Hamlet abandonnerait-il le JSF?

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Il y a eu diverses publications mettant en évidence l’annonce par une station de radio danoise, hier, que le ministère de la défense danois recommande l’achat du chasseur Boeing Super Hornet (F/A-18) et non du JSF pour l’équipement de sa force aérienne. C’est une considérable surprise, le Danemark étant engagé dans la phase développement du programme JSF et étant considéré comme un “marché captif” pour l’avion US.

Bill Sweetman, dans sa rubrique régulière sur le site AvionWeek.com (le blogAres”), en rend compte rapidement ce 15 mars 2010.

«Denmark's defense ministry is ready to recommend designating the Boeing F/A-18E/F Super Hornet as its next fighter, in place of the delayed and more expensive F-35 Joint Strike Fighter, according to a report on Danish radio.

»According to the report, the Danish decision has been in the works for some months and currently awaits an auditor's review before being forwarded to the full government and to parliament. The Gripen NG has also been ruled out - not a big surprise to Saab, which has scaled back its campaign in Denmark. […]

»Denmark is also likely to delay both its decision and the delivery date for new fighters, which are expected to enter service in 2017-18. Delays to JSF and the Pentagon's continued consideration of a further multi-year Super Hornet buy mean that the Boeing fighter is more likely to stay in production until then, and extend its retirement date.»

Notre commentaire

@PAYANT Le Danemark est le pays d’Hamlet (“To be or not to be”) et pourtant le Danemark semble être le premier pays qui commettrait le sacrilège de dire, enfin de susurrer, à confirmer certes, sur la pointe des pieds, — mais enfin, c’est suggéré d’une façon assez claire: “Le JSF, non merci…” Bien évidemment, ce n’est qu’une étape du processus de prise de décision dans ce pays, mais elle est vitale puisqu’il s’agit de la prise de position de l’autorité (le ministère de la défense) jusqu’ici considérée comme la plus nettement partisane du JSF, et celle dont l’avis compte le plus.

Les arguments contre le JSF portent sur la situation du programme, celle qu’on connaît bien; ses incertitudes, son coût, tout cela de plus en plus public à Washington, nourrissant désormais des polémiques majeures dans tous les centres de pouvoir concernés du système. De ce côté, rien de surprenant; il serait plutôt surprenant de constater combien, jusqu’ici, les divers (huit) pays engagés dans le programme sont restés remarquablement impavides devant les remous qui l’affectent. (Israël est à mettre à part, qui est en plus des huit mentionnés, dont on sait qu’il rechigne beaucoup à propos du JSF. Mais il n’y a pour l’instant que des décisions de repousser la commande envisagée de la part d’Israël.)

La position danoise n’est pas vitale pour le JSF, si l’on s’en tient à la comptabilité brute. Mais, avec le JSF, nous ne sommes pas dans la comptabilité brute. L’effet, la communication, l’interprétation, tiennent une place prépondérante. De ce point de vue, l’évolution danoise est, au contraire, extrêmement importante, représentant un symbole d’une très grande force. Pour la première fois dans l’ensemble de cet énorme programme, une autorité jusqu’alors tenue pour acquise se prononce officiellement (si le rapport est confirmé, certes) contre le JSF. C’est une étape essentielle dans le processus de dégradation du programme JSF.

(D’autres pays sont bien entendu en embuscade et pourraient être influencées par la décision danoise. C’est l’“effet domino”, chose bien connue, que nous pourrions rebaptiser en la circonstance l’effet “sauve-qui-peut”. On peut observer également la position particulière de la Hollande, où la crise gouvernementale est tombée bien à point pour repousser la décision de complément d’achat d’un premier JSF, et où la coalition qui pourrait émerger des élections pourrait rassembler des partis notoirement peu favorables à l’achat de l’avion.)

Retenez donc ce symbole comme une étape importante, et, dans ce cas, qu’elle vienne de ce petit pays qu’est le Danemark n’a que peu d’importance. Elle en a, par contre, dans la mesure où le Danemark fut l’un des quatre “pays-F-16” (les quatre pays européens de l’OTAN ayant choisi le F-16 en 1975: Belgique, Danemark, Hollande, Norvège). La Belgique était hors-jeu dès l’origine, en 2002, repoussant la décision de renouvellement de ses F-16 jusqu’à peut-être abandonner l’idée de les renouveler, et, de toutes les façons, ayant annoncé l’éventualité d’un “choix européen” pour plus tard, beaucoup plus tard (autour de 2015 et même plus tard, – mais plus personne ne parle de tout cela). Le maintien de la cohésion des trois autres pays donnait à leur position un rôle central de pérennisation de la pénétration structurée des grands systèmes d’arme US en Europe, et donc de la prépondérance US en Europe sur les questions de sécurité, avec le JSF succédant au F-16 comme outil de cette stratégie installée. De ce point de vue, le désistement désormais probable du Danemark est vraiment un très rude coup donné aux espoirs d’exportation du programme parce qu’il en disloque la cohérence, voire la vertu même.

Bref, rien de nouveau sous le soleil de ces derniers mois, voire de ces deux dernières années… Le programme JSF continue à se défaire en lambeaux divers, à se dissoudre, à se contracter en une catastrophe industrielle, avec effets politiques, aux dimensions exceptionnelles.


Mis en ligne le 15 mars 2010 à 07H36

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