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15 octobre 2003 — Toujours la rapidité des événements, surtout dans le domaine de la perception. Un article bien documenté du Baltimore Sun met en cause la victoire-éclair américaine en Irak, en mars-avril. L’idée générale qui apparaît est celle-ci : il s’agit plus d’une défaite des Irakiens que d’une victoire des Américains. Cet avis, émis par Loren Thomson (cité dans l’article) donne le ton : « The important lesson is, if you want to win quickly and decisively, go fight an incompetent enemy. »
(Nous insistons sur ce jugement, dont on appréciera qu’il est caractérisé par une ironie peut-être involontaire, à cause de la personnalité de Loren Thompson. Cet analyste de défense du Lexington Institute s’est toujours montré impeccablement “politiquement correct” sur toutes les matières concernant le Pentagone. Qu’il se départisse tant soit peu de cette réserve prudente et avisée est une indication, anecdotique mais néanmoins significative, de l’évolution du sentiment général sur la campagne irakienne.)
L’article s’appuie essentiellement sur une étude faite par une équipe d’analystes travaillant dans une institution liée au DoD, mais disposant d’une certaine indépendance vis-à-vis de la pensée centrale du ministère : le Army War College. Néanmoins, cette étude devrait être présentée comme celle de l’U.S. Army. Les principaux résultats sont les suivants :
• L’utilisation de la technologie, mais surtout le comportement “inepte” des Irakiens sont les principales causes de la victoire.
• L’aspect “jointness” (la coordination opérationnelle des différents services engagés) a joué un rôle beaucoup moindre que ce que nous dit l’avis officiel du DoD. (L’étude officielle, conduite par l’amiral Edmund P. Giambastiani Jr., commandant of the U.S. Joint Forces Command à Norfolk, en Virginie, mettait l’accent sur l’aspect “jointness”, qui est d’ailleurs, effectivement, la spécialité du même amiral Giambastiani. Devant la commission des forces armées de la Chambre, Giambastiani déclarait : « “Our forces operated at a new level of jointness forged through continuous operations,” creating “a new joint way of war” that leverages knowledge, speed, precision and lethality. »)
« The Army study, led by Stephen Biddle, a professor of strategic studies at the Army War College in Carlisle, Pa., is not in final form. A senior Army officer warned against drawing firm conclusions yet.
(...)
» In some important ways, the Army's study appears at odds with the Pentagon's broader study of lessons learned from the war, which found that the exceptional teamwork that officials say was displayed by the four military branches was the main reason for victory. The Army's report played down the effects of interservice teamwork, known in the Pentagon as “joint operations” or “jointness.”
» Titled “Iraq and the Future of Warfare: Implications for Army and Defense Policy,” the Army's preliminary report found “little evidence” that the victory in Iraq “is attributable to a significant increase in jointness.”
» Instead, the combined effect of advanced U.S. technology and “Iraqi ineptitude” was the “key determinant,” the report said. Had the Iraqis decided to mount a skilled defense in their cities, such action would have blunted the U.S. technological edge in weaponry and surveillance systems, the draft said.
» “Without Iraqi ineptitude, even 2003 technology could not have enabled a force this size to prevail at this cost,” the draft said. Against an “adept enemy,” the authors said, “results could be very different.” »
L’article se termine en citant également des spécialistes et des analystes de questions de défense (dont Thompson) allant dans le même sens de rabaisser l’appréciation générale de la victoire de mars-avril 2003. Un point intéressant dans ces évaluations est l’absence de référence aux conditions de corruption de certains généraux irakiens, comme cela fut signalé à l’époque par le général Franks lui-même.
« Some independent analysts, without minimizing the importance of joint operations, say the key to toppling Hussein in three weeks was his ineffectual military and security forces.
» “The important lesson is, if you want to win quickly and decisively, go fight an incompetent enemy,” said Loren Thompson, a defense analyst at the Lexington Institute. “Inept adversaries do not teach very clear lessons,” added Thompson, saying that such lessons “might not work against China.”
» Andrew F. Krepinevich, a retired Army colonel and a defense analyst at the Center for Strategic and Budgetary Assessments, found in his study of the war, “Operation Iraqi Freedom: A First Blush Assessment,” released last month, that the U.S. military's performance “may have been surpassed by the stunning ineptitude of its Iraqi adversary.” In an interview, Krepinevich said the “real question [for the U.S. military] is what can this force do against North Korea?” »
D’une façon générale, ce mouvement “révisionniste” de la victoire de mars-avril 2003 est révélateur du développement des événements à Washington. La situation actuelle en Irak et aussi la situation à Washington poussent à une remise en question de toutes les appréciations qui avaient été offertes après la victoire. Pour le cas qui nous occupe, la mise en cause de l’aspect “jointness”, triomphe de la souplesse et de l’adaptabilité des forces selon les thèses de Rumsfeld, est indirectement une mise en cause de Rumsfeld lui-même (et que cela vienne notamment de l’U.S. Army ne peut surprendre). La publicité faite à ces thèses nouvelles qui relativisent la victoire en Irak accentuera l’affaiblissement de la position du secrétaire à la défense, après le coup porté contre lui par le transfert d’autorité sur les affaires irakiennes du DoD vers la Maison-Blanche.
D’une façon générale, il s’agit d’un signe de plus de la désaffection générale ressentie à Washington pour l’aventure irakienne, après les divers revers enregistrés ces derniers mois.