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1er septembre 2003 — La réflexion bat son plein à Washington, vieille habitude de Washington. Le Washington Times, qui relaie souvent les milieux militaires et ultra-conservateurs, nous dit, dans un éditorial signifiant qu’il s’agit de la position du journal, que l’armée américaine va devoir changer de fond en comble. Cette déclaration nous surprend, d’abord selon une remarque de bon sens : nous pensions que ce changement “de fond en comble” était déjà en cours, puisque Rumsfeld nous en parle depuis pratiquement son arrivée. (On ajoutera que tout le monde, secrétaires à la défense, généraux, etc nous en parlent depuis la première Guerre du Golfe, depuis la chute du Mur de Berlin, depuis l’arrivée de Gorbatchev et ainsi de suite, en remontant selon le pointillé...)/
Le premier paragraphe de cet éditorial est remarquable parce qu’il contient toutes les données de ce problème complexe qu’est aujourd’hui la puissance américaine et, implicitement, les limites à prévoir, voire les contresens, qu’on pourrait trouver dans les solutions qui seraient apportées.
« The U.S. military commitments to Iraq, Afghanistan and other battlefields in the global war on terrorism are likely to be long-lasting. Before resolving the issue of whether to expand the U.S. military force structure to meet the commitments of the war, there is an immediate need for the types of forces most suited to the new kind of warfare. In addition to investing in high-value force options, there is also a need to spend money on different types of capabilities to integrate these forces into the new warfare. For a generation, the U.S. military has prepared forces able to defeat any opponent on the battlefield. What we now have to improvise is a capability to build upon this battlefield success in order to win a lasting victory in the war on terror. »
On nous dit ainsi, et successivement :
• On se trouve (avec l’Irak) devant une nouvelle sorte de guerre, avant de songer à augmenter les forces il faut songer à les modifier. Cette appréciation qui a l’air de bon sens se révèle être une lapalissade usée jusqu’à la corde. Cela fait plus de 10 ans (et si l’on veut, on pourrait remonter à Kennedy instituant une “école de lutte contre-guérilla” au début des années 1960) que les nouvelles conditions de la guerre se sont révélées (Somalie, Haïti, Yougoslavie, etc) et il semblerait d’après ce qu’on nous dit dans ce texte que rien de sérieux n’ait été fait. Pourquoi plus aujourd’hui qu’hier ?
• On remarque pourtant que l’armée US a préparé pendant une génération une machine de guerre capable d’écraser tout adversaire dans une bataille conventionnelle de haute intensité (« For a generation, the U.S. military has prepared forces able to defeat any opponent on the battlefield »), et l’on n’a rien à redire à cela. Au contraire, il nous est annoncé que cette structure a prouvé toute son efficacité (« What we now have to improvise is a capability to build upon this battlefield success in order to win a lasting victory in the war on terror. »), donc qu’elle était nécessaire et utile (allusion aux deux guerres contre l’Irak).
• A aucun moment n’est établi de lien de cause à effet entre tous ces événements. (Cette absence de lien de cause à effet est caractéristique de la psychologie moderniste, particulièrement de la psychologie américaniste). Ainsi est-il jugé nécessaire que l’armée américaine ait été ce qu’elle est encore (une machine pour les guerres conventionnelles) autant qu’il est jugé nécessaire qu’elle se transforme décisivement. D’une part, il y a de l’illogisme dans le propos : selon cette logique, pourquoi l’armée conventionnelle ne serait-elle pas encore nécessaire demain puisqu’elle l’a été hier dans des circonstances déjà établies et conformes à celles qu’on connaît aujourd’hui ? C’est alors qu’il faudrait deux armées, une conventionnelle et l’autre pas ? Est-ce bien raisonnable ? D’autre part, nulle part on ne se demande si la situation aggravée où l’on se trouve aujourd’hui, nécessitant une réforme d’urgence des forces armées, n’est pas justement due à la sorte de “victoire” emportée d’une façon conventionnelle. (Cela revient à la question de savoir si le chaos d’aujourd’hui n’est pas l’enfant direct de la victoire de mars-avril dernier, ce qui nous paraît l’évidence et qui n’est absolument pas envisagé par les Américains.)
Ces diverses remarques laissent profondément sceptiques, et sur le processus d’une réforme des forces armées US, et sur la capacité américaine de réforme, et sur la compréhension même des Américains de la réforme nécessaire. Elles nous font comprendre comment la réaction américaine après le 11 septembre 2001 se définit aujourd’hui par un échec chaque jour plus complet et plus préoccupant, caractérisé principalement par le chaos irakien. Elles nous font mesurer combien la puissance américaine est, en réalité, c’est-à-dire dans la réalité, une complète impuissance.
En guise de post-scriptum, on observera que, même du point de vue le plus simple, le point de vue technique (les équipements), les Américains ont les plus grandes difficultés du monde à aller vers une réforme. L’exemple du nouveau véhicule léger de combat Stryker est édifiant. Ce système, étudié de longue date, coûteux, développé avec attention, envisagé évidemment pour les situations de conflits asymétriques où les forces US ont à affronter des adversaires irréguliers, terroristes, guérillas, etc, se révèle notamment vulnérable aux armes RPG (lance-grenades de fabrication soviétique). On sait depuis longtemps, depuis un demi-siècle, depuis les aventures cubaines, le Viet-nâm, etc, que les deux armes de prédilection de tous les irréguliers du monde sont le fusil d’assaut AK-47 et le lanceur individuel de grenades RPG-7. Et voilà qu’il se pourrait que le Stryker soit vulnérable à l’un des deux ...
« The Army's new state-of-the art infantry vehicle slated to make its combat debut in Iraq in October is vulnerable to the kind of rocket-propelled grenades now being used by Saddam Hussein's guerrillas, a consultant's report charges.
» The Army, which rebuts the report's findings, plans to send 300 Stryker armored vehicles and 3,600 soldiers to Iraq. This first Stryker brigade will help put down the resistance that has killed more 60 American troopers since May 1. It will also be a preview of a lighter, more mobile Army for the 21st century.
» But a report prepared for Rep. James H. Saxton, New Jersey Republican, says the vehicle is ill-suited for such warfare. “Poorly armored and entirely vulnerable to RPGs,” states the glossy, 108-page report prepared July 18 by consultant Victor O'Reilly. »