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838C’est effectivement dans un éclair de lumières disco, de flash et de sonos grondantes, de fumerolles postmodernes et colorées, que le F-35/JSF a reçu vendredi son nom de baptême : Lightning II. La cérémonie a été grandiose, comme si la pompe et les ors de l’organisation de l’événement devaient donner son existence triomphante à un avion qui n’a aujourd’hui qu’une existence chaotique. L’USAF sponsorisait la cérémonie, avec discours du chef d’état-major qui présenta le JSF comme un outil idéal dans la “guerre contre la terreur”. (En fait, c’est un outil idéal dans la guerre pour la survie du F-22, mais passons.)
Le JSF pour la “guerre contre la terreur”, — virtualisme pour virtualisme, la référence est idéale. Mais Lightning II, est-ce un nom idéal?
Pour d’obscures causes bureaucratiques, l’USAF a bien des difficultés à trouver des noms de baptême à ses avions, depuis les années 1970. Le dernier à être franchement (et assez justement) nommé fut le F-15, baptisé Eagle avant même d’être né F-15. Le bombardier B-1 de 1974 resta longtemps B-1 (B-1A puis B-1B) avant d’être discrètement baptisé Lancer en 1982. Le F-16 fut connu d’abord comme “F-16” ; son baptême fut incertain et on le baptisa Viper avant de lui donner le nom de Falcon ; nom surchargé précipitamment en Fighting Falcon après qu’on se fût aperçu que Dassault avait une famille (civile) d’avions Falcon ; s’il reste désigné plus ou moins officiellement Falcon, tout le monde continue à l’appeler “F-16”. Le B-2 a un nom bien furtif (Spirit), à peine utilisé parce que venu sur le tard et confondu avec le “prénom” de chacun des 21 B-2 composé avec un nom d’État, comme l’U.S. Navy nommait ses cuirassés du temps de leur splendeur (“Spirit of Missouri”, par exemple) ; pour l’essentiel, le B-2 reste le B-2 et est rarement désigné Spirit.
Et puis il y a la manie étrange de ne pas trouver de noms nouveaux, d’aller pêcher un nom d’ancien avion fameux pour le ressusciter avec l’indicatif “II”. Le A-10A fut ainsi nommé poussivement Thunderbolt II en souvenir du P-47 de Republic (effectivement constructeur du A-10A après avoir été absorbé par Fairchild) ; pour les pilotes et les connaisseurs, la A-10A est le “Warthog” et rien d’autre. Le C-17 de transport stratégique est le Globemaster II, en souvenir du C-124 de Douglas (absorbé en 1964 par McDonnell, puis McDonnell Douglas absorbé en 1997 par Boeing). Le F-22 reçut le nom de Lightning II, en souvenir du P-38 de Lockheed (Lockheed Martin en 1993), avant d’être rebaptisé Raptor. Enfin notre favori, le JSF ou F-35, a hérité à son tour, gâterie refilée par le Raptor, du nom de Lightning II…
Cette absence d’inspiration et ce recours aux références passées mériteraient d’intéresser un psychanalyste qui nous donnerait son diagnostic sur l’état de l’âme de la bureaucratie. (Peut-être la bureaucratie regrette-t-elle le temps où il y avait peu de bureaucratie et beaucoup de programmes couronnés par le succès et l’abondance. C’est le cas des Lightning et Thunderbolt, deux chasseurs de la Deuxième Guerre mondiale.) Cette complication et cette absence d’imagination spontanée pour les noms de baptême pourraient également être expliquées par le surgissement des techniques de communication postmodernes, avec l’invasion des symboles (même nom réutilisé), avec les manipulations de ceci et cela. Les noms redoublés et modernisés satisfont souvent les compagnies qui fabriquent l’avion (le Lightning perpétue la production de Lockheed) plus que les pilotes. Cela constitue un bon aliment pour la “com”.
Bref, pour vous et pour nous, il y aura beaucoup de temps avant que le JSF soit autre chose que le JSF.
Mis en ligne le 8 juillet 2006 à 13H36