Imaginez-vous l’USAF envisageant d’acheter le Rafale?

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Imaginez-vous l’USAF envisageant d’acheter le Rafale?

Commençons par remuer nos archives ... Il y a un peu plus de huit ans, une crise menaçait de toucher le contingent des F-15 de l’US Air Force et des conversations diverses animaient les milieux de l’USAF, du Pentagone, des lobbies autour de ce beau monde, etc., pour le cas où cette crise ne pourraient être réduite d’une façon satisfaisante. La crise était d’autant plus aiguë que le F-22 était lui-même en crise et que le JSF/F-35 commençait de plus en plus à prendre son temps ... Qu’allait-on faire si la crise des F-15 se confirmait, en attendant que la crise du F-22 soit évidemment résolue puisque l’avion est US et que tout ce qui est US résout ses cries, et que le JSF surmonte évidemment ses difficultés, entre en service triomphalement et domine les airs tout au long du XXIème siècle puisque l’avion est US. Voici que nous écrivions alors (le 16 février 2008)...

«La situation est si peu ordinaire que la chronique de “Air Force Magazine” mentionne, sans sourire semble-t-il, que les planificateurs de l’USAF ont même envisagé l’achat de chasseurs étrangers, – y compris le Rafale français. (D’où notre titre, où nous nous permettons d’omettre le Typhoon, pour rattraper un tout petit peu des innombrables fois où la presse anglo-saxonne omet de mentionner le Rafale français parmi les chasseurs “de 5ème génération” disponibles sur le marché des avions de combat.)

»“Air Force officials said it would be nearly impossible to buy a foreign fighter such as the French Rafale or Eurofighter Typhoon, and in any case, the service would want the best available.” “Maj. Gen. Paul J. Selva, the Air Force’s strategic planner, said at a Capitol Hill airlift seminar, “Think about the emotion in this room when [USAF leaders] talk about having to hire [Russian and Ukrainian] Antonov transports to carry our armored vehicles because our C-5s don’t work. Now think about the emotion in this room if we had to say, ‘We’re going to have to buy Sukhoi [or Rafale] fighters.’”»

»Tout cela est-il sérieux? Il nous semble bien que oui. (La remarque sur l'USAF utilisant des Antonov russes parce que ses C-5 ont des problèmes n'est pas fabriquée, le cas s'est effectivement présenté.) Les spéculations dramatisent évidemment la situation mais cette évocation de l’hypothèse extraordinaire d’un achat de chasseur non-US de première ligne mesure la gravité de la situation. L’USAF (comme les autres services armés US) est écartelée entre des exigences de missions très contraignantes (les problèmes survenus aux F-15 ont été aggravés par l’usage intensif des avions de combat sur divers théâtres depuis 1990); des coûts très élevées; des difficultés considérables de développement; l’encombrement des chaînes de production pour l’exportation... C’est une nouvelle sorte de “désarmement structurel” que risque l’USAF (comme les autres services), par épuisement des matériels, des ressources et des capacités industrielles, à cause d’une politique extérieure presque uniquement fondée sur l’utilisation de l’outil militaire.»

... Nous avouons avoir nous-même ajouté, dans la dernière phrase de la citation en anglais, le “[or Rafale]”, ce qui est justifié par la remarque de Air Force Magazine où le Rafale était effectivement cité parallèlement au Soukhoi Su-35... Mais pour en finir avec la situation évoquée à cette époque : la crise du F-15 a été finalement résorbée tant bien que mal, mais l’appareil vole avec de très sévères limitations de vol, ce qui réduit ses capacités en combat aérien à des normes effarantes, réduction de près de 50% de sa valeur dans ce domaine ; quant à la crise du F-22, elle ne fut jamais résolue et l’avion est limité à 180 exemplaires qui opèrent, eux aussi, avec des limitations de vol draconiennes ; quant au JSF/F-35, hein, vous savez ce qu’il faut en penser au milieu des fous-rires inextinguibles (voyez par exemple le 13 mars 2015) puisque l’avion est devenue une crise en soi et promis à rester l’archétype de la folie autodestructrice du système du technologisme. Cela signifie que, fort logiquement puisque rien n’a contenu ni arrêté la crise, la situation évoquée en 2008 est bien pire aujourd’hui.

C’est tout l’objet implicite d’une déclaration faite par le général Mark Welsh, chef d’état-major de l’USAF, faite à Fox.News (le 26 mai 2015). De cette déclaration composée d’une façon assez incohérente, ou volontairement incohérente, il ressort que la crise générale de l’USAF dont l’article de 2008 cité est un élément, existe toujours, qu’elle est irrésolue, qu’elle s’est aggravée, qu’elle devient extrêmement pressante et ainsi de suite... (Nous analysons d’une façon plus générale, ce même 27 mai 2015, les déclarations de Welch, en les décryptant assez aisément, pour pouvoir dresser un état des lieux catastrophiques de l’USAF, et envisager l’avenir ...)

Dans le cours de l’interview, haché comme toutes cette sorte d’intervention à la télévision, Welsh parle beaucoup du fait que l’inventaire de l’USAF va être ou est en train d’être rejoint sinon dépassé par les avions russes en chinois, – sauf, dit-il d’une façon assez humoristique pour nous, pour le F-22 et le F-35 qui reste indépassables. Puis vient une dernière phrase citée par Fox.News et dite par le général, où il est à nouveau question de ces avions non-US qui sont en train de supplanter ceux de l’actuel inventaire de l’USAF, et il dit ceci, – avec un mot en plus, un mot rarissime, un mot qui en dit si long... (Nous le soulignons de gras puisqu’il en dit si long, pour qu’il en dise encore plus long.)

«And that's not all that is burned out. The aging fleet of fighter jets – other than the stealth F-22 – could soon be overtaken by Russian, Chinese and French warplanes. “The gap,” Welsh reminds us, “has closed.”»

... Quand un officiel du Pentagone ou alentour est branché en mode-autopilote-JSF (quand il parle spécifiquement du JSF, et non accessoirement comme Welsh le fait ici), les petites cases du cerveau s’ouvrent et se ferment parallèlement selon le programme prévu et la narrative excluant absolument l’existence du Rafale est la seule autorisée. A ce moment, le Rafale est, selon le titre que nous donnions à notre F&C du 7 mai 2015, un “non-être”. La déclaration de Welsh, elle, ne dépend pas exactement de cette narrative, mais de celle qui est intitulée “l’USAF est en pleine crise face aux ennemis russes et chinois, il nous faut des centaines de $milliards supplémentaires”. Là non plus, en général, le Rafale n’existe pas, de façon plus logique pensera-t-on, et il reste un “non-être” ; mais au contraire, voilà que, brusquement, le Rafale est cité. (Puisque, bien entendu, il faut entendre Rafale pour “French warplanes”.)

Dans notre connaissance mémorielle des activités communicationnelle du personnel-robot du Pentagone et de l’USAF, une telle citation est tout simplement extraordinaire, car la condition de “non-être” du Rafale que nous avons signalée plus en détails pour la narrative-JSF est en fait une constante de toutes les narrative au niveau officiel. Dans cette intervention qui portait sur les “ennemis” et leurs productions, le discours aurait dû s’en tenir aux avions russes et chinois ; la citation du Rafale est un lapsus du type-révélateur marquant sans doute la connaissance des derniers (et premiers) succès à l’exportation du Rafale, qui pourrait nous dire que la France est toujours considérée comme “ennemie” (il y a un peu de cela, à notre sens, mais pas seulement), ou qui pourrait bien nous dire autre chose. Dans le cas de cette seconde hypothèse, il s’agit de la conscience extrêmement dissimulée, à la limite de l’inconscience, du général Welsh qu’en fonction de toutes les données disponibles la crise de l’USAF est vraiment très profonde et que dans le cas du pire (l’évidence de la situation du JSF), il faudrait bien envisager des solutions jusqu’alors impensables, absolument extraordinaires, d’un achat d’un avion d’armes non-US puisque dans l’esprit de l’USAF vient de s’imposer l’évidence que la vieille génération (F-15 et F-16) est dépassée justement par des avions non-US. On en reviendrait à notre titre du texte référencé de 2008 («Imaginez-vous l’USAF devant choisir entre le Rafale et le Soukhoi Su-35?»), en excluant plus que jamais les Soukhoi pour cause d’excommunication de la Russie et de l’ensemble Russie-Chine, et en observant que Welsh n’a même pas daigné citer le Typhoon parmi les avions qui s’affirment aujourd’hui, – ce qui n’est pas mal vu et indique dans quelle estime les généraux US tiennent ce fer à repasser anglo-européen. Reste le Rafale, ce qui ouvre des perspectives où l’ironie autant que le surréalisme trouveraient leur place.

Si non è vero, è ben trovato, – cela dit, en italien dans le texte, en observant que “la vérité” est aujourd’hui une matière bien insaisissable, et que le “ben trovato” pourrait bien en tenir lieu pour nous annoncer une vérité qu’on pourrait croire bien incroyable mais qui pourrait s'avérer après tout faisable.


Mis en ligne le 27 mai 2015 à 13H12