?


23 avril 2005 — Événement important, GW Bush s’est impliqué directement dans le soutien à John Bolton, en difficulté pour la confirmation de sa nomination comme représentant des USA à l’ONU. Cet événement politicien a beaucoup d’“atouts” pour devenir un perfect storm politicien capable de secouer l’administration GW.

L’interprétation générale de cet acte important (GW prend des risques considérables en mettant son crédit dans une affaire qui ne va pas très fort, Bolton étant très contesté) est que la nomination de Bolton représente un point important pour la politique étrangère de l’administration. Bien entendu, l’intervention de GW est à la fois la confirmation des difficultés rencontrées par Bolton et la marque de la forte pression que l’administration GW veut imposer aux parlementaires républicains pour qu’ils suivent la discipline de vote.

(George Voinovich, un des dix sénateurs républicains de la Commission des relations internationales du Sénat qui devait voter jeudi sur la confirmation, a demandé un délai de réflexion. D’autres sénateurs républicains de la Commission hésitent et prétendent n’être pas mécontents du délai pour “s’informer plus amplement”. Les trois semaines qui nous séparent désormais du vote vont être mises à profit par les démocrates pour accentuer leur pression contre Bolton. Quant aux républicains en général, ils sont bien plus divisés que ne le suggèrent les remous constatés au sein de leur représentation à la Commission, et l’on sait par exemple que Richard Lugar, le président de la Commission et le chef de file des républicains pour les questions de politique étrangère, vote pour Bolton par “raison de parti”, qu’il hait Bolton et la politique extérieure brutale qu’il représente. Les démocrates sont huit au sein de cette Commission et votent tous contre Bolton.)

Parmi d’autres, dont celui du New York Times du 21 avril qui rend compte de l’opposition (à Bolton) de Colin Powell et de ses palinodies pour ne pas trop le dire tout en le faisant savoir, l’article du Guardian du 22 avril rend bien compte de la situation.


« President George Bush yesterday weighed in publicly for the first time to try to swing Republicans behind his controversial choice of US ambassador to the United Nations.

In a week of unusual division among Republicans, Mr Bush's efforts appeared aimed as much at his own party as at Democratic senators, who have fought strenuously to try to derail the candidacy of hardliner John Bolton.

» “John's distinguished career in service to our nation demonstrates that he is the right man at the right time for this important assignment,” Mr Bush told a conference of insurers in Washington. “I urge the Senate to put aside politics and confirm John Bolton to the United Nations.”

» The intervention was seen as sign of how important the struggle over Mr Bolton's appointment is to Mr Bush's second term agenda. Behind the scenes, the White House has contacted wavering Republicans offering private meetings with Mr Bolton, who is known to have the strong backing of the vice president, Dick Cheney. »


L’analyse générale du motif de politique extérieure, voire de grande politique, qui aurait poussé GW à soutenir Bolton jusqu’au bout, nous paraît à la fois très rationnelle et complètement improbable, et ceci à cause de cela. L’administration GW, comme Washington d’ailleurs, fonctionne selon d’autres dynamiques.

Dans un premier temps, devant l’évidence de l’évolution de plus en plus préoccupante du processus de confirmation, la réaction de la Maison-Blanche (GW, mais surtout Karl Rove) a été de songer à retirer son soutien à John Bolton pour éviter de trop grands risques de dommages politiques. Mais le vice-président Cheney, qui est le “parrain” de la nomination de Bolton, est intervenu avec force pour une décision inverse. Cheney a argumenté que Bolton représentait la partie la plus “dynamique” de l’aile politique extrême qui soutient GW Bush. Le recul de Bush, a dit Cheney, aurait un effet désastreux à ce niveau du soutien dynamique à GW en même temps qu’il ouvrirait une large brèche à une opposition qui a été contrôlée jusqu’ici. Rove s’est rendu à ces arguments.

D’un point de vue politique, Cheney n’a pas tort. L’affaire Bolton est devenue si sensible qu’elle mobilise les deux extrêmes, aussi bien les démocrates activistes qui entraînent le reste du parti contre Bolton, que les républicains extrémistes, qui placent le reste du parti et l’administration devant leurs responsabilités.

Remarquons, pour bien mesurer les enjeux:

• Le soutien des néo-conservateurs à Bolton est acquis, mais plus pour le principe de l’activisme que pour l’homme lui-même. Bolton n’est pas un “neocon”. Néanmoins, ses prises de position ultra-dures ont fait de lui un représentant de la politique extrémiste de l’administration. Désormais, son retrait serait une défaite pour cette politique. C’est ce qu’exprime un édito de William Kristoll, dans le Weekly Standard du 2 mai:


« Similarly, if the Bolton nomination is lost, there will be real consequences, as presidential appointees start shying away from tough decisions, confrontations with the permanent foreign policy bureaucracy, and ''controversial'' ideas so as not to be ''Boltoned.'' Republicans lost the Bork fight--partly through failures of nerve and intelligence--and the country has paid a price in constitutional jurisprudence. Now, however, there is a Republican Congress and a determined president--and also, perhaps, a greater willingness to undertake such fights among conservatives. A good thing, too, for we could pay almost as great a price in foreign policy if the Borking of Bolton is allowed to succeed. »


• La vraie résistance vient des ultra-nationalistes interventionnistes. Un texte signé des “éditeurs” de la “National Review”, en date du 22 avril, signifie le véritable enjeu de cette bataille à l’administration GW Bush. Le ton est net, clair, presque menaçant pour le président, avec l’emploi d’un verbe comme must: « …now Bush must be a Bolton loyalist. » L’idée est simple: Bolton a bien servi GW; maintenant, GW doit renvoyer l’ascenseur; il doit cesser de dénoncer de vagues attaques politiciennes et imposer Bolton comme son véritable porte-parole et praticien à l’ONU de la politique bushiste, laquelle consistera à tailler en pièces l’Organisation internationale.


« So Powell talks down Bolton to Republican senators and assents to his former chief of staff viciously attacking Bolton in the press. President Bush shouldn't allow this to stand. John Bolton is being attacked precisely because he is a Bush loyalist. The battle over his nomination is a proxy for what has been the essential nugget of so many of the internal fights over Bush foreign policy — whether the president gets to set its direction or not. It is time for Bush to stop making general complaints about “politics” playing a role in the nomination fight and instead call Democrats on what is their real objection to Bolton: that he will be too aggressive in representing the U.S. at the United Nations and in challenging the corrupt and ineffectual status quo at the world body. That will create a debate that Bolton's defenders can win. Bolton was a Bush loyalist; now Bush must be a Bolton loyalist. »


Drôle d’affaire, pleine d’inconnus et de potentialités explosives. Elle montre que l’administration GW est prisonnière des ses soutiens extrémistes bien plus que maîtresse du jeu à cet égard. L’affaire n’est pas loin de nous dire que GW est prisonnier de Bolton, ce qui se trouve in fine dans l’expression « Bush must be a Bolton loyalist ». Parmi les “potentialités explosives” se trouve celle que l’affaire devienne incontrôlable et débouche sur un affrontement politicien à Washington.

Résumons les possibilités de développement, — qui sont toutes déstabilisantes:

• GW capitule et laisse tomber Bolton. Il se retrouve attaqué sur sa droite et privé des soutiens dynamiques de sa politique. Pour les retrouver, il devra donner des gages et mener une politique encore plus dure et affronter les démocrates jusqu’à la mort. Perspective déstabilisante.

• GW soutient Bolton jusqu’au bout et Bolton est battu. C’est un cinglant revers pour l’administration, qui nécessite là aussi une riposte ultra-dure, sur les deux fronts: politique extérieure anti-onusienne, politique anti-démocrate à Washington. Et il faudra recaser Bolton à un poste d’influence, mais sans qu’il doive repasser devant la Commission Lugar (par exemple, s’il est nommé au Pentagone, qui dépend de la Commission sénatoriale des Forces Armées). Perspective déstabilisante.

• GW soutient Bolton, qui l’emporte. Nous aurons un Bolton grandi après son humiliation devant les sénateurs. Les démocrates de Washington la sentiront passer, de même que l’ONU et les alliés récalcitrants. Perspective déstabilisante.

• Bolton se retire de lui-même pour éviter une confrontation finale. Perspective bien improbable, mais également déstabilisante. Bolton devient un martyre et ses soutiens se déchaînent en son nom.

Dans tous les cas, également, on est assuré d’assister à un déchirement au sein du parti républicain, où les conservateurs classiques et les modérés supportent de moins en moins la loi de fer des extrémistes.