Images réfléchies et croisées

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Images réfléchies et croisées

Aux premières heures, ils étaient tous dans l’expectative quand ils n’y allaient pas déjà de leurs conseils démocratiques aux militaires qui tentaient de renverser un pouvoir issu des urnes.

Sauf trois nations qui ont immédiatement condamné le coup d’Etat.

Le Qatar, le Soudan et le Maroc.

Sortir de l’oubli, vers un peu de vérité ?

Ce putsch raté ne manque pas de rappeler les événements de 1971 puis de 1972 au Maroc. A deux reprises, le monarque avait rétabli avec cran son pouvoir mis en péril par une clique de militaires, anciens officiers français pour la plupart, qui ne pouvaient avoir œuvré qu’avec l’assentiment du parrain étasunien. La seconde fois, le Boeing affrété pour le déplacement royal avait essuyé des lancers de roquette depuis des avions militaires insurgés qui l’avaient pris en chasse, sans succès.

L’appareil qui ramenait Erdogan de Marmaris vers Istanbul était dans la ligne de mire de deux F16 pilotés par des rebelles sans qu’ils aient tenté de l’abattre. L’avion d’Erdogan dont la résidence estivale a été bombardée quelques minutes après qu’il l’ait quittée était escorté par deux F16 qui devaient tenir en respect les chasseurs.

Le soutien marocain est peut-être lié au souvenir encore cuisant plus de quarante après de cette ingérence manifeste d’un allié dans les affaires intérieures  d’un vassal, ce qui a surdéterminé la politique de Hassan II. Il s’était jeté dans une fuite éperdue vers la recherche d’un parrainage plus consistant : ancrage auprès des Séoud, répression de l’opposition de gauche allant à son élimination conjuguée avec l’implantation de l’islamisme wahhabite, travail souterrain de la désintégration de l’union des pays arabes face à Israël.

L’analogie avec ces vieux coups d’Etat militaires  avortés, c’était juste avant la réussite chilienne en 1973, s’arrête là.

Pas de foules dans les rues pour acclamer la rémanence d’une forme de pouvoir monarchique instituée depuis le protectorat français car jusque là, le Maroc était un sultanat.

L’expression de l’attachement du régime marocain à la démocratie turque mesure son dépit.  Il se sent encore une fois abandonné par la puissance tutélaire alors qu’il a toujours fait preuve d’une vassalité exemplaire à l’égard des US(a). Les récentes prises de position du factotum Ban Ki-moon  concernant le Sahara occidental lui fait entrevoir le succès d’une sécession au bénéfice des colonels algériens. Habituellement d’une discrétion qui confine à l’effacement, Mohammed VI a rencontré  Poutine et a cherché son appui avec toute l’ostentation qui devait annoncer la nouvelle alliance.

Le mois suivant, en avril 2016, il a prononcé un discours à Ryad où il dénonçait les manoeuvres de puissances étrangères qui cherchent à déstabiliser les pays arabes.

Membrane semi-perméable ou transfert avec surcoût énergétique ?

Ces puissances étrangères ont cru que la liquidation de la Syrie avec une partition à la clé ne serait qu’une affaire de quelques semaines.

Elles ont réussi à le faire croire à Erdogan qui voyait dans un rêve de renouveau ottoman le territoire turc s’agrandir aux dépens de son ancienne province.

Tétanisé dans sa chimère et otanisé, l’ex futur sultan d’Ankara s’est transformé en passeur d’armes et de réfugiés et trafiquant de pétrole volé.

Il est vrai que l’aventure expéditive libyenne devait être le prototype de tous les changements de régimes souhaités depuis longtemps par les néoconservateurs qui  sont encore les maîtres d’œuvre de la politique étrangère étasunienne, en toute indépendance, quelle que soit l’administration de la maison Blanche en place.

Ayant renoncé contrairement à la Russie à sa neutralité antérieure qui lui a fait refuser de service de base de lancement contre l’Irak, et ainsi embarquée, la Turquie  a fini par être déstabilisée socialement et économiquement.

La réussite électorale de l’AKP est fondée  sur un taux de croissance économique plus vigoureux qu’en Europe grâce au dynamisme d’une bourgeoisie nationale et à …l’endettement. La doctrine de zéro problème avec les voisins confortait les exportations et une activité touristique substantielle.

Mais au  fur et à mesure que s’exécutait la tâche dévolue à la Turquie dans l’entreprise de l’irakisation de la Syrie, se dessinait plus clairement l’autonomisation d’une principauté kurde escomptée par les donneurs d’ordres.

Pour le néo-ottoman Erdogan, gagner un peu de littoral syrien et octroyer une base territoriale aux autonomistes kurdes armés à la fois  par ses partenaires otanesques et la Russie se révélait être un marché de dupes. Depuis de nombreux mois, tout le sud Est principalement kurde de la Turquie vit sous un couvre-feu quasi-permanent, des villes et des villages vivent une situation d’occupation militaire.

C’est dans ce contexte, prémisses d’un chaos semblable à celui semé et germé dans les deux pays arabes du Tigre et de l’Euphrate que s’est négociée la gestion des réfugiés migrants vers l’Europe.

Les six milliards d’euros promis rétribuaient une rétention et une distribution graduée de millions d’humains jetés sur les routes terrestres et maritimes par les bombes et les rebelles agréés. Même en cas de règlement effectif (et peu probable) c’était fort  peu payé eu égard aux troubles générés par l’absorption de plus de 3 millions d’arrivants.

La frontière syro-turque était devenue semi-perméable, laissant filtrer des dizaines de milliers de combattants conditionnés au Captagon dans un sens contre des millions de victimes dans le sens opposé. Tout le système consistait à fournir une armée rebelle d’un côté et une armée de travailleurs-esclaves en direction de l’Europe de l’autre. Bien plus ingénieux que le commerce triangulaire qui devait fournir caravanes et pacotilles pour ravitailler les plantations des Amériques. Ici, ce sont les esclaves qui assurent leur transport  et qui sont heureux (pas pour longtemps) d’être arrivés vivants dans des camps. Là , ils sont assujettis à leur rôle de facteur abaissant le prix du travail dans un espace qui a fait fondre toutes les réglementations qui le garantissait et protégeait les travailleurs de la seule loi qui vaille pour l’employeur, celle du profit à court terme illimité. La population autochtone qu’ils sont venus concurrencer « déloyalement » oscillera entre deux perceptions également machinées par la fabrication de son opinion. Ils seront vus comme terroristes et violeurs car musulmans et arabes avec des fêtes de la bière et des soirées du nouvel an manipulées en conséquence. Mais ils seront aussi les pauvres victimes  d’un racisme atavique et alors, des rassemblements, des pétitions et des manifestations seront organisées pour leur intégration.

Divorce inamical avec torts partagés ?

Istanbul accueillait, sur injonction des pétromonarchies et de l’Otan, dans ses luxueux hôtels des conférences des Amis de la Syrie, entité née sous cette appellation au Quai d’Orsay,  regroupant des opposants au régime des Assad le plus souvent en exil depuis des décennies ayant perdu contact avec la réalité du pays. Cette incubation devait permettre le contrôle des futurs dirigeants de ce qui resterait de la Syrie.

Cet investissement politique  s’est dissipé sous des poussées multiples.

Les revendications libérales d’une classe moyenne occidentalisée capable d’organiser une mobilisation spectaculaire sur la place Taksim ont été réprimées dans le sang.

Les provinces kurdes sont sous strict contrôle militaire, les assimilant à des contrées conquises et soumises, ce qui rend le pouvoir tributaire de l’armée.

Des attentats meurtriers de plus en plus fréquents, attribués par le pouvoir aux Djihadistes de l’Etat prétendu islamique, ont propagé le climat d’insécurité au-delà du périmètre consenti aux agents de l’Otan, menaçant clairement l’intégrité de la Turquie.

Le bilan calamiteux de cette ingérence, l’enrichissement des enfants Erdogan grâce au trafic pétrolier étant une piètre compensation en voie de tarissement grâce à l’aviation russe, a fini par conduire à  un infléchissement de la politique étrangère turque comme en font foi les contacts  avec Poutine.

De leur côté, les donneurs d’ordre ont commencé à laisser filtrer leur volonté de lâcher Erdogan qui allait endosser leur incapacité à prévoir leur éviction du Moyen Orient par le couple sino-russe. La reconnaissance du génocide arménien par le Parlement allemand en juin 2016, parce ce que réalisée à ce moment, fait partie de la stratégie très apparente de la déstabilisation d’Erdogan. Depuis au moins décembre 2015, les services secrets allemands se sont rapprochés de ceux de la République arabe syrienne, la mise hors service de Assad est passée à l’arrière plan au sein de la première province européenne des Us(a).

Il S’est Manifesté avec Majesté

Si ce n’est pas Assad, alors ce sera Erdogan.

Mais non.

Les néoconservateurs qui prétendent sécréter la Réalité que le Monde dans son ensemble n’aura qu’à commenter ont reproduit encore leur double erreur.

La première est inévitable car elle est inhérente à leur « Moi » profond, la croyance dans leur supériorité morale et technique.  Or, leurs intentions sont parfaitement lisibles et tout un cortège de signes annonçait leur décision d’éliminer le Sultan.  Elles sont de plus entendues par les systèmes de surveillance russe. NSA ou pas, bases israéliennes ou pas, plus rien d’important singulièrement dans l’Orient arabe n’échappe aux grandes oreilles russes. Leur pouvoir de manipulation est désormais entamé par le partage instantané de toute avancée technologique en matière électronique, les ingénieurs sont encore solidement formés en ex URSS.

La seconde ne l’est pas.

Un terme de l’équation est toujours ignoré par les Maîtres du Monde.

Le peuple turc a eu son mot à dire et il a été un acteur puissant qui a défait leur Réalité.

Il s’est levé non pour saluer Erdogan mais pour refuser de toute son énergie une nouvelle dictature militaire kémaliste dont le souvenir est encore très prégnant.

Beaucoup saluent en Occident la renaissance d’une Eglise orthodoxe russe après la longue période soviétique.

Ces mêmes oublient volontiers que Mustapha Kemal avait occidentalisé à marche forcée une société profondément musulmane et procédé brutalement à une véritable épuration ethnique avec de violents déplacements de populations. Les foules sont sorties pour empêcher un retour à cette situation honnie où il a fallu du jour au lendemain aux hommes et aux femmes se déguiser dans un accoutrement européen dans la sphère publique, renoncer au calendrier lunaire, à l’alphabet arabe. Il avait limité par tous les moyens à sa portée la pratique et l’influence de l’Islam. Lentement mais sûrement, la société turque avec la fin de la dictature militaire si confortable pour l’Otan et son partenaire israélien, renouait avec son identité à la fois musulmane et  largement pluriconfessionnelle.

Cette intervention populaire figure une expérience en miroir de l’insurrection égyptienne qui a porté au pouvoir un militaire et démis un gouvernement islamique élu.

Le coup d’Etat des colonels en 1952 avait redonné sa fierté nationale à l’Egypte qui s’est inscrite dans la lutte anti-impérialiste en recouvrant sa souveraineté,  en participant à la conférence de Bandung et en intervenant militairement au Yémen. Malgré la défaite de 1967 et un autoritarisme certain, le nassérisme a laissé des traces positives dans la mémoire collective que n’ont pas encore corrompues les medias commerciaux favorables à la normalisation avec Israël.

De plus, le blocus financier imposé par les Séoud et les institutions bancaires mondiales ont eu raison de l’exaspération économique des classes moyennes urbaines promptes à servir de marchepied à la clique des possédants militaires soutenus par les Séoud contre le roitelet du Qatar.

Autre croisement chiasmatique, Erdogan est plutôt allié du Qatar.

L’opération anti-Morsi a été menée contre les prétentions qatariotes à occuper une position

Cette même erreur d’appréciation des néoconservateurs - ignorer que le monde n’est pas un pur reflet de leurs illusions ni le simple effet de leurs manipulations - avait été commise lors du renversement avorté de Hugo Chavez. Partie depuis les gardes du palais présidentiel fidèles à leur Président, l’alerte populaire puis une véritable insurrection ont fait échouer le projet bien avancé de destitution de l’ancien militaire devenu leader bolivarien.

Après Brexit, UsExit

Le sauvetage de la démocratie turque est en voie de se solder par une élimination impitoyable de toute opposition et d’aboutir à un pouvoir présidentiel sans doute hypertrophié et au moins très autoritaire.

Mais il signe que l’époque des  coups d’Etat commandités depuis sinon Washington (peut-être non informé) ou les officines de la CIA est révolue.

L’écartement assez bien orchestré de Dilma Rousseff par Michel Temer, collaborateur non dissimulé de la CIA, n’est pas acquis définitivement.

Comme échoue à se concrétiser l’éviction de la Chine du Soudan malgré la division du pays en un Nord qui a le réseau portuaire et les infrastructures d’acheminement du pétrole d’un Sud déchiré dans une guerre civile atroce et meurtrière. La presse occidentale s’empresse de l’ignorer  car elle  ne peut accuser l’extrémisme islamiste de sauvagerie criminelle, les clans opposés sont tous deux non musulmans, il n’y aura pas d’opération Save Sud Soudan comme il y eut Save Darfour.

Et ce n’est que grâce à l’intervention de la France en Libye puis au Mali et en Centre  Afrique que les Us(a) ont pris pied militairement de façon confortable en Afrique après qu’aucun pays africain n’aie consenti à servir de plateforme pour l’Africom.

Il signe aussi qu’un nouveau rapport de forces entre les nations est en train de se construire, loin du projet unipolaire esquissé par la fine équipe du nouveau siècle américain.

Quel que soit le futur occupant de la Maison Blanche, il aura à composer avec l’éviction de l’Orient arabe des Us(a) et de leur quincaillerie, aveuglée par le brouillage efficace russe.

Badia Benjelloun