GW et la ''dictature de la majorité''

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GW, le Moyen-Orient, les sondages et la «dictature de la majorité»

Le 9 avril 2002. — Divers sondages et enquêtes indiquent combien les Américains se trouvent aujourd'hui de plus en plus majoritairement favorables à une position complètement unilatérale au regard de ce qui se passe au Moyen-Orient, entre Israéliens et Palestiniens, naturellement en faveur des Israéliens. (On peut consulter aussi bien un sondage de CNN du 8 avril qu'un sondage publié le 8 avril par le site WorldNetDailyD> sur cette question.) Désormais, pour une forte majorité d'Américains, Arafat est un terroriste et « un ennemi des États-Unis » (pour 58% d'entre eux, contre 51% la semaine précédente, pour le sondage WorldNet Daily).

Un aspect remarquable de cette situation statistique, c'est l'identification implicite que les Américains opèrent. Les Américains perçoivent la violence en cours comme strictement justifiée par la moralité et de la justesse de la cause israélienne. Lorsque des questions concernant les efforts à envisager « pour faire cesser la violence » sont posées, les réponses des Américains montrent qu'ils estiment que c'est aux Palestiniens de les faire. Pour les Américains, le spectacle qui défile devant leurs yeux à la télévision de Tsahal en train de nettoyer les territoires palestiniens, c'est l'image d'une force armée injustement attaquée et qui se défend comme elle peut, contre les attaques vicieuses d'une force qu'on ne peut qualifier autrement que de “terroriste”, et qui, de toutes les forces, ressort de l'activité du Mal. C'est, selon les termes mêmes employés par GW depuis des mois, le Bien qui tente de repousser les attaques du Mal. Il s'en déduit, selon la logique du symbolisme utilisé depuis le 11 septembre 2001 par les dirigeants américains pour caractériser la situation, que les Israéliens sont des Américains, parce que les uns et les autres font partie du ''camp'' du Bien.

On doit constater combien l'activité de communication de l'administration GW, suppléée par une activité médiatique orientée presque unanimement dans le même sens, a été efficace depuis le 11 septembre et l'attaque terroriste contre les USA. Elle a réussi à transcrire dans la ''réalité'' de la perception américaine cette idée manichéenne du partage du monde entre Bien et Mal. (Reconnaissons que le terrain était bien préparé et de toutes les façons extrêmement fécond, et historiquement fécond, tant cette appréciation correspond en tous points à la psychologie américaine moyenne.) D'où nous vient la remarque que l'administration GW a désormais un problème de fortes dimensions, dont le malheureux Colin Powell a commencé à goûter les fruits plutôt amers, dès le début de sa tournée vers le Proche-Orient, avec l'accueil glacial des pays arabes.

L'administration GW s'est enfermée dans une position maximaliste type Bien-Mal depuis le 11 septembre, le terrorisme figurant le Mal et la guerre qui est menée contre lui devant être à outrance, sans limites et sans compromis. Quoique dit la raison du fondement de cette démarche, il s'agit, pour le court terme et pour les ambitions d'un politicien, d'une position confortable, avec une rhétorique qui va de soi et qui assure des plus de 80% à des plus de 90% de soutien au président. Dans la stratégie de la Maison-Blanche, une fois fixé le rapport entre la guerre du Bien contre le Mal et acquis les sondages très élevés, il restait à ce que les événements confirment et justifient l'analyse fondamentale ainsi proposée (plutôt que le contraire, signe des temps). Les choses ont été tant bien que mal depuis le 11 septembre.

La crise du Moyen-Orient depuis la fin mars est, par contre, un énorme revers pour cette politique de communication interprétative. On le comprend bien, la situation dans cette zone a beaucoup de mal à tenir dans le schéma manichéen imposé par la “doctrine Bush” et applaudi par 90% d'Américains. (En d'autres termes, la crise au Moyen-Orient est la confrontation, jusqu'ici évitée, entre l'interprétation virtualiste de la réalité et la réalité.) L'administration GW, qui a divers intérêts à suivre et à conforter dans la réalité, essentiellement pour l'entretien de ses liens avec les pays arabes, doit envisager de composer. Comme Powell s'en est aperçu, ce ne sera pas simple.

Mais la question centrale est celle-ci : l'administration pourra-t-elle composer, c'est-à-dire passer de la conception absolue à la conception relative, c'est-à-dire éventuellement proposer l'idée que Arafat n'est peut-être pas complètement un homme du Mal, et les Palestiniens pas tous peu ou prou des terroristes ? Pourra-t-elle retrouver un rôle à peu près normal de médiateur, de conciliateur, entre deux parties qu'on s'obstine par ailleurs à désigner comme le Mal et le Bien ? Le lui permettra-t-on, ou, plutôt, se le permettra-t-elle ? Car, dans ce cas, dans le cas d'une orientation relativiste de la politique US, du blanc-noir aux nuances de gris, comment être assuré de pouvoir empêcher que le soutien de la population américaine à l'administration GW s'effrite, cela à sept mois d'élections législatives importantes ? (Pour comprendre ou anticiper une politique américaine que vous ne comprenez pas et jugez impossible à anticiper, confrontez-là à la prochaine échéance électorale.) La puissance américaine et la puissante administration décidée à se servir sans réserve de cette puissance, se retrouvent aujourd'hui fortement liés à la conjoncture statistique américaine.

D'une façon ou l'autre, cela s'appelle la « dictature de la majorité ». Tocqueville en avait parlé en 1835, avec talent, et justement pour le cas américain. Le cas envisagé ici et tout ce qui lui est lié et qui a rapport avec l'opinion du public US exprimée dans les sondages, tout cela nous offre une curieuse version post-moderne de la vertu démocratique adaptée à l'époque post-9/11.