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5 juillet 2003 — En deux jours, deux hommes ont fait parler d’eux d’une bien étrange façon. Ces deux hommes ne sont pas, paraît-il, n’importe qui, ou “monsieur tout-le-monde” comme on dit dans la presse chic. Il s’agit d’un président, sorte d’Empereur à ses heures, et d’un Premier ministre, milliardaire dans les affaires à toutes les heures.
Il s’agit de GW avec son « Bring ‘em on ! » (le “qu’ils y viennent !” adressé aux Irakiens anti-US attaquant les troupes US) ; de Berlusconi avec sa remarque comparant à un Kapo de camp de concentration nazi un député allemand qui l’interrogeait sur sa façon d’intervenir dans le judiciaire pour régler ses affaires personnelles. Ces deux épisodes, complètement sans intérêt en eux-mêmes, sont au contraire très intéressants parce qu’ils sont indirectement si révélateurs de choses et de situations d’habitude cachées.
D’abord, il y a le constat des dimensions extraordinaires qu’ont pris ces “mots” en soi sans intérêt, et qui semblent pourtant en avoir beaucoup puisqu’on s’y arrête d’une façon aussi insistante. A Washington, le mot de GW touche un nerf très sensible à propos de la présence des forces US en Irak ; et un autre nerf pas moins sensible, qui concerne GW lui-même, ce qu’il vaut, ce qu’il dit, et pourquoi, etc.
Concernant Berlusconi, la réaction n’est pas moins révélatrice. Les commentaires sont nombreux, certains prenant une allure extrêmement grave jusqu’à mettre en cause Berlusconi lui-même, sa capacité à diriger son pays et, — plus encore, — sa capacité à représenter l’Europe. Les deux analyses, parmi d’autres certes, que fait le quotidien The Independent de cet incident sont révélatrices, y compris cette observation étonnante selon laquelle la remarque de Berlusconi constitue un argument particulièrement solide en faveur des propositions de Giscard d’Estaing. (Ce qui revient à dire dans ce cas qu’en acceptant la proposition de Giscard sur la présidence de l’UE, on évite qu’un Berlusconi se trouve en position de représenter l’Europe.)
« His comments might have boosted the case for replacing the EU’s system of rotating presidencies with a semi-permanent president of the council. That has been proposed by the former French president Valéry Giscard d'Estaing, who is drawing up a draft constitution for the EU. »
Les deux cas, GW et Berlusconi, sont-ils si différents ? Rien n’est moins sûr, si on laisse de côté le contenu de ces remarques, leur signification, leur contexte, etc. Deux choses nous semblent intéressantes, finalement, à propos de ces affaires mineures en soi : les deux personnages qui ont fait ces remarques d’une part, les conséquences de ces remarques qui auraient dû rester ce qu’elles étaient, déplacées mais anodines, d’autre part.
• Le problème est que ces deux personnages occupent des fonctions suprêmes. Leurs interventions qui sont du même calibre dans le domaine de la créativité et de l’intensité dénotent chez eux une recherche de l’effet face à une situation désagréable, qui place, ou dont ils s’imaginent qu’elle les place dans une position où leur image de dirigeant politique pourrait être ternie par le soupçon d’incompétence, de corruption, de ridicule, etc. Il n’est question que d’image, de posture, d’apparence et d’effet. Il n’y a chez eux aucune recherche de profondeur, aucune attention pour la moindre finesse, ni la moindre recherche de compréhension de la substance d’un problème, etc. Ce ne sont ni des hommes politiques, ni a fortiori des hommes d’État. Ce sont des personnages jouant un rôle, et un rôle qu’ils jugent eux-mêmes être de la plus grande hauteur, — d’où leur susceptibilité devant la menace d’une situation où ils pourraient apparaître comme de mauvais figurants de leur rôle. La vanité a évidemment sa place dans leur comportement mais il y a surtout ce désir de bien faire qui caractérise leur démarche d’hommes n’ayant jamais rien eu de commun avec la substance de la politique et qui jouent le rôle d’hommes qui doivent nécessairement avoir du commun avec la substance de la politique. Quelles que soient leurs qualités ou leurs défauts par ailleurs, GW et Berlusconi paraissent dans ces épisodes comme des figurants ayant bien mal été instruits de leurs rôles ; il est vrai qu’ils ont pour maîtres des hommes de communication et non des politologues. En un mot, on est stupéfait que “le système” (ils font tous partie du même lot) ne soit pas capable de produire autre chose que cela, des figurants d’un autre calibre.
• Les réactions si violentes qu’on observe, — surtout pour Berlusconi mais, finalement, pas tellement moins pour GW, — montrent qu’il y a une perception générale que ces personnages sont gravement insuffisants, qu’ils manient bien mal l’apparence de problèmes qui existent, dont la substance est extrêmement grave. Ces réactions extrêmes montrent que le sentiment général existe qu’un système si totalement fondé sur l’image, la dissimulation générale et systématique des réalités, bref du système qu’on peut nommer virtualisme, arrive à ses limites avec des personnages de cette sorte, mis dans des situations qui leur correspondent si peu qu’on peut craindre, dans certains cas, des réactions très difficiles à contrôler.
Bien sûr, ces observations sont faites en se nourrissant d’un contexte général de fonctionnement du système qu’on connaît. Elles ne sont pas tombées du ciel, de même que les deux remarques ne sont pas vraiment une surprise. Il s’agit plutôt de la concrétisation d’une situation générale. Il y a dans la population habituelle du système la perception instinctive et diffuse, mais très forte, au travers de ces deux incidents et des réactions qu’ils ont provoquées, que ce même système est dans une crise profonde et qu’il n’est pas loin du blocage.