Hillary découvre une “insurrection” et songe à Plan Mexico

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Divers journaux et agences rapportent la réponse de Hillary Clinton à une question, après une conférence qu’elle a donnée hier soir devant le Council of Foreign Affairs, à Washington. La Secrétaire d’Etat US a qualifié d’“insurrection” la situation au Mexique, avec la “guerre de la drogue” en cours. («We face an increasing threat from a well-organized network, drug-trafficking threat that is, in some cases, morphing into, or making common cause with, what we would consider an insurgency.») Clinton a comparé la situation mexicaine avec celle de la Colombie il y a 20 ans, lorsque les FARC et les cartels contrôlaient 40% du territoire. Le gouvernement mexicain a répondu assez sèchement à cette déclaration, notamment avec cette remarque de son porte-parole, concernant la comparaison Mexique-Colombie : «Perhaps the most important similarity … is the extent to which organized crime and narcotics-trafficking organizations in both countries are fed by the enormous and gigantic U.S. demand for drugs.»

Le Los Angeles Times de ce 9 septembre 2010 a un long article sur la situation au Mexique après la déclaration de Clinton (laquelle avait été précédée, il y a une semaine, d’une déclaration d’un officiel du département d’Etat selon lequel la situation au Mexique n’avait rien de comparable avec une “insurrection”). Quelques extraits de l’article, concentrés sur l’attitude du gouvernement US.

«Still, senior U.S. officials have grown increasingly alarmed in recent months at the expanding power and influence of the cartels, which now dominate swaths of the country. They battle one another and seek to cow Mexican citizens with violence that includes assassinations, beheadings and car bombings. […] There has been a growing outcry from officials in U.S. border states such as California, Arizona and Texas as the carnage has edged ever closer. […]

»George Grayson, a specialist on Mexico at the College of William & Mary in Virginia, said Clinton's remarks were a sign of U.S. officials' growing alarm at the effects of the drug war.

»He said that while President Obama didn't even mention Mexico in his State of the Union message in January, more and more law enforcement and military officials see the situation as a top priority national security threat. “It's not like Afghanistan or Iran, but it's suddenly on the national security radar,” he said.

»Even so, he said he was skeptical that Mexico, with its nationalist sensitivities, would consent to a far more active U.S. role, even should Congress be willing to appropriate the funds.»

Notre commentaire

@PAYANT Il y a eu déjà une mobilisation générale de l'administration Obama aux USA, concernant la crise mexicaine dans sa phase actuelle. Cela se passait au tout début de cette administration (voir, par exemple, ce texte du 5 mars 2010). Puis, à partir de la fin du printemps 2009, plus grand’chose et bientôt silence-radio. Nous faisions le compte récemment (voir le 24 juillet 2010) des inconséquences et du désordre du gouvernement US face à cette crise. L’administration Obama envisagerait de lancer un plan d’aide militaire important, alors que le précédent plan lancé en juin 2008, la Merida Initiative, portant sur une aide de $1,9 milliard, a été un tel échec d’indifférence et de désordre que l’on vient juste de décompter qu’en juin 2010, 9% seulement de cette somme avait été effectivement utilisé… On ne voit pas pourquoi un nouveau plan, une nouvelle aide devraient être lancés alors qu’il reste encore plus de $1,7 milliard à dépenser. (On se rappelle que Bernd Debusmann, commentateur de Reuters, avait récemment calculé que les USA dépensaient actuellement 147 fois moins d’argent pour la crise mexicaine que pour l’Afghanistan.)

Bien entendu, cette alarme nouvelle et tonitruante est accompagnée de diverses confidences et déclarations officieuses selon lesquelles Washington a fort peu confiance dans le gouvernement mexicain, qu’il juge fort peu coopératif, cela alors que Washington se désintéresse complètement de la crise depuis sa poussée de fièvre du printemps 2009. A part le président Calderon lui-même, les Américains semblent estimer que tous les dirigeants mexicains doivent être considérés comme corrompus et achetés par les cartels, ce qui limite les possibilités de coopération. On a du mal à s’étonner de la réaction officielle mexicaine devant les déclarations de Clinton et les diverses indications de cette nième mobilisation washingtonienne. Une seule chose semble juste : la situation ne cesse de s’aggraver et l’on pourrait effectivement juger le terme d’“insurrection” approprié, non sans noter que les USA, qui se proclament impliqués à 100% dans cette crise, et qui le sont effectivement, porteraient une responsabilité loin d’être négligeable dans cette aggravation. Mais non, pour l’instant, l’air du jour à Washington est évidemment de mettre en cause le gouvernement mexicain, à qui l’on promet de l’aide et à qui l’on n’en donne guère, à qui l’on prodigue des exhortations à une coopération renforcée pour aussitôt se désintéresser de la crise et ainsi de suite. Calderon n’a rien de sympathique mais il faut bien reconnaître qu’en l’occurrence l’amertume et la colère à peine dissimulée de lui-même et de son gouvernement sont justifiées.

Cela constaté, l'on découvre que les USA tiennent soudain beaucoup à l’analogie Mexique-Colombie. Tout le monde n’a que l’expression “Plan Columbia” à la bouche, cette entreprise de liquidation systématique lancée par les USA en Colombie, avec équipes de Special Forces, de tortionnaires, de mercenaires, etc. L’humaniste invétérée qu’est Hillary Clinton a eu quelques remarques assez sobres à ce propos, mais pour terminer par la formule magique : «Plan Colombia was controversial … there were problems and there were mistakes. But it worked.» L’expression “But it worked” a de fort bonnes chances de faire fortune au sein de la bureaucratie de sécurité nationale et, – si le Mexique reste suffisamment longtemps “sur les écrans radar”, – nous pourrions bien voir fleurir une opération “Plan Mexico” sous peu, calqué sur l'opération “Plan Columbia”. Les Mexicains de Calderon sont déchaînés contre cette idée car ils savent que le Mexique n’est pas la Colombie, qu'une opération “Plan Mexico” signifierait une vraie intervention des USA, avec, en retour, la probabilité d’une “insurrection”, une vraie cette fois, dans un pays qui se retrouverait instantanément anti-Yankees. Les USA pourraient le payer chèrement car, contrairement à la petite Colombie, le vaste Mexique a une très longue frontière avec les USA.

La question est donc de savoir si, cette fois, c’est la bonne, – on veut parler de cette nième mobilisation US pour la crise mexicaine. C’est possible puisque, pour la première fois, la bureaucratie et le pouvoir sont en présence d’un objet bien identifié, une hypothétique opération “Plan Mexico” à l’image de “Plan Columbia”, ce qui devrait déclencher un réflexe pavlovien de très grand intérêt de cette même bureaucratie de sécurité nationale pour la crise. Si c’était le cas, si l’on devait se diriger vers une telle opération “Plan Mexico”, on pourrait se trouver devant le détonateur d’une très grave crise sur la frontière, avec l’implication directe des USA, et, très probablement, une crise effectivement insurrectionnelle pénétrant sans aucun frein sur le territoire des Etats-Unis.


Mis en ligne le 9 septembre 2010 à 11H43