Il y a donc termites et termites…

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Il y a donc termites et termites…

Une affaire de composants contrefaits, essentiellement chinois et équipant des systèmes de l’USAF, avait il y a peu attiré l’attention. Une de nos lectrices nous avait signalé la chose en parlant de “termites à l’œuvre” et en signalant l’article de Russia Today du 22 mai 2012.

«Bootleg electronic components have found their way onto the US Air Force’s aircraft. An investigation by the Congress has exposed counterfeit electronic parts being used by major aircraft corporations Boeing, Lockheed Martin and Sikorsky. The two-year probe was conducted by the US Senate Armed Services Committee. Overall, 1,800 cases of counterfeit electronic parts being used have been exposed. The Committee concluded that a huge number of fake electronic parts being used in the production of military aircraft, night vision devices, radio stations and GPS navigation modules pose a serious threat to national security. […]

»About 70 per cent of the fake electronic microchips were traced as being produced in China; the rest came from Canada and Great Britain. The investigation revealed a scheme whereby large-scale producers bought counterfeit electronic chips from subcontractors who have established links with pirates.

»Electronic counterfeit is a multibillion business in China. This has led to counterfeit electronic parts flooding the market and being traded openly. The American administration attempted to make Chinese authorities pay closer attention to the issue, but has failed so far…»

Il nous faut ajouter une précision des plus intéressantes… Termites il y a certes, mais elles seraient plutôt américanistes que chinoises pour ce qui concerne l’initiative de la chose. Un article de AOL Defense, du 2 juin 2012 présente l’analyse de deux spécialistes de l’électronique, Michael Pecht et Len Zuga, qui précise l'affaire et lui donne une coloration très différente, et bien plus intéressante encore que la version initiale. Pour eux, les véritables coupables de cette atteinte à la sécurité nationale se trouvent au cœur même de l’industrie de défense US, et les Chinois ne sont que des exécutants parmi d’autres. Les deux auteurs ont étudié avec attention les dépositions des témoins appelés à une audition du Sénat sur cette affaire…

«Listening to the witnesses' testimony at the hearing, anyone who worked in the defense electronics industry could not help but wonder what happened to the robust quality assurance and parts management systems that were mandated by government specifications during the Cold War.

»The team at the Center for Advanced Life Cycle Engineering (CALCE) at the University of Maryland is routinely asked to investigate counterfeit electronics. CALCE has found that the responsibility for counterfeiting most often lies with unauthorized US suppliers (distributors and other mid-tier suppliers), as well as the prime contractors who fail to properly vet their suppliers and ascertain the sources of the parts that they buy.

»These unscrupulous US companies often commission the counterfeiting of parts from foreign suppliers in Vietnam, the Philippines, Thailand, and China. Add to this mix the fact that the US off-shores its scrapped electronics to Chinese parts reclamation mills, and you have a supply source of obsolete electronics components coveted by US military suppliers.

»Market forces have created a demand for counterfeit parts for US military systems, and, not surprisingly, suppliers have arisen to serve that market. The military market, with its constant demand for obsolete parts, the cost and schedule pressures placed on manufacturers, and the overall degradation of its supply chain management and supplier controls, has a created an environment that has allowed counterfeiting to flourish. Semiconductor industry analysts at IHS iSuppli found a fourfold increase in incidences of counterfeit parts from 2009 to 2011, with US-based military and aerospace electronics firms reporting the bulk of these incidents. This marked the first time that the number of reported incidents in a single year exceeded 1,000 - a total that when you take into all the equipment involved, could include millions of purchased parts. If any of these counterfeit parts were to find their way into systems fielded by the US military, the results could potentially be catastrophic.

»For example, Raytheon Missile Systems purchased some 1,500 Intel flash memory (semiconductor) devices for incorporation into the Harm Targeting Systems (HTSs) installed in F-16 aircraft to take out enemy radar systems. Raytheon purchased those parts from a U.S. broker, rather than from the original device manufacturer or its authorized distributor. Without checking the devices ahead of time, Raytheon installed those Intel chips on 28 circuit boards destined for HTS modules.

»The military can be grateful that the boards immediately failed, because Raytheon had to examine the boards to determine the root cause of the problem. Only then did they learn that the parts were all counterfeit. The broker that Raytheon bought the parts from has since been charged with the selling of counterfeit parts, and the guilty parties have been sentenced. The broker had literally given instructions to its Chinese suppliers on how to counterfeit, re-label, and ship parts to the U.S. Thus, the counterfeit parts were actually commissioned by an American company.»

…Parlant de termites et relevant qu’elles sont sans aucun doute américanistes, on est conduit à observer combien cette affaire révèle l’effondrement des références et des valeurs qui formaient le cadre strict des questions de sécurité nationale, notamment durant la Guerre froide et avant. Un seul responsable, le “marché” (le mot market est répété plus qu’à son tour dans le texte ci-dessus), c’est-à-dire l’ultralibéralisme et la doctrine du libre échange qui va avec, notamment avec le développement du processus de globalisation et le déclin de la souveraineté et de l’identité nationales qui va avec. (Cette évolution radicale a commencé sous l'administration Clinton, avec des initiatives décisives de privatisation de larges pans du secteur de la sécurité nationale, notamment à partir du Pentagone, sous la direction du vice-président d'alors, Al Gore.) Cet ensemble de pressions absolument déstructurantes, sinon dissolvantes, mine et détruit toutes les valeurs structurantes qui constituaient l’architecture de protection du bien public, notamment et particulièrement en matière de sécurité nationale. Les Français qui ne cessent de s'en alarmer pour leur compte, en général comme s'ils étaient seuls à subir ces effets, pourront trouver dans cette affaire une satisfaction amère et catastrophique en constatant que le processus est général et universel.

Le fait remarquable, quoique pas nouveau mais jamais considéré sur une échelle aussi vaste et d’une façon aussi systématique, est que l’industrie de défense US, industrie par essence liée aux impératifs principiels de la sécurité nationale, est elle-même l’instigatrice consciente et manipulatrice de la destruction de ces divers principes. Les “forces du marché” emportent tout, les impératifs de sécurité nationale, les privilèges du bien public, l’engagement tacite de la fourniture de qualité pour les systèmes produits, etc. Les complices de ces pratiques, faites au nom du profit et de la rentabilité érigées en objectifs quasiment intouchables, apparaissent comme des individus et des sociétés extrêmement douteux, à la limite des structures proches du crime organisé. Tout y est pour décrire une situation de complète dissolution, contre laquelle les autorités “publiques” aux USA ne pourront pas grand’chose, puisque dépendant absolument des forces du corporate power qui conduisent ces pratiques, et le corporate power infiltrant souvent des hommes à lui dans les organismes de surveillance. Il s’agit d’un cas de plus d’autodestruction du Système, et une démonstration que “la haine du ‘principe du Príncipe’”, qui n’a pas de plus grand moteur que les USA, dévore les USA eux-mêmes.

Sans surprise, tout cela.


Mis en ligne le 5 juin 2012 à 16H44