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771Dans les réactions et commentaires au texte des époux Leverett que nous reproduisions le 5 août 2013 dans Ouverture libre, on trouve un message d’un lecteur qui se donne le pseudonyme de Fiorangela, qui reproduit la réponse d’un député qui a voté le 31 juillet en faveur de la résolution de la Chambre des Représentants renforçant les sanctions contre l’Iran. (Vote de 400 voix contre 20, une énorme majorité.) Le parlementaire était interrogé sur C-Span, le 1er août 2013, par le modérateur Paul Orgel.
Paul Orgel : «What do you think about Iran these days in light of the House’s 400-to-20 vote in favorl of tougher sanctions… the toughest sanctions yet, against Iran, to cripple Iran’s disputed nuclear program?»
Congressman : «I voted in favor of it. In fact, I offered five amendments to that specific bill in order to strengthen it, but honestly, I don’t think it’s enough. I’m not one of those people who thinks we should water these things down. I think that we should strengthen them even more than the bill that we already passed because what we’re doing is not working. Iran IS proceeding with getting nuclear weapons. I don’t want Iran to have a nuclear weapon.
»You know there is this theory that, well, Pakistan has one, India has one. Why can’t Iran have one? And that’s just not an experiment I want to run. I don’t think that every country deserves nuclear weapons, I don’t believe that at all. I think that it’s a question of, Are we willing to take the risk?
»You know, there was a great debate about whether we should allow the Soviet Union to get nuclear weapons. When we had nuclear weapons the Soviet Union did not. The same debate occurred after China got a nuclear weapon. I think that in the case of Iran, their public statements, they want to destroy Israel, they hate America, I don’t know why we should take the chance. And in that light I am pleased that we have cut back substantially on Iran’s oil income, but I don’t see any direct evidence of that pain that we are inflicting on the Iranian economy, which is real, and substantial, is having any impact on the decision making of the people in charge in regard to their nuclear program.»
... Comme on a pu le comprendre en lisant rapidement la ligne de présentation de cet article, il s’agit du Représentant, ou député démocrate Alan Grayson. Comme on le sait au travers de l’un ou l’autre de nos articles, notamment celui, fort récent, du 27 juillet 2013 où il se révèle comme l’un des animateurs de la fronde anti-NSA à la Chambre, Grayson nous est souvent apparu comme un de ces parlementaires US qui pouvaient jouer un rôle antiSystème intéressant, et qui le joue manifestement dans la crise Snowden/NSA. Par contre, dans l’affaire iranienne où il se révèle comme l’un des plus anti-iraniens parmi les plus anti-iraniens des parlementaires, il est également manifeste que nous ne pouvons hésiter une seule seconde à le considérer comme une créature du Système, menant une action absolument favorable au Système.
Le cas est intéressant ici parce qu’il est particulièrement net, et il permet de renforcer la définition du phénomène antiSystème en s’appuyant sur des circonstances opérationnelles dont il nous semble fortement qu’elles ne peuvent se résumer à une simple action corruptrice, à des pressions, etc., dans ce cas de la part du Lobby pro-israélien, l’AIPAC plus précisément, qui est intervenu massivement pour favoriser ce vote de la Chambre, qui a participé à l’élaboration du projet de loi voté, etc. La personnalité de Grayson, son indépendance évidente, ses diverses actions contre la Federal Reserve, jusqu’au cas de la NSA déjà rappelé, nous conduisent effectivement à estimer que nous avons affaire à des positions qui sont les siennes propres, tant dans la crise Snowden/NSA que dans la crise iranienne pour les deux cas considérés. Pourtant, l’une est franchement antiSystème, l’autre est clairement pro-Système. Cela pose clairement le problème de l’identification d’une posture, d’une action, d’un engagement antiSystème, et celui de sa définition. On comprend, avec l’éclairage du cas Grayson, combien la position et l’action antiSystème sont extrêmement relatives et constituent des variables auxquelles il faut accorder toute son attention. Le cas Grayson est d’autant plus intéressant qu’il permet d’observer qu’on peut être d’une position-Système et d’une position antiSystème, d’une façon absolument radicale dans les deux cas, sans passer par les nuances des incertitudes où le jugement peut être conduit jusqu’à l’hésitation, voire à l’abstention. Dans un cas (l’Iran), Grayson est complètement une créature-Système ; dans le cas de la NSA, il est tout aussi complètement antiSystème.
Cela nous conduit à observer que le passage d’une position-Système à une posture antiSystème n’est ni la conséquence d’un jugement selon ce thème (suis-je pro-Système ? Suis-je antiSystème ?), ni même l’effet d’une démarche consciente. Il s’agit d’une situation caractéristique de notre époque, où le chaos est d’abord dans les psychologies affaiblies, ce qui conduit à un cloisonnement de la pensée, et par conséquent du jugement, et à des décisions chaotiques dans le sens d’être contradictoires, entérinant effectivement le chaos des situations extérieures, et même les accentuant bien entendu. Ainsi Grayson semble-t-il incapable de tracer une logique entre les deux comportements mentionnés. D’une part, il est totalement contre l’armement nucléaire de l’Iran, cela au nom d’un raisonnement dont l’origine implique que l’Amérique aurait dû rester seule détentrice de l’arme nucléaire, ce qui suppose une vertu fondamentale et inaliénable du système de l’américanisme, donc du Système ; par contre, il attaque certaines des activités les plus spectaculaires du Système (de la NSA ou de la Federal Reserve, qui sont des institutions-Système par excellence), d’une façon dont la logique, si elle était conduite à son terme, conduirait à affirmer l’absence complète de cette vertu américaniste fondamentale. Il est évident que la psychologie affaiblie de Grayson, qui lui interdit de pousser les idées ou les jugements jusqu’aux termes de leurs logiques, puis de les confronter pour décider où se trouve l’essentiel et où se trouve l’accessoire, lui interdit également de déterminer des forces comme celle du Système ou d’une attitude antiSystème.
La différence par rapport, disons, aux premières années de l’après 9/11, au moins jusqu’à 2008, est qu’il existe aujourd’hui une telle faiblesse interne au Système, une telle paradoxale impuissance de sa puissance, avec sa tendance surpuissance-autodestruction en pleine action, que même des psychologies affaiblies peuvent choisir des voies, notamment dans la situations interne plongée dans le désordre de la direction politiquer washingtonienne, qui conduisent (inconsciemment sans doute, peu importe) à des attitudes antiSystème terriblement dévastatrices pour le Système. C’est le cas de Grayson avec la NSA.
Pour nous, cela implique la nécessité d’appréciations extrêmement souples, en position d’ouverture constante, prêtes à se modifier selon les actes constatés et leurs effets, utilisant une référence unique (le Système, et comment être le plus antiSystème possible) et nullement les références idéologiques sempiternelles et les étiquetages habituels. Cela implique aussi des choix d’appréciation pour juger de l’importance et des effets de l’action. Que nous importe que Grayson pense ce qu’il pense de l’Iran, et qu’il vote comme il le vote, alors que, selon notre appréciation, l’affaire iranienne est quasi-irrémédiablement bloquée, et alors que, avec l’évolution des situations, il devient de plus en plus avantageux pour la cause antiSystème que les USA (le Système) ne s’arrangent pas avec l’Iran ? Il y aurait alors de grandes chances qu’on aille vers ce que les époux Leverett désigne comme “le suicide stratégique de l’Ouest” (voir le 5 août 2013), situation évidemment antiSystème. Par contre, l’action de Grayson dans le cadre de l’attaque contre la NSA, qui répond à un besoin intérieur aux USA (crainte d’un gouvernement policier totalitaire), est une attaque contre le Système, contre son cœur, une attaque ayant une dimension potentielle de délégitimation du Système au travers du gouvernement fédéral US et du complexe militaro-industriel, ce qu’on nomme aujourd’hui le National Surveillance State, comme le souligne Raimondo dans son article cité le 6 août 2013. Notre jugement est donc posé sur Grayson : c’est un bon atout antiSystème, même s’il vote conformément aux consignes de l’AIPAC, – même s’il vote par conviction, d’ailleurs...
Au reste, l’AIPAC, comme Netanyahou d’ailleurs, en enfermant la politique iranienne des USA et en participant à la grande entreprise de paralysie de la “puissance impuissante”, ne sont-ils pas eux aussi antiSystème en un sens, – sens de l’autodestruction, certes ?
Mis en ligne le 8 août 2013 à 06H33
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