Hollande, JSF et colère US

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La tentative de constitution d’une coalition de droite pour former un gouvernement en Hollande, avec le soutien extérieur du “Parti de la liberté”, parti anti-islamique, a échoué in extremis. Aviation Week, sur son blog Ares (intervention de Robert Wall), estime, le 6septembre 2010, qu’il s’agit très probablement d’un coup très rude porté à l’engagement de la Hollande dans le JSF.

Le gouvernement en place, qui “expédie les affaires courantes”, va sans aucun doute abandonner la commande d’un premier exemplaire de pré-production (LRIP-3) et ne passera pas la commande pour un second exemplaire (LRIP-4). «Given budget constraints, and the lack of a clear mandate for the caretaker government, it may be difficult for JSF backers to reverse that decision, even if they wanted to.» Dans ce contexte, l’engagement de la Hollande dans le programme est entièrement compromis.

Mais le plus intéressant dans ce texte est certainement le premier commentaire qui le suit. Il est écrit d’une façon extrêmement significative, sous la signature d’un “Running Bear” de rencontre, et pourrait aisément se comparer à une intervention de désinformation.

«Dutch Loss! The former commitment of the Dutch for two CTOL fighters, LRIP 3&4, is irrelevant and capricious. Obviously it casts serious doubt on the follow-on orders for the remaining 85 fighters. The number compared to the 1,700+ USAF is quite small and the timing of the losses generally equates to less than 10% during the original scheduled dates. None of this is significant to the progress of the JSF program. As the new commitments are identified, the replacing of the Dutch orders can be shifted to the new members (at this time Israel is not included into the existing published schedules). Sadly, the loss of the Dutch manufacturing contribution will be felt both in the JSF program and in the Dutch economy. Israel, on the other hand will gladly and quickly commit to any involvement they are allowed. Turkey as a NATO member, may seek to take the place of both the early fighters and manufacturing that will be shifted away from the Dutch. Canada and Australia both may also seek the early consideration. The Dutch appear to be following a disturbing trend where NATO/ EU members allow other Alliance members to shoulder their burden of Defense and continue to lose the benefits of manufacturing development provided in the programs. In this end a lose/ lose .»

Notre commentaire

@PAYANT Effectivement, si l’on cite en entier ce commentaire d’un lecteur, c’est qu’il correspond trait pour trait, sinon mot pour mot, à l’argumentaire semi-officiel qu’on entend désormais aujourd’hui, dans les rencontres informelles à Bruxelles, de la part de représentants de l’industrie de l’armement US ou du gouvernement washingtonien, Pentagone et département d’Etat au premier rang. Ce serait à croire qu’il a été effectivement écrit comme l’on diffuse une consigne ou comme l’on rapporte précisément une conversation. En conséquence, on peut prendre ce commentaire pour argent comptant, c’est-à-dire pour une sorte d’exposition, par inadvertance ou par impertinence, de la position semi-officielle des parties concernées, d’Outre-Atlantique, sur l’évolution hollandaise dans l’affaire du JSF.

Il y a un mois (voir le 10 août 2010), alors que les négociations pour ce gouvernement de droite allaient encore bon train en Hollande, les nouvelles n’étaient pas très favorables pour le JSF. Pourtant, à cette époque encore, il semble que les USA tenaient pour acquis que leur influence et leurs pressions suffiraient pour stopper, ou au moins contenir dans des limites acceptables pour eux, cette évolution hollandaise. Des démarches avaient lieu dans ce sens, et l’on imagine avec quelle alacrité joviale, de la part des lobbyistes et délégués des forces gouvernementales washingtoniennes en poste à La Haye. Même à ce moment, où tout indiquait que la résolution hollandaise, quel que fût le parti, était que le JSF ne peut trouver sa place dans le contexte budgétaire hollandais avant plusieurs années, les forces d’influence US estimaient comme à l’habitude que leurs pressions s’avéreraient irrésistibles. La situation actuelle est différente, puisque l’absence de gouvernement, c’est-à-dire l’absence de pouvoir, interdisent effectivement, c’est-à-dire politiquement et techniquement, toute possibilité de décision favorable, notamment sur l'avion LRIP-4, avec probable abandon du LRIP-3. La partie américaniste est en train d’admettre qu’effectivement elle est en train de perdre la Hollande dans le programme JSF, parce que le parti américaniste juge impératifs l’engagement hollandais dans les avions LRIP et une décision rapide de commande, parce que la parti américaniste a besoin de ce soutien immédiat pour défendre le programme JSF face au Congrès, à Washington. Pour elle (la partie américaniste), cette défection qui pourrait être perçue comme temporaire est appréciée comme définitive. D’où la tonalité très pessimiste de l’article de Wall et cette réaction d’un lecteur qu’on considérerait comme si proche de la réaction à peine officieuse qu’on pourrait la considérer comme telle.

Cela permet de mesurer, au ton et aux détails de cette “réaction de lecteur”, l’amertume et la colère du côté US, devant la situation hollandaise. (Les observations, concernant la position d’Israël, de la Turquie, de l’Australie et du Canada vis-à-vis du JSF, prenant la place jusqu’ici très favorisée de la Hollande, relèvent de la propagande US la plus crue et impliquent là aussi des calculs et des analyses bien optimistes sur les positions de ces différents pays.) En fait, c’est l’habituelle attitude américaniste dans ce genre d’intrigues. D’un côté, l’optimisme conquérant a subsisté jusqu’au bout, malgré les évidences, appuyé sur la certitude que la machinerie US et tous les moyens de pression qui l’accompagnent finiraient par faire changer d’orientation la Hollande. D’un autre côté, devant l’évidence, la réaction devient “sur-réaction”, considérant la Hollande, non seulement comme perdue pour le JSF mais même pour la solidarité occidentale avec la référence à l’OTAN et à l’UE (la phrase du lecteur cité mériterait de se retrouver dans les rapports internes de l’appareil gouvernemental US : «The Dutch appear to be following a disturbing trend…»). Dans ce sens, il y a toutes les chances pour que les USA manifestent désormais d’une façon grossière et pressante cette colère contre la Hollande, ce qui conduira sinon obligera la Hollande, par ailleurs plongée dans de très grandes difficultés politiques et avec un Parlement qui a déjà montré son irritation devant les pressions US (concernant le JSF, toujours), à réagir à mesure contre l’“ami américain”.

On peut donc, pour conclure, observer plusieurs choses qui sont autant de confirmations de situations déjà actées ou jugées comme probables. La première est que l’orientation hollandaise, aussi bien due à une résolution suscitée par les événements de crise qu’à des mécanismes de blocage du processus politique, est clairement de placer le cas JSF en attente indéfinie. La seconde est que les USA commencent à réaliser cette position hollandaise, qu’ils ont mis très longtemps à entériner pour la raison qu’ils ont bien des difficultés à admettre qu’on puisse leur résister, et qu'ils la considèrent, eux, comme un refus définitif. La troisième est qu’il faut désormais s’attendre à de fortes tensions officieuses entre les USA et la Hollande, d’une façon générale et pas seulement dans le domaine des armements, qui peuvent conduire à des changements politiques interférant même sur les relations transatlantiques dans leur ensemble. Là-dessus, on conclura en observant une fois de plus combien tout cela renforce la place importante qu’on accorde au programme JSF dans les relations de politique générale entre les USA et leurs alliés.


Mis en ligne le 8 septembre 2010 à 06H23

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