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24 avril 2008 — Les deux principaux arguments de Hillary Clinton, à la fois contre son adversaire du moment (Obama) et pour être élue présidente, c’est le sens de la responsabilité des affaires gouvernementales et sa capacité à être “commandant en chef”. (Sur ce dernier point, sa fameuse déclaration selon laquelle elle saurait quoi faire, contrairement à Obama, si on la réveillait un matin, à trois heures, – il semble qu’elle soit en plein sommeil à cette heure-là, tandis que Bill est en virée: «...her assertion that both she and John McCain are experienced enough to be “commander-in-chief,” while Obama is not; her advertisements depicting phone calls at 3 a.m.—calls that would presumably demand of her a quick decision to launch military strikes in some or another part of the world.» [Dans WSWS.org aujourd’hui]).
L’objet de ces observations est la récente déclaration de Hillary Clinton selon laquelle elle serait prête, en cas d’attaque nucléaire iranienne contre Israël, à lancer une attaque évidemment nucléaire contre l’Iran destiné “[to] obliterate” l’Iran et la population iranienne. (“obliterate” : effacer, rayer [de la carte], faire table rase [du passé comme du présent après tout]).
WSWS.org précise : «Clinton’s choice of words is significant. The Merriam-Webster dictionary defines “obliterate” as “to remove utterly from recognition or memory” and “to remove from existence: destroy utterly all trace, indication, or significance of.”
»Moreover, she said that it is “Iran” and “the Iranians” who would face total obliteration. If one were to take her words literally, what she is saying is that she would respond to an attack by the Iranian government on Israel by completely wiping out all trace of the people and history of Iran—that is, to commit genocide against a population of some 71 million people.»
Un autre commentateur, Robert Sheer sur Truthdig.com le 23 avril, fait ces remarques sur le même aspect de cette déclaration, cette intention de destruction totale ou de solution finale du problème iranien: «Seizing upon a question as to how she would respond to a nuclear attack by Iran, which doesn’t have nuclear weapons, on Israel, which does, Hillary mocked reasoned discourse by promising to “totally obliterate them,” in an apparent reference to the population of Iran. That is not a word gaffe; it is an assertion of the right of our nation to commit genocide on an unprecedented scale.»
Plus loin, Sheer observe : «If so, it cannot be assumed that Hillary Clinton as president would be less irrationally hawkish and more restrained in the unleashing of military force than John McCain.»
La déclaration d'Hillary a été faite le 22 avril, le jour de la primaire de Pennsylvanie, alors qu'elle ne pouvait guère avoir d’influence sur le vote. Les prochaines primaires sont loin (le 6 mai… une éternité pour nos pauvres esprits) et l’on peut attendre que cette déclaration aura disparu des mémoires pour être remplacée par d’autres, plus appropriées aux votes qu’on attend. (D’ailleurs, la déclaration d’Hillary n’a pas provoqué de vague vraiment remarquable aux USA; elle est passée, quasiment comme une lettre à la poste; la menace d’attaque de l’Iran semble être devenue à Washington une de ces salutations convenues, du type : “Tiens, bonjour, comment ça va, si on attaquait l’Iran?”) L’appréciation selon laquelle ces déclarations sont essentiellement destinées à l’establishment washingtonien, évidemment belliciste en tous points, semble acceptable. C’est finement pensé mais cela a été tout de même dit.
Les circonstances et détails de cette déclaration sont rapportées dans le même texte de WSWS.org: «[Hillary] was asked during an interview on ABC’s program “Good Morning America” about her previous comments that she would respond with “massive retaliation” if Iran attacked Israel. She responded by adopting an even more militarist tone.
»Rephrasing the question to address a potential Iranian nuclear strike on Israel, Clinton said, “I want the Iranians to know, if I am the president, we will attack Iran. And I want them to understand that, because it does mean that they have to look very carefully at their society, because at whatever stage of development they might be with their nuclear weapons program in the next 10 years, during which they might foolishly consider launching an attack on Israel, we would be able to totally obliterate them.”
(…)
»On Wednesday, Clinton was asked to clarify her remarks on MSNBC’s “Morning Joe” program. NBC correspondent Andrea Mitchell noted that last year Clinton had refused to answer questions about Iran’s potential acquisition of nuclear weapons, saying that the questions were “hypothetical.” Mitchell asked Clinton what had changed between then and now.
»“The facts on the ground have changed,” Clinton replied. While pledging to engage in diplomacy, Clinton insisted, “Clearly [the Iranians] continue to try to throw their weight around in the world. There is no doubt that they will pursue if they can figure out how to obtain a nuclear weapon.... They have to know from the beginning that that would be a grave, grave error.” She did not amend her previous threat of total obliteration.»
On voit par ailleurs, dans notre Bloc-Notes, une réaction du ministre britannique Malloch-Brown, pour le moins réservé. Dans la même dépêche d’AFP qui rapporte cette réaction, on précise que Clinton explique son commentaire définitif sur l’Iran par sa volonté de mettre en place une logique de dissuasion avec Téhéran («Clinton said her remark was an attempt to lay out a rationale for a Cold War-style system of deterrence with Tehran»).
Ces diverses observations semblent mettre en évidence que Hillary Clinton n’a certainement rien compris à l’esprit de la dissuasion nucléaire type-Guerre froide, à moins qu’elle ne se réfère à des sources telles que le général LeMay qui ne rêvait que de déclencher une attaque de type génocidaire contre l’URSS. (Et encore, en progrès par rapport à LeMay, dont le projet était de ramener l’adversaire, quel qu’il soit, à l’âge de pierre, “back to Stone Age”; Hillary propose better.)
L’esprit de la dissuasion nucléaire est l’incertitude: tout le monde sait qui possède des armes nucléaires et leur usage n’est pas évoqué sinon dans l’abstraction ou en théorie. L’arme nucléaire dissuasive n’est pas présentée comme une arme pouvant être utilisée contre tel ou tel ennemi, dans telle ou telle circonstance, mais comme un potentiel de riposte absolu dont seul le détenteur détient le secret de la décision. C’est cette incertitude qui fait la vertu de la dissuasion. L’argument de Clinton est sophistique: elle ne peut établir une logique de dissuasion nucléaire des USA pour riposter à une attaque contre un autre pays que les USA, pour riposter à une attaque d’un pays qui ne possède pas les moyens de cette attaque nucléaire. Cette application de la logique de la dissuasion se noie dans l’affluence de facteurs divers de politique active, y compris de la campagne électorale, qui n’ont rien à voir avec la dissuasion. C’est de la bouillie pour chats qui revient à être un faux-nez pour une menace pure et simple de destruction massive et générale, une affirmation ontologiquement terroriste. L’esprit est à mesure, dissimulateur, sophistique et terroriste – et la fièvre électorale, qui joue son rôle dans cette sorte de déclaration, met en lumière autant sa fragilité hystérique que son absence d’intérêt pour la responsabilité.
S’il s’agit ainsi de présenter une compétence de future présidente, capable de se réveiller comme une fleur à trois heures du matin en prenant le bouton rouge pour le bouton d’arrêt de la sonnerie du réveil, on peut être sûr que l’hystérie continue à conduire la vision américaniste de la politique mondiale, disons, avec une ironie macabre, à tombeaux ouverts. Effectivement, le propos d’Hillary vaut le “Bomb, bomb, bomb Iran” de McCain et la différence entre les deux candidats laisse à peine la place à un papier de cigarette.
Qu’on se rassure: Obama n’est pas moins belliciste quand il le faut. Disons qu’il y met un peu plus de pointillés, de conditionnalité, qu’il use de termes moins définitifs. On sent qu’il comptera les doigts de sa main avant d’en choisir un pour le bouton rouge. La différence (d’avec le duo Hillary-McCain) n’est pas décisive.
L’esprit américaniste est totalement enfermé dans la course belliciste et la montée aux extrêmes. Certains le sont avec jubilation (Hillary, type du liberal hawk, jubilant quand on cogne vertueusement sur Belgrade ou sur Bagdad), avec emportement (McCain), certains peut-être, – on verra, – avec une réticence cachée; mais ils le sont tous. Cela fait partie de l’inévitable examen de bonne conscience du système. Sans aucun doute, les néo-conservateurs n’ont rien inventé ni pris le pouvoir par surprise; il voiciféraient tout haut... – on peut même dire qu’ils continuent à vociférer tout haut ce que tout le monde dit désormais sans se cacher.
Cela ne signifie pas que nous aurons la guerre demain. D’abord parce qu’il faut avoir et les moyens et le courage de faire une guerre incertaine, le second dépendant des premiers. Le courage à un contre un n’est pas le fort du système, il lui faut au moins une supériorité de un contre vingt (en quantitatif ou en puissance de feu); à ce moment, le courage devient chez lui si flamboyant qu’on croirait à de l’audace. Mais ce rapport de force, surtout à cause de l’épuisement absolument extraordinaire des forces US, n’est plus du tout le menu du jour. Voilà pour les hypothèses classiques de guerre contre l'Iran.
D’autre part, le système est une énorme machine qui ne fait presque plus que du sur place. Contrairement à l’image romantique d’Hillary (le téléphone sonne, il est 3 heures du matin, j’attaque!), les possibilités de guerre nucléaire sont aujourd’hui extrêmement calibrées et encadrées par la bureaucratie. La guerre nucléaire se fait surtout par intentions, déclarations et ainsi de suite. Le paradoxe est que ce bellicisme maximaliste de montée aux extrêmes qui semblerait nous promettre l’apocalypse pour demain, 3 heures du matin, est sans doute un domaine beaucoup plus stable, presque paralysé; disons, un peu comme les guerres en Irak et en Afghanistan.
D’une façon très caractéristique, ce débat sur le bellicisme, le maximalisme guerrier, etc., n’en est pas un. C’est une position convenue, sur laquelle tout le monde (les trois candidats) s’étripent en émettant des considérations semblables, – à chacun de faire son “minimum syndical”, ou son maximum quand la psychologie y trouve son miel (manifestement, cas d’Hillary la “liberal hawk”, comme tous nous intellectuels libéraux bellicistes de notre belle civilisation moderniste, germanopratins compris). C’est une montée aux extrêmes gratuite, sans alternative réelle, qui n’amène rien de vraiment nouveau sinon qu’elle nous dit certaines choses sur les psychologies des candidats et démontre au reste du monde, – quand il faudra bien que ce reste-là ouvre les yeux, – que la politique “bushiste” n’a pas été une politique accidentelle due à un Bush soi-disant manipulé, mais la politique naturelle du système exacerbée par 9/11 et interprétée par Bush (à cette époque de 9/11, heureux et vertueux “monsieur 90%”).
Cette campagne n’est nullement bloquée. Simplement, elle se déroulera là où on ne l’attend pas. Sur les sujets “brûlants”, les candidats mènent et méneront une campagne type bateau-mouche, au parcours convenu, où tout le monde psalmodie ou éructe le même catéchisme, qui est celui du système. Là, effectivement, la campagne est verrouillée. Mais il y a le reste; il y a la tension de la campagne, les affrontements personnels, les pressions d’une situation objectivement dramatique (aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur), qui se fout du catéchisme: tout cela peut conduire à des accidents, à des prolongements inattendus non prévus dans le catéchisme, à des bévues, y compris sur les sujets “brûlants”. Là se situent les possibilités de surprise ou de déstabilisation. Le déchirement fratricide entre les deux démocrates est déjà une de ces surprises déstabilisantes, et l’affaire dite du “Bittergate” une autre.
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