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14 août 2005 — On a lu l’article du Daily Telegraph qui nous signale un accrochage sérieux entre le général Casey, qui commande les forces terrestres US en Irak, et la direction civile de l’administration. Le cas est simple : Casey avait annoncé publiquement des réductions de forces US en Irak pour l’année prochaine. GW a “démenti”. En privé, Casey en a pris pour son grade (trois étoiles).
« The top American commander in Iraq has been privately rebuked by the Bush administration for openly discussing plans to reduce troop levels there next year, The Sunday Telegraph has learned.
» President George W Bush personally intervened last week to play down as “speculation” all talk of troop pull-outs because he fears that even discussing options for an “exit strategy” implies weakening resolve.
» Gen George Casey, the US ground commander in Iraq, was given his dressing-down after he briefed that troop levels — now 138,000 — could be reduced by 30,000 in the early months of next year as Iraqi security forces take on a greater role. »
Ce qui nous intéresse ici n’est pas le conflit lui-même (réduction ou pas des troupes US en Irak l’année prochaine, — les choses changeront d’ici 2006). L’important, c’est l’affrontement quasi-ouvert entre un général et la direction civile. (Pas à l’échelon Rumsfeld, mais au plus haut niveau, avec GW qui a été chargé du boulot de remettre les perspectives en place selon les conceptions de l’administration.) La question n’est pas un simple problème de communication (de coordination) ou un problème personnel (entre un général et l’administration).
Il est évident que les militaires du Pentagone considèrent l’actuelle campagne irakienne comme catastrophique, notamment au niveau des ressources et des moyens que cette campagne nécessite et qui font peser un poids considérable sur les budgets courants des forces armées.
[Sur le fait même des effectifs en Irak, les militaires ont toujours marqué leur désaccord. En 2002, le général Shinseki, alors chef d’état-major de l’U.S. Army, avait averti qu’il faudrait au moins 400.000 hommes pour tenir l’Irak. (Disant cela, Shinseki n’ignorait pas qu’il s’agissait d’une suggestion qui interdisait quasiment de lancer l’opération en Irak puisque l’U.S. Army n’avait pas, — et a encore moins aujourd’hui, — un tel effectif disponible.) Ces évaluations de Shinseki avaient été tournées publiquement en ridicule par Wolfowitz et Rumsfeld. Aujourd’hui, il s’avère évidemment que Shinseki avait raison.]
Ce que représente l’incident Casey-GW, c’est essentiellement un signe très pessimiste pour l’avenir. Certaines sources affirment que Casey est intervenu à partir d’une information venue de sa chaîne de commandement mais qu’on lui avait dit ne pas avoir été officiellement approuvée par le pouvoir civil. Il n’a néanmoins pas hésité à en faire publiquement état. (D'autre part, la lenteur de la répartie du président contre ses affirmations, l'absence de démenti public des propos du général, montrent que le pouvoir civil n'est pas à l'aise avec ses généraux. Signe classique de faiblesse même si la politique consiste à rouler des épaules.)
Seymour Hersh a rapporté dans un article récent que nombre de militaires américains, impliqués dans la préparation d’une possible attaque contre l’Iran, exprimaient leur désaccord véhément en privé, mais s’abstenant d’interventions officielles bien entendu. (En effet, les perspectives de la crise iranienne devraient s’ajouter à celles de la crise irakienne dans la tension entre militaires et civils.) L’abstention publique des militaires dans leur opposition aux aventures extérieures de l’administration GW Bush pourrait alors changer et l’on pourrait assister à des tensions plus officiellement visibles, pouvant conduire à une crise grave au sein des structures de sécurité nationale washingtoniennes. Il suffirait pour cela de quelques facteurs concomitants, déjà en développement ou menaçant de se développer, qui pourraient aisément additionner leurs effets :
• La poursuite des troubles en Irak, interdisant toute planification sérieuse (notamment de retrait) des forces américaines de ce pays.
• Des difficultés grandissantes pour amener à des conditions justifiant une attaque contre l’Iran, notamment difficultés avec l’ONU et avec des pays alliés, aboutissant à une situation d’engagement s’apparentant assez à celle de l’Irak en 2002-2003.
• Une confirmation de la situation catastrophique des capacités d’équipement et de modernisation des forces à cause des ponctions de la campagne irakienne sur le budget du DoD.
Il ne fait aucun doute que les structures militaro-politiques sont, à Washington, soumises à des tensions internes et diviseuses. Jusqu’ici, les militaires sont restés sur la réserve devant une politique qu’ils jugent dévastatrice et particulièrement dommageable pour leurs intérêts. Des événements extérieurs déstabilisants pourraient conduire à un état de crise ouverte. C’est un risque important de l’actuelle situation washingtonienne, caractérisée par le pire des maux qui puisse toucher une structure comme celle de la bureaucratie de sécurité nationale qui domine tout le système : l’éclatement des divers groupes d’intérêt (idéologues, politiques, forces armées, etc) dans des positions différentes, voire antagonistes.