Hamlet devant l’Afghanistan…

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Hamlet devant l’Afghanistan…

La semaine s’annonce difficile pour Obama, enfin une de plus. Cette fois, ou une fois de plus, il est question de l’Afghanistan. Le philosophe Manuel de Diéguez décrit, ce 5 octobre 2009 les déchirements intérieurs de Barack Obama, semblables à ceux de ce pays-continent à la tête duquel il se trouve, lui-même plongé dans l’embarras de l’impuissance et de l’indécision, à l’image d’un personnage shakespearien…

«Si M. Barack Obama se révélait donc un acteur shakespearien de l'histoire de la planète en ce début du XXIe siècle, il figurerait un Hamlet de la Démocratie viscéralement condamné à hésiter sans fin sur la terrasse d'Elseneur de l'Histoire entre la vocation d'empire de l'Amérique et celle du grand Israël, ces deux nations répondant au même modèle de conflit entre le glaive et le goupillon que le christianisme et la démocratie mondiale. Mais Barack Obama figurerait également le roi Lear, cet archétype immortel de l'impuissance politique, et Macbeth, cette effigie éternelle des relations pathétiques que le pouvoir politique entretient avec le meurtre profitable, pour ne rien dire d'une pièce bien oubliée, “Le sang de Danton” de Saint Georges de Bouhélier, le seul dramaturge français qui, à l'exemple de Shakespeare, ait tenté de porter le drame historique à une symbolique du sang répandu, celle du mythe biblique de la culpabilité héréditaire.»

Cette semaine, ce serait donc “une semaine cruciale” – encore une, répéterait-on, épuisé – et sur l’Afghanistan. Les dernières nouvelles du “front”, avec des pertes marquantes de huit soldats US tués, ajoutent à la pression pesant sur le président. Le Washington Times du 4 septembre 2009 le montre, déchiré entre ses conseillers, eux-mêmes déchirés en deux camps. Le quotidien proche de la droite néo-conservatrice, qui ne l’aime guère, présente ainsi le dilemme du président Barack Obama, qui montrera qu’évidemment nous voilà bien avancés dans la situation de l’indécision…

«With his military commanders stiffening their commitment to a troop buildup in Afghanistan and his political advisers hardening their support for pulling back, President Obama this week is carrying the weight of one his young presidency's most pivotal decisions.

»Either course he selects for the future of the Afghan war could present costly hazards. Send more troops into battle and he could become bogged down in an increasingly bloody conflict that could consume resources, rupture support from his political base, alienate his congressional allies and compromise his ambitious domestic agenda.»

A Copenhague, où il est allé soutenir malheureusement la candidature de Chicago aux JO de 2016, Obama a demandé à son commandant en chef en Afghanistan, le déjà très fameux McChrystall, qui se trouvait à Londres, de venir le rencontrer. Les deux hommes ont passé 25 minutes ensemble dans Air Force One. C’était la deuxième fois qu’ils se rencontraient, depuis que McChrystal a été nommé, en mai dernier. Le site Danger Room présente cette rencontre, le 3 octobre 2009, dont il nous semble qu’il nous dit essentiellement qu’une chose – c’est bien ce fait, indéniable que les deux hommes se sont rencontrés à nouveau, sans que rien de vraiment décisif ne soit sorti de la rencontre…

«President Obama unexpectedly met Friday in Copenhagen with Gen. Stanley A. McChrystal, the commander of U.S. forces in Afghanistan, one day after the general spoke out publicly of his need for more troops to defeat a resurgent Taliban. The president and the general met on board Air Force One for 25 minutes at the end of Mr. Obama's five-hour visit to Copenhagen, where he had traveled in an unsuccessful attempt to secure the 2016 Summer Olympic Games for Chicago.

»“The president thought the meeting was very productive, an extension of the meetings that have been had thus far as we reassess and re-evaluate moving forward in Afghanistan,” White House press secretary Robert Gibbs said after the meeting.»

...A cela, on ajoutera, pour que l'ordre continue à régner, que d'autres sources, elles (le Daily Telegraph du 5 octobre 2009), affirment que l'entretien fut orageux et qu'Obama réprimanda McChrystal pour certaines choses dites publiquement par le général contre l'option de Joe Biden de réduire l'engagement en Afghanistan.

@PAYANT McChrystal venait de Londres, où il avait donc parlé la veille en public, et où il avait confié à certains que ce n’est pas 40.000 ou 45.000 hommes qu’il lui faudrait en plus en Afghanistan, mais peut-être bien 60.000. Devant un parterre fleuri, à l’IISS, jeudi dernier également, après la conférence qu’il y a donné, McChrystal a vu se dresser une jeune femme, officier de la RAF, pour lui dire qu’elle allait partir en Afghanistan comme pilote de combat à bord d’un Tornado et qu’elle se sentait beaucoup mieux après l’avoir entendu, pour ce qu’il en est du sens de la mission qui lui est assignée, qu’après avoir entendu son Premier ministre Gordon Brown, une semaine auparavant. Ambiance et mini-scandale.

Le même jour, McChrystal rencontrait le Premier ministre Brown pour un entretien sur l’Afghanistan, et se joignait à eux deux le SACEUR (commandant en chef des forces de l'OTAN), l’amiral de l’U.S. Navy Stavridis. En dernière minute, on apprit que le secrétaire général de l’OTAN Rasmussen était également à Londres et Gordon Brown, diplomate, lui fit dire qu’il pourrait se joindre à la discussion. Rasmussen, qui trouva un peu fort de café de passer après des généraux et de figurer dans la fiesta un peu comme une pièce rapportée, fit répondr qu’il avait d’autres choses à faire et qu’il déclinait l’invitation.

Rasmussen revenait de Washington, où il avait rencontré Obama pour la première fois, le 28 septembre. Il avait bien entendu été question de l’Afghanistan, durant cette rencontre, disons à 120% durant la discussion. Rasmussen rapporta plus tard à ses conseillers qu’il avait trouvé Obama très “à l’écoute”, écoutant effectivement mais, semble-t-il, sans vraiment trop rien dire lui-même. Personnage shakespearien, vraiment dans le registre d’Hamlet…Rasmussen avait deux messages à faire passer à Obama, ce qu’il fit: d’une part, que les Américains cessent d’accabler de critiques les pays européens; d’autre part qu’il se trouvait lui-même à fond derrière le plan de McChrystal, qu’il avait bien entendu lu avec attention.

Le sel de la situation, c’est que Rasmussen a lu officiellement ce rapport, ainsi que les lecteurs du Washington Post, ceux des agences de presse, des autres journaux et le reste, et pas les pays-membres de l’OTAN ni Obama puisque, officiellement, ce plan est toujours sur le bureau du secrétaire à la défense Gates, non encore transmis au président (et encore moins aux pays-membres). Personne ne sait exactement, ni officiellement, si on évite de considérer officiellement ce plan dont tout le monde connaît le détail pour n’avoir pas à le rejeter après s’être prononcé contre les suggestions dans le sens de celles du général McChrystal, ou si l’on se décide d’abord dans un sens qui fera qu’on pourra le consulter ensuite officiellement puisqu’on l’aura accepté sans le connaître officiellement.

La question, finalement, serait sans doute de savoir si la situation n’est pas plus compliquée sur l’axe Washington D.C.-Londres-Bruxelles qu’en Afghanistan, dans les sombres montagnes et les vallées encaissées. Pendant ce temps, en effet, la situation est banalement considérée comme très grave en Afghanistan, encore plus après les dernières pertes de huit soldats US tués dans l’attaque par les talibans d’un poste à la frontière pakistanaise. L’indécision de la direction US ressemble de plus en plus à une paralysie qui ajoute un facteur supplémentaire à la situation de gravité constatée en Afghanistan. Surtout, cette indécision contribue à entretenir le transfert massif de la crise de l’Afghanistan sur la scène intérieure washingtonienne où elle s’inscrit comme un facteur supplémentaire dans la crise générale qui affecte aujourd’hui le pouvoir et les affrontements entre démocrates et républicains; accessoirement, cette crise affecte les deux capitales européennes citées et beaucoup moins les autres. (A part Londres, où l’Afghanistan est un problème intérieur parce qu’il y a un fort contingent britannique, et Bruxelles parce qu’il y a l’OTAN, les autres capitales européennes ne se préoccupent qu’accessoirement de l’affaire afghane.) La crise afghane est de plus en plus perçue comme une crise intérieure US et une crise de l’“axe anglo-saxon”, avec ses effets déstabilisateurs sur la direction de l’OTAN.


Mis en ligne le 5 octobre 2009 à 05H39