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46221 janvier 2009 — Le président est en fonction et ceux qui attendaient un immense bouleversement peuvent commencer à se demander ce qui a changé. L’événement a été mondial et le monde entier a applaudi au thème du jour qui était la renaissance tant attendue de l’Amérique, tout cela pour nous permettre de mesurer combien le désarroi des USA est aussi celui du monde. Le President-elect, devenu président, a fait un discours qui était plus du “I do what I can” que du “Yes, we can”. Il l’a fait sans atteindre à la grandeur de la tragédie des temps mais avec sobriété, sans trop céder aux sollicitations de la célébration du système par le système lui-même.
Dans ce discours, on a pu noter cette audace significative que le nouveau président ait mentionné le sentiment du “déclin de l’Amérique”, – certes, pour éventuellement exhorter à le répudier mais nullement pour le ridiculiser, finalement pour reconnaître implicitement que ce sentiment, qui est la perte de la confiance, existe effectivement et qu’il a des raisons d’être. Il a mentionné également le mal profond du temps historique, qui est la paralysie de la politique («The question we ask today is not whether our Government is too big or too small, but whether it works»). Et puis, là-dessus, omniprésente bien sûr, la force de la crise qui écrase l’Amérique. Daniel Finkelstein, du Times, ce 21 janvier 2009, a reconnu ce ton, en citant les deux passages qui nous ont également frappé.
«Mr Obama was elected on a wave of optimism, a surge of hope. But I think that when he is remembered by future generations it may be as the man who said: “No we can't.” Mr Obama's soaring rhetoric lifts hearts, his ambition excites the imagination, but just as impressive to those who meet him is his cool, detached demeanour. He may prove just the man America is looking for–- the man who can unleash its “can't do” spirit.
»The inaugural address yesterday was full of defiant language. The new President noted “a sapping of confidence across our land - a nagging fear that America's decline is inevitable, and that the next generation must lower its sights”. He said that this was a challenge and he promised to meet it.
»Then he added: “Now, there are some who question the scale of our ambitions – who suggest that our system cannot tolerate too many big plans. Their memories are short. For they have forgotten what this country has already done; what free men and women can achieve when imagination is joined to common purpose, and necessity to courage.”
»Yet accompanying these bullish assertions, delivered as they were (it has to be said) with stunning force (almost too great for the words to bear), was a downbeat message. He described a nation at war, an economy badly weakened, a collective failure to make hard choices. And while the new President promised to face these difficulties, he was extremely careful not to promise to eliminate them.
»His attempt to summarise his attitude to the state produced this: “The question we ask today is not whether our Government is too big or too small, but whether it works.” In other words, he offered his audience ruthless pragmatism, a clear-eyed realism distinct from the upbeat message of the campaign trail.»
Gerard Baker, également du Times, également de ce 21 janvier 2009, montre la même prudence dans le commentaire, une sorte d’attente un peu déçue en même temps que la reconnaissance qu’il était bien difficile qu’il en fût autrement, – c’est la réalité du monde en crise, président Obama ou pas.
«But this was Barack Obama, now President Barack Obama, and if anyone’s oratory can rise to even the highest occasion, it is surely his. And yet, perhaps because the US is confronting its gravest set of circumstances in at least a generation, and perhaps because of the weight of expectations of all those millions of people waiting for a touch of the magic of his famed rhetoric, this was not an occasion on which his oratory soared.» […]
»But the bulk of his speech, and his focus, was on the domestic challenges facing his Administration. All new presidents like to convey the message that the country is in desperate need of a new direction, even when things are going swimmingly. But no one seriously questions the scale of the economic mess that now confronts the US and the loss of national self-confidence is almost palpable.»
Notre commentaire sera naturellement qu’Obama ne fut, hier, ni Lincoln ni FDR. On a déjà dit qu’à cause des circonstances, il s’interdisait effectivement de pouvoir utiliser son inauguration comme un coup de tonnerre pouvant éveiller les consciences et fouetter les psychologies, – comme le fit effectivement FDR le 5 mars 1933. Il n’a pas non plus installé, avec son discours, cette atmosphère de tragédie qui, lorsqu’elle est bien utilisée, mobilise les énergies et crée les solidarités. N’ayant pas plus été Lincoln que FDR mais n’ayant tout de même pas trop cédé à la magnificence convenue de la cérémonie, il a été Barack Obama devant la Grande Crise de 2008 développée sur les ruines de la présidence Bush. Pouvait-il en être autrement, et d’ailleurs le voulait-il, ou bien le pouvait-il? Il est possible que les circonstances, si elles se poursuivent à la vitesse où on les voit, le conduisent à un autre choix que celui du 20 janvier 2009.
On en verra plus sur ces questions dans les mois qui viennent. Très vite, nous pourrons prendre la mesure de cette présidence en tous points exceptionnelle, – c’est-à-dire nécessairement exceptionnelle parce que les temps courants sont effectivement de cette texture, – et l’exceptionnalité pouvant être aussi bien celle du succès, de la révolte ou de l’échec. Le point central de l’évidence même est que le président, ce 20 janvier 2009, comme les directions politiques en général, s’arrangent comme ils peuvent des circonstances et des événements que leur impose l’Histoire déchainée. Cela ne décourage nullement, et cela renforce au contraire, cette pensée qu’un jour, dans un temps où les jours passent vite, cet arrangement peut conduire hors des sentiers battus, sur des voies révolutionnaires.
[Ci-dessous, nous publions l’éditorial de notre Lettre d’Analyse de defensa & eurostratégie du 25 janvier 2009, consacrée à l’inauguration du président Obama.]
«Comme chacun ne pouvait manquer de le savoir, l’Inaugural Adress du President-elect devenu président, ce 20 janvier 2009, ne pouvait être qu’historique. Elle le fut, par cette attente, par l’écho gigantesque de la chose, par l’espèce de mondialisation du propos et de l’attention pour le propos. Elle fut aussi la confirmation que l’homme reste “humain, trop humain”, et que c’est la nature des choses.
»Il y a, dans ce monstrueux et tentaculaire système de la communication, une démarche automatique, “plus forte que lui” dirait-on, de sacralisation de l’événement qu’il fabrique, prépare, annonce et glorifie, avant que l’événement n’ait lieu. Soudain, dans la réalisation de la chose, quand l’événement a effectivement lieu sous nos yeux et pour nos oreilles, et qu’on mesure après tout qu’il n’est qu’humain et rien qu’humain, il y a un phénomène de désacralisation qui n’est que l’acquiescement à la logique du monde et à la réalité de notre existence. Ainsi en fut-il ce 20 janvier 2009.
»Le President-elect, à cause des circonstances qu’on connaît et des événements paroxystiques qui nous conduisent et nous emportent, était déjà, lorsqu’il a parlé, un président “in charge”, agissant effectivement. Son discours n’a pas été celui d’un début inspiré mais celui d’un commentaire un peu plus solennel d’une action déjà en cours. Ainsi a-t-on pu en percevoir les limites. Le “Yes, we can” a cédé la place au “I do what I can”.
»
»Il a dit des choses dures et fermes. Il a parlé de la confiance qui s’égare et s’étiole, du sentiment de désarroi qui se répand, «a nagging fear that America’s decline is inévitable». Il a parlé de la crise du monde et de l’Amérique, de la crise ontologique de la chose politique («The question we ask today is not whether our Government is too big or too small, but whether it Works»). Rendons grâce à sa lucidité en espérant qu’elle saura lui servir dans cette présidence qui ne peut être que tragique (à la mesure de ce que l’Histoire est tragédie pure).
»Pour l’heure, cette lucidité ne sert qu’à mesurer l’immensité de la tâche et à suggérer une mesure des capacités humaines face à cette immensité. L’inauguration du 20 janvier 2009 a laissé ouverte l’appréciation qu’on aura du nouveau président. Elle nous a montré un homme de qualité mesurant le poids formidable de l’Histoire déchaînée; un homme qui nous dit: “si nous n’y prenons garde, nous serons écrasés par l’Histoire.”»
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