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11 août 2003 — Le débat devient sérieux désormais, au sein de la droite radicale et idéologique qui inspire et soutient GW et sa politique. Comme on peut s’y attendre, il se fait entre la branche conservatrice (Rumsfeld et compagnie), représentant les nationalistes américanistes, et la branche libérale-interventionniste (néo-conservateurs, ralliant enfin les ex-libéraux et les ex-progressistes dans une politique d’intervention impérialiste maximale).
Le débat devient sérieux parce qu’il porte sur l’essentiel pour cette administration et pour les forces bureaucratiques qui s’affrontent, — les perspectives budgétaires, la structure des forces armées US, leur avenir, par conséquent la suite de la politique d’intervention et de conquête déterminée par les moyens, y compris la politique suivie ou à suivre en Irak. De façon très concrète, la question porte sur l’ampleur du budget DoD et sur l’effectif des forces terrestres américaines, c’est-à-dire l’U.S. Army. (Question déjà implicitement évoquée par le nouveau chef d’état-major de l’U.S. Army, lors de son audition de confirmation devant le Congrès. Le général Schoomaker, pourtant un homme de Rumsfeld, a répondu qu’il devait faire une estimation pour voir s’il avait besoin de troupes et de structures supplémentaires, mais qu’« il sentait intuitivement » qu’il en aurait besoin.)
Le problème est désormais abordé de façon très sérieuse par la presse la plus intéressée par cette question. Témoin, cet article du Jane’s Defence Group, paru le 6 août, développant le thème déjà connu (il avait été étudié d’un point de vue théorique par Paul Kennedy) de l’« imperial overstretch ».
« At first sight, the suggestion that US forces are overstretched appears startling. In the last three years, the US military has successfully removed from power no less than three governments that, for one reason or another, Washington did not like: in Yugoslavia, Afghanistan and Iraq. Furthermore, this has been accomplished with a relatively small number of troops and surgical strikes, creating vast destruction to the enemy but leaving US troops more or less unscathed. Even if US reinforcements are now required in Iraq and the country's occupation lasts longer than originally envisaged, the deployment in Southwest Asia will not involve more than a quarter of the USA's total military might.
» Seen from this perspective, the USA remains more than capable of holding Iraq down, while confronting North Korea and Iran - its next main targets. Washington's declared policy of being ready to fight two major wars around the world at the same time remains, therefore, intact.
» However, this is only part of the story. Twenty-one of the US Army's 33 regular combat brigades are already on active duty in Iraq, Afghanistan, South Korea and the Balkans, amounting to roughly 250,000 fighting men and women. And this does not include a substantial number of US troops regularly stationed in Germany, Britain, Italy and Japan, or smaller contingents now scattered around the world. A traditional calculation assumes that for every soldier deployed on an active mission, two more are required to be kept in reserve, either in order to rotate those in action or to prepare for that rotation. Under this assumption, the USA has already reached its limit today. But, to the frustration of the Pentagon, neither US diplomatic priorities nor the sheer pace of international developments appears to take this into account.
» The cost of occupying and rebuilding Iraq now runs at roughly US$4bn a month and is rising. More importantly for US military planners, it also costs, on average, the life of one US soldier a day. Furthermore, Washington has already decided that it will make no further cuts in its presence in Europe and cannot extricate itself from Afghanistan. Given the North Korean situation, no cuts in US troops can be expected in Asia either, notwithstanding the planned redeployment of US forces inside South Korea. And, to cap it all, Washington is now certain to deploy troops in Liberia. »
Effectivement, ce débat sur les capacités pour développer une politique dont la référence impériale est inévitable, qui avait déjà été lancé sur le plan plus général des dépenses du DoD, en marge de la campagne présidentielle de 2000 et dans l’univers pré-9/11, touche des points conceptuels essentiels où les grandes tendances de la force idéologique inspiratrice de la politique actuelle peuvent se diviser gravement. Tout cela, le débat et la séparation possible jusqu’à l’opposition, sont des questions en suspens depuis des années.
Sur la question des forces armées elles-mêmes, on trouve deux grandes tendances et une tendance annexe, d’opportunité :
• La tendance des “nationalistes” comme Rumsfeld, qui acceptent des projets “impériaux”, éventuellement habillés de considérations idéologiques américanistes mais ne veulent pas, pour cela, étendre les structures militaires jusqu’à atteindre un poids bureaucratique et budgétaire trop grand. La formule de Rumsfeld est qu’on peut assurer l’essentiel des missions de guerre avec l’effectif présent. Rumsfeld est opposé au projet qui est débattu aujourd’hui au sein de l’U.S. Army de réactiver deux divisions en plus des 10 que déploie l’U.S. Army.
• Cette position de Rumsfeld est combattue de façon opportuniste par l’U.S. Army (la “tendance annexe”), qui verrait d’un bon oeil sa puissance bureaucratique renforcée par un développement de ses structures de combat (les 2 divisions en plus). Il ne s’agit là en aucun cas d’une position idéologique, mais d’une position bureaucratique, d’un pur “groupe d’intérêts”.
• La tendance des néo-conservateurs, qui subordonnent la puissance militaire à des projets d’expansion hégémonique, est très différente de celle de l’U.S. Army, même si elle recoupe ses demandes. Pour les néo-conservateurs l’effectif actuel est insuffisant et il devient impératif de renforcer les forces armées américaines, essentiellement pour poursuivre l’expansion hégémonique américaine. Cette position a été exposée d’une façon pressante sur le site du Weekly Standard, par un court article de Gary Schmitt, directeur du Project for the New American Century, qui est un des relais essentiels d’influence des néo-conservateurs. L’article de Schmitt, très court, représente une prise de position très nette de cette tendance essentielle d’influence de la politique extérieure US. Nous le reproduisons ci-dessous.
« SECRETARY OF DEFENSE Donald Rumsfeld can study the issue of active-duty troop strength all he wants but it won't change the obvious: U.S. land forces are two divisions short of being able to carry out effectively its present responsibilities.
» Winning wars is not enough. We must also be able to maintain the peace globally and win the peace after the battles have been fought. It is clear that we don't have sufficient troops on the ground in Afghanistan; we don't have sufficient combat troops in reserve to handle a serious conflict on the Korean Peninsula; we are running around the world trying to pry troops from any and all countries we can to fill out deployments to Iraq; and we are deploying our reserve forces at unprecedented levels.
» Instead of addressing the problem, Rumsfeld's team will be studying how to ''privatize'' base security and non-combat jobs now performed by uniformed troops. They will soon discover, however, that only a small percentage of these non-combat jobs can be safely given over to non-military personnel and that the rest are not civilian-jobs-in-the-making, but tasks military personnel carry out for good reason — and, as such, require a military chain of command. Like any large bureaucracy, the Pentagon undoubtedly does not operate in the most efficient manner possible. And, to the extent one can, gross inefficiencies need to be addressed. But wringing the system of inefficiencies will not in fact solve the current crisis in end strength.
» Rumsfeld's apparent strategy is to hope that today's high-level of deployments is more an aberration than the norm. But this runs counter to the broad implications of the National Security Strategy set out by the White House in September 2002. There will not be a return to the so-called “era of strategic pause” anytime soon. And it is a dangerous matter to pronounce a strategy that one cannot support safely and with confidence militarily. »
Les deux phrases clef de Gary Schmitt sont : « Winning wars is not enough » et « There will not be a return to the so-called “era of strategic pause” anytime soon ». Elles signifient que le débat n’est pas seulement technique, qu’il est ontologique. Par conséquent, nous passons au “débat sur l’empire”, déjà mentionné plus haut, et dont on découvre aujourd’hui qu’il est en pleine renaissance à Washington, et qu’il y a toutes les raisons (Irak, capacités militaires, etc) effectivement qu’il renaisse, pour nous conduire, cette fois, au coeur de la question. On comprendra alors, — et les Européens les premiers — combien la question du terrorisme n’a été qu’un détonateur, un révélateur et rien d’autre.