Il y a sans doute une “affaire Straw” et il y aura peut-être une “affaire Blair”

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Il y a sans doute une “affaire Straw” et il y aura peut-être une “affaire Blair”


8 mai 2006 — L’affaire devait passer comme une lettre à la poste et elle ne passe pas comme une lettre à la poste. La sanction contre Jack Straw (passé du Foreign Office aux relations avec le Parlement dans le gouvernement Blair, lors du remaniement du 4 mai), notamment à cause de son opposition à une attaque contre l’Iran, devient une affaire politique liée à cette seule question de la crise iranienne et aux relations entre les USA et le Royaume-Uni. Deux choses y concourent :

• Les médias se sont emparés de la version, de plus en plus acceptée, — parce qu’elle est vraie (mais en partie) et spectaculaire, — que la chute de Straw est due à l’intervention de la Maison-Blanche. Le Guardian le premier l’a suggéré samedi. Dimanche, The Independent a donné des détails. Aux USA, ABC (AP) a suivi pour les USA. Aujourd’hui, l’un des proches de l’ancien secrétaire au Foreign Office Robin Cook (décédé depuis), David Clarke, renchérit dans le Guardian en révélant que ce même Cook (démissionnaire en 2003) fut l’objet des mêmes pressions US contre lui que Jack Straw.

• Cette exploitation tend effectivement à transformer la décision à l’encontre du secrétaire au Foreign Office en une affaire uniquement liée à la crise iranienne et en une illustration de ce qui est perçu comme la complète sujétion du seul Tony Blair à la politique américaine. Ainsi risque-t-on de passer à une très sérieuse “affaire Straw”, alors que ce même Straw est toujours au gouvernement, et dans un poste certes subalterne (relations avec le Parlement) mais stratégique pour les combats internes aux travaillistes (voir plus loin).

Au départ l’affaire est plus nuancée que la seule interprétation de David Clarke (« The neocons strike again »), semblant suggérer que c’est la Maison-Blanche, directement et exclusivement, qui a eu la tête de Straw. Clarke rapporte les circonstances où, dès 2000, Robin Cook devint une persona non grata dans le clan neocon de l'équipe GW devenue l’administration US. Il termine son article en suggérant une complète sujétion de Tony Blair aux volontés américaines, qu’il place en contraste avec des attitudes antérieures d’autres politiciens britanniques. Il cite notamment et assez habilement, — il y a une certaine analogie contradictoire puisque Straw a été écarté notamment parce qu’il a qualifié de “nuts” l’option nucléaire contre l’Iran, — l’intervention du secrétaire au Foreign Office travailliste Bevin (plus que Attlee, comme il l’écrit) en 1951 auprès de Truman pour convaincre ce dernier d’écarter à toutes forces l’option nucléaire contre la Chine agitée par le général MacArthur en Corée. Truman n’avait d’ailleurs nullement besoin d’être convaincu à cet égard, puisque MacArthur fut limogé quelques mois plus tard.

(C’était une époque, — 1951, — où les Français Schuman et Pleven, qui cherchaient le soutien financier et politique de Washington pour la guerre d’Indochine et la CED comme machine à neutraliser l’Allemagne, se flattaient curieusement et assez naïvement d’être plus proches de Washington que les Britanniques… Il y a quelques semaines, voire quelques jours, certains Français avançaient cet argument dans l’affaire iranienne, encouragés par les déclarations de Nicholas Burns le 2 mai à Paris.)

La conclusion de Clarke : « The treatment of Straw seems uncannily reminiscent, but the issue of Iran is of a different order of seriousness to anything Cook was grappling with five years ago. There is a pressing need for Blair to tell Bush what Attlee had the guts to tell Truman in the Korean war: that a decision to breach the nuclear threshold would encourage proliferation and make America an outcast from the community of civilised nations. He may think it clever strategy to put pressure on Tehran by keeping all options open, but the Iranians are not the only ones who need deterring.

» Once again, Blair seems willing to put the wishes of the US government before those of the British people. That should be reason enough for wanting him out of office as soon as possible. »

La réalité est que si Straw indisposait la bande à GW depuis six mois, il indisposait également Tony Blair. Le PM britannique ne goûtait certes pas la publicité que Straw faisait à ses positions opposées à une intervention contre l’Iran. Il était également agacé par certaines des attitudes de Straw, son goût de la publicité, et notamment, — et paradoxalement par rapport au cas que nous examinons, — à cause des excellents rapports de Straw avec Rice, affichés au début d’avril lors de la visite de la secrétaire d’État au Royaume-Uni, pour rencontrer Straw sans “passer par” Tony Blair (sans visite à Blair) pendant deux jours sur invitation personnelle du seul Straw. (On comprend que ce dernier point, l’agacement de Blair à cause de l’excellente relation de son secrétaire au Foreign Office avec le ministre US le plus proche de GW, nuance diablement l’analyse de la démarche de Blair s’il ne la contredit pas.)

Le cas est bien plus ambigu qu’un simple coup de fil de GW ordonnant à Blair de se débarrasser de Straw, comme en fait par exemple ABC/AP selon une analyse qui n’est pas fausse mais incomplète :

« The Independent suggests that a phone call from the U.S. president to British Prime Minister Tony Blair led to the removal of Foreign Secretary Jack Straw Friday. The newspaper reports that friends of Straw believe Mr. Bush was extremely upset when Straw pronounced any use of nuclear weapons against Iran “nuts.” Both The Independent and the Guardian write that Straw's “fate was sealed” after a White House phone call to Blair. »

Le passage ci-après de l’article de The Independent introduit les nuances qu’il faut, en y ajoutant des faits précis sur une certaine incompatibilité de comportement entre Blair et Straw, dépassant complètement le cadre de l’Iran et des relations avec les USA puisqu’il y est question du comportement de Straw sur la question de la Constitution européenne: « There is said to be jubilation this weekend among Washington's neo-conservatives at Mr Straw's demise. One retired senior US intelligence officer told his British counterpart recently that the White House lost confidence in the Foreign Secretary at least six months ago.

» It was an analysis, we now know, shared by Mr Blair. The PM's aides say Mr Straw has a tendency to brief friendly journalists with the details of a contentious meeting, sometimes within hours.

» Mr Blair was once moved to rebuke Mr Straw in a cabinet meeting for briefing to The Sunday Times his preference for a referendum on the EU constitution, boxing the PM into an option he was then resisting.

» When at last the constitution finally hit the buffers Mr Straw called Mr Blair as he holidayed in Tuscany with the news. A report at the time stated: “Mr Blair had to calm the Foreign Secretary and urge him to contain his delight at the constitution's demise. When he put the phone down, the Prime Minister simply said: ‘Tart’.” While Mr Straw can claim to have been loyal in the build-up to the invasion of Iraq, his behaviour since has occasionally teetered on the edge of unacceptability. »

Les implications de l’“affaire Straw”

Si elle passe à première vue comme la démonstration de l’alignement de Blair sur Washington, cette “affaire Straw” apparaît bien plus complexe, avec des aspects très contre-productifs.

Nous disons bien “l’alignement de Blair sur Washington” plus que l’alignement des Britanniques. Dans cette affaire, Blair apparaît bien solitaire, comme il l’est d’une façon générale aujourd’hui, soumis à toutes les pressions pour s’en aller. Cette image de Blair cédant à Washington apparaîtra moins comme la politique de Londres que comme un acte de Blair-le-solitaire, éventuellement dénoncé, comme le fait Clarke et par opportunité politicienne par certains autres, comme une intolérable sujétion de Blair à Washington. Bientôt, les besoins d’image et de vertu, et l’hostilité contre Blair feront dire à nombre de travaillistes, — et peut-être à Brown, son successeur-ennemi ? — que la politique pro-US de Blair est un poids intolérable pour la situation générale du Royaume-Uni.

Cela est d’autant plus possible que le successeur de Straw, une dame sans grande envergure qui a comme seule vertu une grande fidélité à Blair, va être soumise à la question sur le sujet. The Independent le note : « Margaret Beckett, his successor, can expect to be asked whether she too regards it as “inconceivable” that force could be used against Tehran at the first opportunity. » Autant il était risqué du point de vue de Straw de parler comme il l’a fait, autant il va être difficile pour Beckett (avec Blair derrière elle) d’affirmer que, oui oui, l’option militaire contre Téhéran est tout à fait concevable, et l’attitude US très honorable. On devrait être conduit à interroger Beckett sur la possibilité d’une frappe nucléaire US contre l’Iran, son avis, si elle soutient la chose, etc. Certains esprits, comme le notre d’une façon spéculative, vont raisonner ainsi : lier le limogeage de Straw à son jugement de “nuts” sur l’option d’une frappe nucléaire de l’Iran par les USA, n’est-ce pas donner a contrario un crédit inattendu et ahurissant à cette option ?

L’ennemi (Straw) est toujours dans la place. Il s’était rapproché de Brown, il va être encore plus proche de lui, en embuscade, affûtant ses couteaux et avec l’espoir d’une juste récompense lorsque Blair partira (tiens, par exemple, un retour triomphal au Foreign Office sur une politique qui prend ses distances de Washington?). Les notes de The Independent sur la position de Straw : « Mr Straw's decision to accept his demotion is double-edged for Mr Blair. While he has humbled an enemy, he has not killed him and left him in a post that is more powerful than it looks. As Leader of the House, Mr Straw can build support for his ally Gordon Brown among backbenchers. Mr Straw now controls the legislative programme, so Mr Blair might find he needs the man he demoted more than he would like as he struggles to ram controversial laws through the Commons.

» “Jack will bide his time, nursing his wounds and waiting for his moment of revenge,” said a former cabinet colleague last night. »

Le résultat de cette affaire Straw est à la mesure de la faiblesse de Blair et de l’interrogation générale qui entoure les liens de Londres et de Washington, notamment dans le cadre brûlant de la crise iranienne. L’“affaire Straw” met au premier plan, et fortement en question, la politique pro-GW de Blair dans la crise iranienne. Les liens USA-UK deviennent à nouveau le sujet du jour. Ils s’inscrivent plus fortement, quelle que soit la volonté de l’un ou de l’autre, dans le contentieux Blair-Brown, avec un Brown conduit à déterminer sa position vis-à-vis des liens avec Washington en fonction de son hostilité pour Blair, — chaque jour grandissante.

Tony Blair est curieusement enfermé dans un coin de plus en plus étroit, de plus en plus assiégé. Avec lui on trouve sa propre politique, qui évolue de plus en plus vers le statut fameux du “après moi le déluge”. Il faut s’interroger pour savoir si, au bout du compte, dans les circonstances dramatiques qu’on connaît (à Londres et dans la crise iranienne), rendues encore plus dramatiques par la faiblesse de Blair, le recul du parti travailliste et l’entêtement de l’actuel PM à rester en place, — si ce n’est pas une part importante de la politique de Blair qui va être mise en question avec lui. Au premier rang de cette “part importante”, son alignement sur Washington. Une “crise Blair” à Londres, après l’“affaire Straw” ? N’est-ce pas alors, inéluctablement, même contre le gré d’acteurs si pathétiques, une crise ouverte des “special relationships” ?