Il y a quelque chose de pourri dans l’Article 5

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Il y a quelque chose de pourri dans l’Article 5

4 février 2025 (02H55) – Qu’on se rassure aussitôt : je parle de l’Article 5 de l’honorable organisation du traité de l’Atlantique Nord. A côté de cela, je pourrais aussi parler, par exemple, du Canada (quoique le piètre Trudeau a déjà baissé une culotte mais il ne restera pas longtemps), et aussi, et surtout puisqu’on pourrait en faire du Shakespeare, du Groenland dont on sait les liens avec le Danemark, qui est ce royaume fameux. Enfin, tout ce qui réunit ce beau monde, à part les brillantissimes idées du président Trump-II, eh bien c’est l’OTAN ; et l’OTAN, c’est le non moins brillantissime Article 5.

Vous savez qu’on continue à en parler, à évoquer, de la part de Trump et de ses hommes, les ambitions des USA dans cette affaire. Par exemple, JD Vance répond à une interview sur le réseau télévisuel de   ‘Breitbart.News’, notamment sur le sujet. Cela donne ceci :

Maria Bartiromo : « Pensez-vous que les États-Unis vont acquérir le Groenland ? »

JD Vance : « Je pense que c’est possible, Maria. Je pense que beaucoup de gens n’apprécient pas à propos du Groenland qu’il s’agit d’une zone vraiment importante pour notre sécurité nationale. Il y a des voies maritimes là-bas que les Chinois utilisent, que les Russes utilisent, et franchement, le Danemark, qui contrôle le Groenland, ne fait pas son travail et n’est pas un bon allié. »

Vous notez que ce n’est pas agressif ni menaçant après que la journaliste ait parlé d’“acquérir” et non de “conquérir”. Mais c’est assez  méprisant et cela reste très impératif au bout du compte, je veux dire qu’on comprend qu’il est inutile de discuter, point final : “Les Danois ne font pas leur boulot dans l’utilisation du Groenland au niveau de la sécurité, alors c’est à nous de nous en charger”.

Un journaliste russe, Youri Podolyaka, lie les deux affaires et cela donne ceci, qui est particulièrement intéressant :

« Les attaques de Trump contre le Canada (et le Danemark) et la charte de l'OTAN...

» Je lis les nouvelles attaques de Donald Trump contre le Canada (et auparavant contre le Danemark à propos du Groenland), en fait un ultimatum, et j'essaie de comprendre comment, en cas d'agression américaine contre l'un des pays de l'Alliance de l'Atlantique Nord, selon la charte de l'OTAN, ses membres devraient agir.

» L’Article 5, qui parle de sécurité collective, ne dit rien sur le fait que le pays agresseur soit un pays de l'OTAN ou non.

» Ainsi, tous les autres pays de l'OTAN dans ce cas SONT OBLIGÉS de déclarer la guerre aux États-Unis.

» Dans quelle époque intéressante nous vivons... »

Je sais bien, je l’ai écrit assez souvent, que Podolyaka se trompe : l’Article 5 ne fait pas obligation d’employer des “moyens militaires” (a fortiori de “déclarer la guerre”) pour aider un autre membre de l’OTAN qui se jugerait attaqué. Je me suis encore attardé au cas le 17 janvier (voir l’intertitre « L’Article 5 ou la tangente »), répétant toujours la même anthième : l’article invite chacun, dans le cadre de l’obligation de l’Article 5, d’envisager « telle action qu’il jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée » pour venir en aide à l’ami en détresse. C’est on ne peut plus fluide, vraiment, là où l’on envisage même, comme en un cas absolument exceptionnel, l’emploi des forces armées.

Mais cela importe peu. Le journaliste Podolyaka cite l’Article 5 (en anglais) parce qu’il décrit ce qu’il prévoit de façon assez évidente dans le comportement des américanistes-occidentalistes. Il ne voit pas cette si importante, si essentielle raison, qui fut voulue au départ par les USA pour n’être en aucune façon contraint d’intervenir en Europe ; c’est aux autres membres de l’OTAN de s’en rappeler et de s’y conformer...

Note de PhGBis : « A cette époque de la création de l’OTAN, en 1948, il y avait un très fort courant d’isolationnisme aux USA et, malgré les poussées “impérialistes”, les USA furent très largement en retrait dans la mise au point et la signature du traité, voulues essentiellement par les Britanniques et les Français. [Voir notre Glossaire.dde : “Le “Trou noir” du XXème siècle”.] Ce qu’ils voulaient, c’était tenir l’Europe avec leur fric, le Plan Marshall, et l’influence de la CIA ; pour le reste, le casse-pipe, on comptait sur l’armée européenne de la CED Made in USA, que la France repoussa par un vote historique et glorieux de l’Assemblée Nationale en 1954. »

Ce qui importe, c’est que, dans tous les esprits, l’Article 5 s’impose comme une obligation d’intervention. C’est même un des moyens de faire tenir ensemble la coalition antirusse de l’OTAN, – et l’on se garde bien de mettre en évidence la faiblesse de cette nécessité d’intervention (largement dépassée, notamment, par le traité de Bruxelles qui institua pendant plus d’un demi-siècle l’UEO entre les pays européens de l’Ouest et faisait obligation d’une intervention militaire en cas d’attaque contre un de ses membres).

C’est un bien curieux phénomène, j’en conviens : tout le monde se croit lié aux autres par cette terrible obligation, mais ne l’est aucunement. Peu importe, le conformisme de la pensée fait que les principaux intéressés feront “comme si” l’Article 5 disait ce qu’il ne dit pas. (Sauf sans doute l’Amérique de Trump, qui arrivera bien à dénicher ce sortilège du simulacre quand cela l’arrangera, mais appuiera dessus dans le cas contraire.)

Ce n’est pas que je craigne un conflit de cette sorte complètement ubuesque et rocambolesque, mais plutôt la pression que cette interprétation faussaire doit faire peser sur les uns et les autres, et le ferment de division qu’il doit semer dans les pensées quant aux décisions à prendre, et enfin la position du public (européen dans ce cas) devant ces tourments incompréhensibles de la bêtise de ses dirigeants. Je crois fermement, lorsqu’on voit la dureté et la résolution de Trump et de son équipe, qu’un conflit politique très important, voire une rupture entraînant des troubles civils, peut naître d’une mésentente qui se baserait notamment sur une interprétation faussaire commune de l’article 5. (Et c’est très bien, cela, Par exemple si cela nous débarrassait de La Hyène.)

Je veux dire que j’ai cette impression que dans une crise, si quelqu’un d’un poste qui a droit à la communication s’exclamait, pour détendre l’atmosphère : “Mais non, l’Article 5 ne nous fait pas obligation...”, etc., cela ne servirait à rien tant les esprits robotisés des zombie obéissent au Politiquement Correct. C’est comme lorsque vous dites que l’armée russe est excellente, que Poutine n’est pas le diable et que la conquête de Moscou n’est pas pour demain... Personne ne vous écoute et l’on passe à autre chose ; comment se soumettre à Trump, par exemple, à cause de l’Article 5...