Humeur de crise-21

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Humeur de crise-21

25 août 2016 – Dix fois, je me suis dit “Allez, je fais un texte là-dessus”, dix fois je me suis installé devant mon clavier, dix fois j’ai reculé ; cela, dans l’espace de 4-5 jours, une petite semaine... Imaginez l’humeur, à la fois les montagnes russes les bien-nommés, à la fois le brouillard de chaleur, à la fois le foisonnement de textes où voisinent le péremptoire et l’incertitude tandis qu’Obama entreprend son nième parcours de golfe, toujours avec son cool-swing, ce maître-coup à lui propre et à nul autre.

Ces derniers jours furent une expérience intéressante... Les Russes installent en Iran leurs bombardiers à la satisfaction de tous les acteurs et imagine-t-on pour un séjour prolongé, trois missions plus tard ils quittent l’Iran : brusque mésentente ? Accident de parcours ? Coordination maladroite ? Plan appliqué avec précision ? Explications diverses, avec supputations diverses, on n’y comprend rien ; non, tout va bien finalement, aucune mésentente bien au contraire et les Iraniens désignent pour la première fois les Russes comme “nos alliés”. Cette base qui semblait assurée puis qui fut désertée en est tout de même bien une.

Pas très loin de là, dans la ville d’Hasaka, en Syrie, les Kurdes avec l’aide US attaquent victorieusement les Syriens d’Assad. Des avions syriens se sont manifestés, les USA qui chouchoutent les Kurdes ont menacé d’abattre les avions syriens au nom de la légitime défense. Étrange situation : illégalement déployés sur le territoire syrien, ils menacent “légalement” d’abattre des avions syriens qui évoluent (“illégalement” ?) dans leur propre espace national ... Le premier jour, certains ont jugé que c’était un pas décisif vers la possibilité d’un affrontement direct avec les Russes. Deux jours plus tard, le porte-parole du Pentagone livre un combat sémantique devant les journalistes : non ce n’est pas une “no fly zone”, qui serait une sorte de casus belli, mais simplement une “zone d’exclusion”. Il ne faut pas dramatiser : ne dramatisons pas.

Donc les Kurdes ont attaqué les Syriens, mais les Turcs ont pénétré en Syrie pour soi-disant déloger Daesh de la ville de Djarabulus, « afin de prendre la ville avant les Kurdes », dit Le Monde, et peut-être avant de se tourner vers Hasaka, pour attaquer les Kurdes. Les Syriens d’Assad dénoncent cette violation de leur souveraineté et accusent les Turcs de vouloir installer à Djarabulus leurs propres terroristes. Les USA, qui soutiennent peut-être les Turcs pour Djarabulus, seraient fort mécontents si les Turcs affrontaient les Kurdes du côté d’Hasaka. Utiliseraient-ils leur base d’Incirlink, en Turquie, pour attaquer les Turcs si les Turcs attaquaient les Kurdes en violant la souveraineté nationale syrienne ?

A propos, le premier ministre turc vient de déclarer qu’Assad est désormais tout à fait fréquentable et l’on continue sur les réseaux à discuter des bruits de transferts de bombes nucléaires US d’Incirlink vers la Roumanie. Est-ce bien vrai [pour les bombes] ? (“Oui, et comment” confirme-t-on du côté de la source) Et si c’est vrai, pourquoi ? Pour empêcher Daesh, ou Erdogan après tout, de s’emparer de quelques bombes nucléaires, ou pour menacer la Russie à partir de la Roumanie ?

Qui peut distinguer quoi que ce soit qui ne soit tourbillon crisique, désordre et chaos incontrôlable, et vertige avec tout cela ? Rien qu’une petite semaine à la petite semaine, une semaine folle qui n’a rien d’une semaine sainte. Il fait plus de 30° en cette fin août et l’Orient est vraiment très-très-compliqué. (Encore ne vous ai-je pas dit un mot d’Alep, et le respecté Elijah J. Magnier écrivant à propos de cet ensemble syrien, nous dit l’essentiel : « Si tout cela a une signification, c’est que, – si cela est possible, – la guerre en Syrie est en train de devenir de plus en plus complexe ».) L’humeur devrait en être à ce vertige, mais voilà que j’arrive à le ressentir par instant, presque avec ironie, presque avec une tendresse fataliste. Parfois l’esprit, que j’espère inspiré par l’intuition haute, finit par comprendre que ce tourbillon crisique, à force d’être vertigineux, finit presque par être apaisant, presque stable dans l’incohérence achevée qui devient comme un encéphalogramme (momentanément) plat. L’“humeur de crise” est à mesure, détachée parce qu’apaisée pour un instant.