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17 février 2005 — Depuis le passage de Condi Rice en Europe, le “dialogue” entre l’Europe et les USA a repris. Enfin, c’est une formule pour introduire un texte sur le sujet ; en réalité, on n’a jamais cessé de parler, on ne fait même que cela ; mais, cette fois, après deux ans d’une volonté commune d’écarter tout débat de fond sur les questions essentielles, on tente d’explorer sérieusement les sujets abordés pour apprécier les positions des uns et des autres. Le résultat est, dès l’ouverture, pathétique.
Sans doute l’indication la plus précise à cet égard, celle qui mérite le qualificatif de “pathétique” en même temps que celui d’“extraordinaire” pour son contenu, est cette intervention de Javier Solana hier (Solana est de ceux qui, en Europe, ont rencontré Condi Rice lors de sa tournée européenne). Solana est pour l’instant Haut Représentant de l’UE, — apprécions-le comme le délégué des pays européens sur des matières données des relations internationales, où les Européens veulent et peuvent manifester une position commune. La question que Solana évoque ici est de celles où, effectivement, les Européens sont unanimes : le chef de facto de la diplomatie européenne a parlé, au nom de l’Europe, de la question d’une juridiction internationale à établir pour les événements du Soudan, où sont commis crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Au-delà, c’est aborder le problème général de la juridiction internationale et du comportement des nations souveraines à cet égard ; au-delà encore, c’est parler de l’attitude générale vis-à-vis de la “légalité internationale”.
Il faut admettre que, dans ces temps de double langage virtualiste et de langue de bois universellement utilisée, l’intervention de Solana sonne rudement et apparaît comme une exception hautement significative. On n’est pas habitué à entendre, dans le langage diplomatique, un terme tel que “never”, pour caractériser la position d’une nation — et quelle nation, — sur tel problème de grande importance. Solana nous dit que, dans cette matière, les Etats-Unis ne changeront jamais leur position.
« The US will never accept a newly established International Criminal Court and the European Union should recognise that and seek practical solutions, the bloc's foreign policy chief said.
» Javier Solana added on Wednesday that he doubted any progress to date had been made in promoting a world court dealing in international justice to Washington.
» “The sentiments are very profound in the United States, that fellow citizens cannot be judged by a court that is not American. Maybe it is better not to keep on trying but to try to establish a modus vivendi, knowing that this is not going to be a possibility for the United States, for any president of the United States to change the position,” he added. »
Pour nous, c’est un moment historique: nous serions tentés de juger la position de Solana exagérément pessimiste et exagérément dure pour les Etats-Unis, — d’un point de vue européen, qui tient pour essentielle la position d’une nation, ou d’un groupe de nations vis-à-vis d’une juridiction internationale. Quelle étonnante situation où un Solana semble avoir une position plus dure à l’égard, ou à l’encontre des Etats-Unis, que celle que nous avons l’habitude de défendre. Ces remarques délimitent d’une façon imagée le problème, pour nous conduire à cette remarque, par ailleurs confirmée par des confidences à ce propos : il a fallu que les interlocuteurs américains de Solana de ces derniers jours se montrent d’une extraordinaire dureté pour que le Haut Représentant en vienne à ces déclarations publiques.
On observe d’autre part qu’il est des domaines sur les principes desquels les Européens ne veulent ni ne peuvent transiger.
Il y a d’autres domaines où se manifestent, ou vont se manifester ces mésententes dont on parle désormais à livre ouvert : Kyoto, l’OTAN (le plan de Schröder et la réaction américaine), l’Iran, voire même la Syrie après l’attentat qui a tué le Libanais Hariri (les USA ont condamné la Syrie sans autre forme de procès ; l’UE, la France et le Royaume-Uni sont très prudents et demandent une enquête). Dans tous les domaines, dans toutes les circonstances, les réactions sont encore plus que différentes, elles sont opposées. Peu nous importe de savoir, dans ce cas, qui a raison quant au tribunal international et à la légalité internationale (autre problème) ; nous importe de constater que sur une question complètement fondamentale (l’existence d’une légalité internationale), USA et UE ont des positions si complètement différentes qu’on pourrait aller jusqu’à penser qu’elles peuvent devenir, dans une circonstance ou l’autre, simplement antagonistes. Au nom de quoi continuer à affirmer l’alliance fondamentale entre USA et UE, et y sacrifier dans la mesure où on le voit faire, surtout du côté des Européens ? Au nom des “valeurs” ? Et de quelles “valeurs” si, dans un domaine aussi fondamental, l’on s’oppose de façon aussi catégorique ? Et si cela vaut pour tant d’autres domaines, que reste-t-il de nos accords, de notre soi-disant proximité ? La démocratie en Irak ?
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