Hélicos russes et filière Russie-Irak-Syrie

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Hélicos russes et filière Russie-Irak-Syrie

Discrète et brève annonce de RIA Novosti le 28 juin 2013. Le très gros contrat d’armement entre la Russie et l’Irak ($4,3 milliards) commence à être livré, avec “plus d’une dizaine“ d’hélicoptères d’attaque (gunship) avec capacités d’intervention nocturne, Mil Mi-28NE. Les termes de la très courte dépêche de Novosti sont pour le moins laconiques, sinon expéditifs, comme il est de coutume pour les livraisons d’armements russes.

«La Russie livrera à l'Irak plus de 10 hélicoptères d'attaque Mi-28NE “Chasseur de nuit”, conformément à un accord d'armement évalué à plusieurs milliards de dollars, a annoncé à RIA Novosti le directeur adjoint de l'agence russe d'exportation d'armements Rosoboronexport, Alexandre Mikheïev. “Conclu dans le cadre de l'accord de plusieurs milliards de dollars, le premier contrat avec l'Irak prévoit la livraison de plus de dix hélicoptères d'attaque Mi-28NE ‘Chasseur de nuit’” (Havoc, selon la classification de l'Otan)", a indiqué l'interlocuteur de l'agence. En 2012, la Russie et l'Irak ont conclu un accord sur l'achat d'armes russes pour 4,3 milliards de dollars.»

La livraison des hélicoptères d’attaque russe fait donc partie de cet important contrat d’armement entre l’Irak et la Russie, que nous avions commenté après son annonce le 12 octobre 2010. Certaines incertitudes avaient suivi, avec une succession d’annonces contradictoires, – confirmation du contrat par l’Irak, puis annonce de son annulation, enfin des affirmations de son rétablissement après diverses actions prises par le gouvernement russe contre son ministère de la défense, avec limogeage du ministre, pour corruptions tout aussi diverses. Un certaine confusion marquait donc la suite de l’annonce du contrat.

Une autre nouvelle est apparue récemment, de l’intervention de l’aviation irakienne contre des rebelles syriens, que nous commentions le 27 avril 2013, notamment en rappelant ce contrat avec sa confirmation après la période d’incertitude mentionnée ci-dessus.

«Cette éventuelle intrusion irakienne est effectivement, si elle se révèle probable, à considérer symboliquement, – mais symbole d’un quel poids ! Depuis de nombreux mois, on sait que les événements qui déchirent l’Irak vont dans le même sens que ceux de Syrie, donc avec la même attitude de l’Iran vis-à-vis des deux pays, si bien que l’on peut parler de facto d’un axe Damas-Bagdad-Téhéran. Le symbole viendrait d’autant plus à son heure qu’il suivrait des engagements irakiens contre des correspondants irakiens des rebelles djihadistes en Syrie qui sont de la même famille, la confirmation du rôle actif de l’Irak comme relais de transfert d’armes et de forces iraniennes vers la Syrie, et enfin la récente réaffirmation, discrète mais très significative, du gros contrats d’armements entre l’Irak et la Russie (voir le 12 octobre 2012). Ce contrat avait été suspendu pendant quelques mois autant à cause de pressions US que par des affaires de corruption très graves du côté russe...»

L’annonce de la livraison d’hélicoptères russes vient faire entrer la saga discrète de ce très gros contrat dans la réalité des faits, et nous dirions même dans le détail des faits. Il faut en effet aussitôt observer 1) que cette annonce porte effectivement, non plus sur les modalités du contrat mais bien sur son activation ; et 2) qu’elle semble marquer une action rapide puisque cette sorte d’annonce signifie, dans le langage très imprécis des livraisons d’armement russes, que cette livraison est imminente et qu’elle pourrait porter sur le lot entier d’hélicoptères.

Comme on le voit dans la référence Wikipédia proposée, le Mi-28 est un modèle assez ancien, un successeur plus léger du Mi-24 qui semblait avoir été écarté au profit de la nouvelle famille des Kamov Ka-52, mais qui a connu un regain considérable depuis 2005 avec ses nouvelles versions (dont le Mi-28N). Le Mi-28 modernisé semble donc devoir devenir l’hélicoptère-gunship standard de l’armée russe, et le choix irakien à cet égard indique bien le rôle important que ce pays veut faire jouer à cet appareil. Quel rôle important ? Ce type d’appareil est évidemment le standard de l’intervention aérienne armée contre des groupes rebelles dans les opérations antiguérillas, dans les guerres asymétriques qui pullulent aujourd’hui, et naturellement dans la “guerre syrienne”. On peut évidemment supputer que la livraison sans doute rapide des hélicoptères Mi-28NE implique deux postures complémentaires de type politique autant que militaire :

• De la part de l’Irak, la volonté inévitable d’un engagement en constante accentuation désormais dans la “guerre syrienne” voisine, en soutien du régime Assad. Moins qu’une “internationalisation” de la “guerre syrienne”, nous y verrions une sorte de “transnationalisation” du conflit, avec la reconnaissance d’une évidente connexion directe sinon une unification de facto des radicaux islamistes opérant en Syrie et en Irak, et la nécessité d’une unification Syrie-Irak de la riposte contre ces groupes.

• De la part de la Russie, un soutien encore plus rapide que massif (rapidité apparente des livraisons) aux forces opérant contre les islamistes radicaux, ce qui implique cet armement de l’Irak, celui-ci constituant une façon indirecte d’armer la Syrie elle-même en contournant les obstacles de la légalité. Les Russes poursuivent là un objectif de constitution d’un ensemble moyen-oriental qui pourrait se marier avec leurs propres structures et leur propre action dans les territoires de la région du Caucase où opèrent des islamistes radicaux.

Bien entendu, on observe dans ce processus la confirmation de la perte accélérée d’influence des USA auprès de la direction irakienne ; cela illustre une évolution remarquable en dix années de la situation US en Irak, – d’une domination complète à une retraite forcée, – qui fait mesurer l’extraordinaire modification de la situation politique générale entre l’immédiat post-9/11 et l’actuel Moyen-Orient. Contre cette dynamique, les “atouts” habituels des moyens de pénétration et d’influence US sont d’effets extrêmement limités même s’ils sont d’apparence massive (remarque habituelle avec les USA). Les implantations militaires fixes (bases, notamment) souffrent de leur immobilité et de l’absence d’action sur le territoire qu’elles “occupent”, et notamment de l’absence complète de liens humains et autres, caractère générique sinon génétique du comportement US, par rapport aux territoires impliqués, conduisant à transformer ce qui est conçu comme une implantation offensive d’occupation et de contrôle en une fortification défensives assiégée par une situation extérieure incompréhensible et donc perçue comme hostiles. Les activités des myriades de forces “spéciales”, covert, supplétives, etc. (CIA, contractants civils, drones, etc.) sont, elles, appréciées comme franchement hostiles par le gouvernement irakien, tant elles sont incontrôlées, désordonnées, et souvent inclinées à frapper aveuglément et à manipuler les groupes radicaux extrémistes, d’obédience plus ou moins sunnites ou du crime organisé, c’est-à-dire à soutenir des actions déstructurantes menaçant évidemment ce même gouvernement irakien.

Dans tous les cas, l’activation rapide du contrat russo-irakien malgré l’opposition très forte des USA, de même que l’impuissance US à convaincre l’Irak de faire cesser les vols iraniens vers la Syrie au-dessus de son territoire (malgré l’insistance spécifique d’un Kerry en visite à Bagdad il y a trois mois, suivie d’une interruption de deux-trois semaines avant la reprise de ces vols), montrent avec quelle rapidité l’évolution irakienne s’est faite par rapport à la puissance d’influence US. On peut désormais compter l’Irak comme un allié de la Russie et un adversaire des USA au Moyen-Orient. L’argument, au-delà des considérations économiques et sectaires/religieuses habituelles, qui sont des facteurs tourbillonnants et insaisissables dans leur implication totale comme facteurs actifs du chaos général, est simplement que la Russie a une politique structurante d’ordre délibérément conçue et appliquée, et les USA une politique dissolvante de désordre par simple impuissance à produire autre chose.


Mis en ligne le 29 juin 2013 à 09H03