Il se passe quelque chose en Syrie…

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Il se passe quelque chose en Syrie…

Un phénomène est actuellement en cours, suscité, semble-t-il, par les évènements des dix-quinze derniers jours, à la fois les diverses engagements féroces, notamment à Damas et à Alep, à la fois les alarmes concernant les armements chimiques et biologiques syriens. Ce qui est en cause ici n’est pas le sens de ces évènements, ce qu’ils apportent à la situation sur le terrain et leurs prolongements, mais bien une évolution psychologique que nous signalent des sources dans les milieux institutionnels européennes. Il s’agit de la prise de conscience de diverses réalités de la situation opérationnelle en Syrie et, notamment, de la dimension militaire de cette situation, notamment et principalement par rapport aux acteurs extérieurs.

D’abord, il y a une prise de conscience de la situation de l’“opposition”, dans tous les domaines. “On commence à mesurer, disent nos sources, l’absence complète de l’existence d’une interlocuteur sérieux dans cette opposition dont la fragmentation est bien connue, d’une figure quelconque, d’un groupe, d’une personnalité qui pourraient prétendre joue un rôle politique structurant en cas de départ d’Assad. Et l’on s’avise qu’il s’agit d’un problème à la fois politique et militaire grave.” Dans le prolongement de cette réalisation grandissante de la situation de l’“opposition”, il y a la réalisation parallèle impliquée de la complexité de la situation et la dissipation de l’aspect manichéen de la situation. La narrative des massacres et des atrocités unilatéralement commis par l’armée syriennes est en train de perdre du crédit, au profit de la reconnaissance de la situation réelle, plus classique de cette catégorie de conflits, d’événement de la sorte avec des responsabilités diverses et l’impossibilité, sinon l’absurdité de proclamer une ligne d’accusation abrupte et unilatérale. Dans le même sens, il y a une reconnaissance de la très faible fiabilité des sources d’informations jusqu’ici acceptées aveuglément, comme le fameux SOHR de Londres (Syrian Observatory for Human Rights). (Cette reconnaissance ne signifie pas nécessairement que la rhétorique anti-Assad à propos des massacres et autres avatars du conflit changera, les considérations politiques et de communications intervenant fortement. Pour l'instant, il serait préférable de s'en tenir au seul fait ainsi signalé.)

D’une façon plus générale, donc, Il s’agit d’une prise de conscience dans la bureaucratie européenne de la gravité de la situation politico-militaire et militaire en Syrie, avec les perspectives d’élargissement de la crise, et, éventuellement les connexions et le processus d’intégration avec les autres crises (Ormouz, Iran, voir notre F&C du 23 juillet 2012). (L’avertissement lancé par le général iranien Masoud Jazayeri, porte-parole de l’état-major iranien, vient substantiver cette évolution [de Russia Today le 24 juillet 2012] : «President Bashar al-Assad’s regime has friends in the region poised “to strike out” in the event of an intervention into Syria… […] “None of Syria's friends or the great front of resistance has yet entered the scene, and in the event that this happens, decisive blows will be struck at the enemy, especially the hated Arab rulers,” Gen. Masoud Jazayeri, a spokesman of the country's Joint Chiefs of Staff, told Fars news agency.»)

Ce processus psychologique implique le constat de l’erreur de considérer la crise syrienne isolément, enfermés dans la fixation d’une analyse de cette crise unilatéralement considérée selon la doctrine du droitdel’hommisme et l’affirmation radicale et arbitraire de la diabolisation d’Assad et de la nécessité et de l’inéluctabilité de son élimination. Au-delà, ce constat s’accompagne de la réalisation conséquente de l’impuissance du bloc BAO à ce stade, après plusieurs mois d’affirmation aveugle sur la certitude de son rôle décisif et irrésistible. “A cette occasion, disent encore nos sources, on découvre que rien n’a été développé de sérieux en fait d’analyse militaire, notamment des capacités et des possibilités d’action des pays occidentaux, s’il y en a, – et il risque d’y avoir des surprises désagréables”. De ce point de vue, la question de l’armement chimique et biologique de la Syrie, apparue d’une façon pressante durant les dix derniers jours avec les rodomontades du ministre israélien Barack concernant une intervention israélienne directe pour se saisir de ces armements, a joué un rôle de révélateur psychologique. Du coup, et considérant la situation extrêmement faible du bloc BAO à cet égard, les Russes reviennent en grâce. On découvre qu’ils sont des acteurs fondamentaux, sinon l’acteur extérieur principal, et aussi bien au plan militaire que dans les autres domaines. Dans ce nouvel état d’esprit, des projets sont considérés, notamment une coopération militaire entre la Russie et les principaux pays du bloc BAO (USA, France, UK) pour constituer une grande unité de forces spéciales dont la mission serait de “protéger” les armements chimiques et biologiques syriens. L’idée avait déjà été évoquée par Obama à destination des Russes il y a un peu plus d’un mois, sans amener la moindre réaction positive du côté russe ; il n’y a pour l’instant aucune raison pour que la réaction soit différente, les Russes étant fermement appuyés, avec une remarquable constance, sur le principe de la non-intervention. De fait, après l’habituelle hystérie antirusse qui a suivi le troisième veto de l’ONU, les Russes se confirment une fois de plus comme les maîtres du jeu en Syrie, parmi les acteurs extérieurs. Une délégation de l’élément le plus constitutif et le plus représentatif de l’“opposition” syrienne, qui a visité Moscou la semaine dernière, en est revenue avec au moins une certitude confirmée, savoir que seule la Russie peut donner des garanties sérieuses aux différents acteurs syriens en cas d’arrangement internes, – cela, malgré que cette “opposition” s’appuie essentiellement sur le soutien vociférant du bloc BAO.

Ce qu’on décrit ici n’est pas un changement fondamental de la situation en Syrie, bien entendu, mais une évolution psychologique importante sous la pression d’une situation syrienne dont la puissante et violente réalité finit par contrecarrer une narrative du bloc BAO qui commence à montrer ses limites. Cela ne garantit en rien qu’une ligne politique plus cohérente soit en train d’être établie, parce que ce que montre ce déplacement progressif vers une observation plus intéressée de la vérité de la situation, s’accompagne de la découverte (ou redécouverte, parce qu’il ne s’agit pas de la première occurrence de la sorte) de l’impuissance du bloc BAO. Un retour à la narrative ne peut être exclu, mais ne peuvent être exclus non plus la possibilité de certaines divergences au sein du bloc BAO, comme, à l’inverse, le lancement de certaines initiatives extrêmement dangereuses comme une “fuite en avant” pour tenter de sortir des contraintes du constat de l’impuissance à régler le problème syrien (par exemple, en passant à un niveau supérieur d’action avec des moyens très lourds, dans une tentative paroxystique de rupture de la situation). Disons simplement que le climat général totalement subverti par la narrative forcenée, droitdel’hommiste, de diabolisation d’Assad, etc., est en train de se nuancer de certaines incursions dans la vérité du monde, et que le spectacle ainsi découvert n’est nullement rassurant ni libérateur en aucune façon. Il est moins une voie vers la résolution de la crise syrienne qu’un facteur notable, sinon intéressant, dans l’évolution de la crise syrienne.


Mis en ligne le 25 juillet 2012 à 08H58