GW sans Sharon, ou comment s’en laver les mains

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GW sans Sharon, ou comment s’en laver les mains


7 janvier 2006 — Il y a des réactions étranges à Washington devant le départ forcé d’Ariel Sharon. (Nous écrivons “étranges” dans un premier mouvement, le cédant au bon sens. En réalité, réactions conformes à l’américanisme.)

Ci-dessous, nous donnons un compte-rendu de nos sources internes de quelques réactions d’experts américanistes. Ces réactions nous paraissent exprimer une analyse intéressante et correspondant à la réalité.

« Les Etats-Unis sont confrontés à des choix difficiles avec la fin probable de l'ère Sharon pour poursuivre le processus de paix au Proche-Orient, mis à mal sur plusieurs fronts, et présenté comme priorité de l'administration Bush. Selon les analystes consultés à Washington, l'absence du Premier ministre israélien Ariel Sharon de la scène politique laisse Washington sans véritable partenaire israélien pour conclure des accords avec les Palestiniens et assombrit l'avenir du processus de paix, soutenu par les Américains. Les experts se demandent même si l'administration du président Bush va continuer à s'investir dans la recherche de la paix si des changements politiques viennent sans cesse bouleverser les avancées. Ils s'interrogent sur l'opportunité pour les Etats-Unis de continuer à s'investir dans un processus qui subit sans cesse des revers. “La question est de savoir jusqu'où Washington est prêt à s'investir pour faire revivre le processus diplomatique. Ou alors les Américains se contenteront-ils de rester de côté et de tenter de faciliter des mesures unilatérales ?”, se demande Scott Lasenksy, du groupe de réflexion Institute of Peace basé à Washington. La plupart des experts soulignent que la priorité immédiate pour les Américains est d'assurer le bon déroulement des élections palestiniennes et d'éviter l'ingérence des Israéliens dans ces élections. Selon Tamara Wittes, analyste spécialiste du Moyen-Orient à la Brookings Institution, “dans le court terme, Washington pourrait se mettre en retrait pour voir comment évolue la situation et laisser le processus politique israélien se gérer tout seul”. Jon Alterman, directeur du programme pour le Moyen-Orient au centre de stratégie et d'études internationales, pense que Bush pourrait même ne plus s'impliquer dans des efforts de paix si Sharon n'est plus en course. Selon Alterman, “les Israéliens devraient adopter une ligne plus dure face aux Palestiniens avec le départ de Sharon et ne plus être autant concernés par la recherche d'une solution visant à la création de deux Etats côte à côte. Cela ne donne pas aux Etats-Unis une grande marge de manoeuvre et je pense que le président Bush est plutôt à la recherche de succès et ne va pas s'investir dans des sujets très difficiles et dont l'issue est improbable”, a-t-il ajouté. »

Il s’agit des avis des experts, qui prennent un peu de recul et tiennent compte des données les plus larges possibles de la situation. Les commentaires des milieux officiels sont beaucoup plus prudents et ne disent rien des intentions de la Maison-Blanche, et surtout pas que l’administration va continuer à pousser le processus de paix. Par exemple, ce compte-rendu qui reflète les indications “off the record” venues de l’administration : « U.S. officials said Thursday that Israeli Prime Minister Ariel Sharon's grave illness does not necessarily mean the fitful Mideast peace process is in jeopardy, but they steered clear of predicting what would happen next. Officials said privately that they assumed Sharon had left the political stage, and that the era of politics and peacemaking he dominated was over. It will take time to sort out both Israel's political future and the U.S. response, said the officials. »

On s’en remettra beaucoup plus à l’avis des experts pour donner une appréciation de la position de l’administration. On pourrait alors définir cette position de cette façon : ne voyant pas le bénéfice immédiat qu’il peut en tirer, GW Bush serait prêt à laisser faire, voire à se retirer du jeu. A Washington aujourd’hui, à la Maison-Blanche, dans la situation politique qui s’est fortement détériorée, une seule chose compte : quel rapport immédiat, en termes de relations publiques, de popularité, de points marqués contre le Congrès, telle ou telle action extérieure rapporte? Si suivre la succession de Sharon en tentant de maîtriser le processus c’est prendre un risque, GW ne le prendra pas.

La position de Washington revient à deux traits essentiels :

• Comme dans toutes les situations (on l’a vu avec l’Irak), l’administration ne fait pas de planification. De fortes indications à Washington montrent qu’effectivement aucun contact, aucune anticipation n’ont été développés pour la disparition ou le retrait de Sharon. La politique américaine au Proche-Orient était complètement fondée depuis trois ans sur Sharon ; cette situation étant jugée confortable et efficace, on n’envisageait rien d’autres. La position de Washington est, pour l’instant, de complet attentisme.

• La politique américaniste est toujours la même : c’est estimer qu’au bout du compte, la puissance américaniste prendra le dessus et imposera sa volonté, même si l’engagement est tardif. (En d’autres termes : même si Washington se désintéresse d’Israël pour le moment, il reviendra dans le circuit quand il le voudra.) En général, c’est comme cela que se passent les choses, notamment parce que personne n’envisage de proposer une alternative structurée à la pression américaine. Pour autant, cela n’a rien à voir avec de la diplomatie : aucun contrôle, aucune présence dans les situations difficiles, donc aucune action constructive qui permettrait de mieux préparer l’après-Sharon. Les USA n’ont aucune diplomatie, ils ne comptent que sur leur poids. L’effet espéré est obtenu, qui est d’occuper la position prépondérante ; pour le reste, les problèmes s’aggravent dans l’entre temps, les solutions s’éloignent, le désordre franchit un pas de plus. Encore, une fois, et même pour une occurrence si contrôlable, la politique américaniste s’avère déstabilisante et déstructurante.

Pour autant, rien ne dit que des circonstances inédites ne peuvent surgir. La panique générale qui a marqué les premières réactions est une attitude politique conformiste et de survivance, sans la moindre mesure. Faire de Sharon un “homme de paix” comme on l’a souvent fait, c’est pousser le bouchon un peu loin. Sharon avait évolué, parce qu’il est impossible de ne pas évoluer dans les circonstances qu’il a affrontées, et où il avait une forte responsabilité. Il n’en restait pas moins tributaire de ce qu’il avait été, c’est-à-dire un homme peu incliné à trouver des arrangements basés sur autre chose que des rapports de force.

La situation en Israël est incertaine. Des hommes nouveaux sont en piste. C’est une situation nouvelle, d’où peuvent sortir des combinaisons ou des projets inédits. On ne peut guère en dire plus. On constate une fois de plus que l’action des forces déstructurantes (les forces radicales, GW, etc.) se confirme comme très limitée dans le champ de la créativité. Elles ne sont efficaces que lorsqu’elles peuvent exprimer leur puissance, lorsque la situation est nettement définie et réduit aux normes les plus sommaires de la binarité militante (type “bien contre mal”, “qui n’est pas avec moi est contre moi”, etc.). Elles pourraient être surprises par l’évolution de la situation en Israël, si celle-ci prenait un tour inattendu. C’est une possibilité qui doit être appréciée comme faible mais son existence est un élément nouveau.