Humeurs et rumeurs…

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Humeurs et rumeurs…

21 juin 2010 — Les remarques et réflexions qu’on rapporte par ailleurs, dans notre rubrique Ouverture libre, vont au-delà de la question du caractère de Barack Obama et de son sentiment actuel. Le parallèle fait avec Richard Nixon n’est pas le premier du genre, mais les autres concernaient essentiellement la politique étrangère. Celui-ci est lugubre, car il trace un parallèle entre Barack Obama et spécifiquement le Richard Nixon du Watergate.

@PAYANT Les critiques qui sont lancées contre Obama pour justifier le diagnostic d’un caractère “nixonien” ou d’une obsession paranoïaque “à-la-Nixon” sont classiques. Elles se réfèrent effectivement à l’attitude du président Nixon lors de l’affaire du Watergate, et présupposent d’ailleurs que cette affaire du Watergate est justement la conséquence de ce caractère. Comme on l’a déjà vu, c’est loin d’être une évidence et il existe des appréciations solides pour faire du Watergate bien autre chose que la conséquence du caractère vicieux d'un président. (Dans ce cas, on pourrait essayer le retournement du jugement : les faiblesses du caractère de Nixon poussées à leur extrême par une affaire du Watergate dont les ramifications originelles remontent à une manœuvre bureaucratique, un “coup d’Etat bureaucratique” classique, de la part du président du Joint Chief of Staff.)

Quoi qu’il en soit, ces accusations concernent donc un caractère obsessionnel, une politique alternant des axes de concession et d’apaisement et d’autres extrêmement brutaux et sans concessions, une paranoïa conduisant à voir des ennemis partout, une crainte obsessionnelle de la presse, une absence de transparence, le repli du président sur un petit groupe de conseillers, etc., – cela s’ajoutant à certains traits de comportement plus personnels (l’abus de l’alcool chez Nixon, insomnie et tabagisme, caractère cassant chez Obama, paraît-il ). Au-delà de la dénonciation de ces traits de caractère, c’est surtout le comportement politique d’Obama qui est mis en cause, d’une façon qui se mesure moins par des résultats concrets éventuels de sa politique que par l’impression de sécurité et de confiance que sa direction devrait faire ressentir, et qu’elle ne fait pas ressentir. C’est dire que nous parlons de perception et d’un comportement politique interprété par la communication.

Il faut observer qu’Obama n’a pas peu contribué à cette détérioration de la perception de son action, depuis son arrivée au pouvoir et singulièrement depuis la crise du Golfe du Mexique qui nous intéresse ici. D’une part, il a tenté et continue à tenter de se défausser complètement de la responsabilité de la catastrophe sur BP. Même si la chose paraît fondée si l’on s’en tient aux faits stricts, elle est faussée par rapport au rôle qu’on attend de la puissance publique, surtout d’un président qu’on dit être “l’homme le plus puissant du monde”. D’autre part, après un temps d’inaction, Obama n’a cessé de dramatiser la situation, jusqu’à parler d’un “nouveau 9/11”, ce qui aggrave peut-être le cas de BP mais, bien plus encore, met en évidence ses propres insuffisances en tant que président selon la logique exposée précédemment. Dans tous ces cas, même si la démarche de BHO est rationnelle, elle manque singulièrement d’intuition, de rapports psychologiques avec le public, de compréhension de la substance de la légitimité du pouvoir politique.

De ces points de vue, l’interprétation d’un Obama ayant un comportement “à-la-Nixon” n’est pas fausse, même si elle vaut pour d’autres raisons que celles qu’on avance ; elle vaudrait, à notre sens, par ses effets par rapport à une situation qui s’est formée sans qu’Obama ne s’en avise, par inadvertance et inattention. Comme Nixon durant le Watergate, Obama se pose en président par sa position de désigner les responsables et d’affirmer la puissante réalité politique qui en découle (comme Nixon se voulait “au-dessus des lois” parce que président), en même temps qu’il se défausse de toute responsabilité en impliquant BP (comme Nixon évitait également toute responsabilité en se défaussant sur les “plombiers” du Watergate puis sur ses collaborateurs).

Ainsi, une impression de dégradation, de fuite devant ses responsabilités, de déclin chez Obama… Lorsqu’une Deborah White, cadre du parti républicain de Californie rappelle l’exceptionnelle intervention d’Obama à la convention démocrate en 2004, qu’elle compare avec son comportement :

«This is decidedly not the same aspirational person who electrified the nation on July 27, 2004, at the Democratic convention with an energetically inspiring speech… […] Either Barack Obama has drastically altered in six years, or we never really knew the man we saw that fateful summer evening. Six years ago, Obama hungered to lead our nation. Today, he seems to have lost interest. Like post-Watergate Nixon, Obama looks defeated and deflated compared his 2004 ebullience.»

Le plus remarquable dans ces observations qui commencent à prendre l’allure des pièces d’un dossier à charge, c’est bien entendu qu’elles viennent de démocrates et non pas de républicains, qui, bien entendu, ne cessent d’attaquer Obama le plus vicieusement du monde depuis quasiment son élection parce qu’eux-mêmes sont verrouillés dans une rhétorique extrémiste et de surenchère systématique depuis le départ du catastrophique GW. Ainsi Obama se trouve-t-il exposé à des accusations paradoxales mais non dépourvues de réalité, même si cette réalité semble répondre à un cheminement absurde. Il ne parvient pas à se dégager d’une position où il dépend en partie des républicains qui le haïssent puisqu’il ne parvient pas à verrouiller l’appui de tous les démocrates et qu’au contraire il aurait tendance à voir ce soutien s’éroder. De même en politique extérieure où les orientations successives de ses actions désorientent d’abord ses alliés. Aujourd’hui, il n’a pas d’adversaire plus furieux que le Royaume-Uni, après plusieurs affaires malheureuses, dont l’“oil spill” avec le rôle de bouc émissaire assigné à BP n’est pas la moindre. Il est haï par Israël et Netanyahou, sans pourtant arriver à exercer une pression efficace sur ce pays. L’Afghanistan, devenue “sa” guerre, est en passe devenir “son Vietnam”, ou pire encore.

En toutes choses, Obama a choisi la demi-mesure pour parvenir à faire l’union bipartisane dont il rêve, et il n’a réussi qu’à s’aliéner les deux côtés d’une façon plus ou moins affirmée. Rendu amer et furieux par les échecs d’une politique qu’il jugeait juste et raisonnable, sans comprendre que cette situation exceptionnelle de crise des USA nécessitait les audaces que Deborah White avait cru découvrir dans son discours de 2004, sans comprendre que la sagesse c’est aujourd’hui l’audace (“American Gorbatchev”), Obama s’est effectivement enfermé, depuis la catastrophe du Golfe, dans une forteresse qui exacerbe pour lui tous les risques de sa politique de demi-mesure. Ainsi le drame d’une politique semble-t-il sur le point, si ce n’est fait, de s’incarner dans le drame d’un homme qui se retrouve enfermé dans une position d’isolement qui est le contraire, là aussi, de la politique qu’il entendait suivre pour réconcilier et revigorer l’Amérique.

Du Watergate à l’“oil spill

Tout cela bien compris, il reste qu’il y a la véritable situation politique, laquelle est caractérisée par le désordre, des tensions extraordinaires, une posture systématique aux extrêmes, et aux extrêmes des extrêmes si c’était possible. On mesure l’état des esprits et la pression des psychologies lorsqu’on lit dans le texte de Deborah White que l’une des trois hypothèses qu’elle évoque pour l’affaiblissement dramatique d’Obama est celle-ci : «…that Republicans will win control of Congress in the 2010 mid-term elections, and hence, win the power of the Congressional subpoena.»

Que signifie cette phrase ? Que les démocrates craignent la prise du contrôle du Congrès par les républicains d’abord parce que les républicains disposeraient du pouvoir de l’“assignation à comparaître”. Cela implique qu’ils disposeraient du contrôle du mécanisme pour mettre le président en accusation et le soumettre à une procédure de destitution (“empeachment”). Pourquoi une procédure de destitution ? Pas de réponse. Il semble que les démocrates soient persuadés, et sans doute avec de bonnes raisons, que les républicains ne cherchent qu’une chose, qui est de mettre le Président en accusation… Pour le motif, on verra après !

Dans cette description surréaliste, on a une bonne mesure de la vigueur féroce, cruelle et nihiliste de l’affrontement à Washington. Les démocrates sont persuadés que les républicains veulent “la peau” du président, sans autre raison qu’avoir son scalp, et sans doute ont-ils de bonnes raisons de croire cela. Les républicains, eux, sont dans une logique d’extrémisme à outrance qui, effectivement, les pousserait à chercher à éliminer Obama en cours de mandat pour le seul avantage de l’acte, sans plus réfléchir aux conséquences déstabilisantes potentiellement catastrophiques pour le système (et sur les USA). De tous les côtés, on semble enfermé dans une logique infernale qui ne dépend plus, ni des événements, ni de tactiques politiques construites, mais d’une machinerie de système hors de tout contrôle. Cela rejoint notre appréciation générale de la situation du système de l’américanisme, qui est dans une crise terminale et qui entraîne tous ceux qui en font partie dans sa trajectoire de chute.

Obama réunit contre lui tous les faux arguments, toutes les logiques sollicitées, toutes les rumeurs, et plus il présente un visage de modération et de retenue, plus il est soupçonné de dissimuler de noirs desseins. Cette tension permanente peut effectivement finir, si ce n'est fait, par susciter chez lui des attitudes d’enfermement et de rupture avec la réalité, “à-la-Nixon”.

D’autre part, la crise du Golfe du Mexique, bien que sans le moindre rapport événementiel et politique avec le Watergate, – mais qui se soucie en vérité des événements et de la réalité politique à Washington ? – présente des similitudes de mécanismes et de chronologie.

• Une crise qui démarre d’une façon assez discrète, conduisant le Président à choisir une ligne de conduite d’irresponsabilité dont il ne peut plus se départir lorsque la crise prend de l’intensité ; et l’irresponsabilité a, dans ce cas, le désavantage de la perte de l’autorité et de la légitimité. Or, la constante bataille implicite de la crise de l’“oil spill”, du côté républicain, est justement de tenter d’y impliquer Obama plus directement qu’il n’est.

• Une crise qui, à cause de son démarrage discret, laisse tout le champ à l’exacerbation du système de la communication de s’exprimer dès qu’elle parvient à un degré d’intensité important. C’est le cas depuis la fin mai, sans la moindre ambiguïté. Obama n’y est pas encore impliqué d’une façon directe, et il joue à fond le jeu du bouc émissaire avec BP. Mais cette tactique n’a qu’un temps et, bientôt, avec les dégâts apparaissant dans le pays, la responsabilité du gouvernement va être engagée.

• Une crise qui dure et s’alimente elle-même. Les causes sont complètement différentes, mais, là encore, l’“oil spill” suit également la route du Watergate. Elle s’installe pour durer longtemps et s’exprimer de diverses façons. Là encore, peu importent les causes et les arguments, l’essentiel est bien qu’il s’agit d’un mécanisme qui permet d’attaquer le président.

Le système de l’américanisme est aujourd’hui engagé dans une course qui ne peut être définie que par le mot “vertige”, et le trajet par l’expression “trou noir”. Il ne répond plus à aucune logique politique, aucune manœuvre ou tactique politiques. Les résultats destructeurs qui sont recherchés le sont pour eux-mêmes et rien d’autre, et ainsi en est-il du président Obama. Combien de temps y résistera-t-il, en cédant effectivement peu à peu, ou bien très vite si ce n’est déjà fait, au caractère nixonien du Watergate ? Obama n’a pas compris que la seule chance serait ce “coup d’Etat intérieur” (en renversant la réalité de la crise du Watergate) de l’hypothèse “American Gorbatchev” ; peut-il le comprendre encore ? Le problème, même s’il parvenait à le comprendre, serait qu’il est d’ores et déjà enfermé dans une crise dont il est partie prenante et à partir de laquelle il est bien difficile de susciter une rupture pour mettre en accusation le système par l’un ou l’autre coup d’éclat.