Imbrication et interconnexion dissolvantes des crises

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Imbrication et interconnexion dissolvantes des crises

24 novembre 2011 – Deux crises se sont donc croisées, ou bien dira-t-on qu’elles se sont substituées temporairement, ou bien encore simplement superposées, dans ce processus que nous désignons par ailleurs celui de la “dissolution crisique”. Il s’agit bien entendu des USA, champ privilégié de toutes les sortes de crise et du processus d’“imbrication diossolvante” des crises ; il s’agit, d’une part, de la crise d’Occupy, qui est arrivée dans une nouvelle phase après les événements des 14-15 novembre et du 17 novembre 2011 ; et, d’autre part, de la crise de l’échec de la “super commission” à déterminer où se feraient les réductions budgétaires de $1.200 milliards sur 10 ans qui ont été ordonnées (nous avons vu, ce 22 novembre 2011, le cas du Pentagone confronté à la possibilité de ces coupures budgétaires automatiques).

D’ores et déjà s’organisent des manœuvres pour parvenir tout de même à une maîtrise des répartitions budgétaires des réductions d’ici le 1er janvier 2013, date à laquelle ces réductions doivent être effectivement prises en compte. Obama est intervenu en indiquant deux orientations de son point de vue et dans son autorité de président ; d’une part, effectivement, la possibilité de la recherche d’un autre accord («Although Congress has not come up with an agreement yet there is nothing will stop them from coming up with a plan») ; d’autre part, l’annonce qu’il mettrait un veto si cette nouvelle tentative n’aboutissait pas et que le Congrès tentait d’écarter la procédure des réductions automatiques («I will veto any effort to get rid of those automatic cuts. There will be no easy off ramp on this one»).

De nombreuses façons, et venues de nombreux commentateurs, cet échec de la “super commission” était attendu, sinon largement prévisible. Il n’est pas une surprise mais comme tous les événements dont la substance est incontestablement crisique, une fois réalisé l’effet obtenu est d’une très grande puissance et, de ce fait, inattendu, et procurant par conséquent la crise latente qu’il est se manifeste par un paroxysme. Par exemple, – exemple principal, au demeurant, — cette idée que des négociations vont se poursuivre d’ici le 1er janvier 2013 pour trouver tout de même une formule d’arrangement, qui semblait une de ces idées classiques du type “Oh, l’on finira bien par trouver un arrangement”, apparaît à la lumière de la réalité comme une initiative non seulement peuplée d’obstacles, mais génératrice de tensions nouvelles, jusqu’à un nouvel argument d’une nouvelle guerre civile, notamment entre démocrates et républicains, qui n’avaient pas besoin de cela.

Un texte de Politico.com qui anticipait (le 18 novembre 2011), sans vista excessive, sur le résultat négatif de la mission de la “super commission”, envisageait les effets que cet événement aurait sur la situation du pouvoir politique à Washington dans la période suivante (l'année 2012). La logique de l’analyse est impeccable et fixe les idées à cet égard.

«If the supercommittee fails to reach $1.2 trillion — a near certainty at this point — it will spark a messy year-end rush to prevent key programs from expiring, and intensifying efforts by disparate groups of lawmakers to push competing deficit-cutting proposals.

»On the legislative docket: extending unemployment insurance, fixing the Alternative Minimum Tax, reforming the reimbursement formula for physicians who treat Medicare patients and maintaining a payroll tax break first enacted in 2009. All of these expensive provisions are slated to expire at year’s end and had been under consideration by the supercommittee under its fast-track procedures. But with a deal looking less likely after a fruitless day of negotiations Friday, Congress will have to confront these matters individually in the middle of a packed year-end legislative blitz and as funding for the entire government runs out Dec. 16.

»“We very well could have a very difficult time,” Sen. Richard Lugar (R-Ind.), a 34-year veteran of the Senate, said Friday.

»And 2012 will be only be more difficult, as Republicans — who were unable to win Democratic support for lowering marginal tax rates for all income groups to the supercommittee package — will continue their uphill climb to try to prevent the Bush-era tax cuts from expiring at the end of the year. Plus, there’s a growing push by defense hawks to blunt the so-called “sequester” that would slice $600 billion out of Pentagon programs starting in 2013, and $600 billion in other areas of the government, if the supercommittee cannot win approval of $1.2 trillion worth of cuts.

»On top of that — and perhaps most nettlesome for leadership in both chambers — failure will embolden other lawmakers who have been itching to have their say on the deficit, renewing long-simmering legislative battles that have so far failed to reverse a debt that’s more than $15 trillion.»

On comprend de quoi il s’agit : cette année 2012 “de négociation” le sera dans les pires des conditions possibles, dans un esprit partisan exacerbé, au milieu d’une cacophonie d’exigences venues d’assemblées (surtout la Chambre) dont on a vu la diversité et la parcellisation bien au-delà des limites des deux partis. Tout cela sera baigné dans une atmosphère de surenchère électorale sans doute sans précédent, avec les pressions conjuguées des crises diverses et du mécontentement populaire qui s’exprime désormais d’une façon concrète et non plus dans les sondages. D’autre part, cet “exercice” de complet désordre se fera dans des normes de contrainte (le refus du président d’abandonner les coupures budgétaires automatiques sans un accord en bonne et due forme) qui ajouteront encore à la tension générale.

Il est très possible, sinon probable, que ces événements au Congrès, qui sont en fait de simples événements de “politique courante” (mais à propos d’un événement extraordinaire, bien entendu, qui est la dette du gouvernement US, qui est passé, en 3-4 mois, de $14.300 milliards à quelque part entre $15.200 et $15.500 milliards), interfèrent directement sur les évènements de la campagne électorale. Cela pourrait conduire à des changements très importants dans les positions des candidats les uns par rapport aux autres dans leurs partis, voire dans les positions cde certains par rapport à leurs partis. Des dissidences pourraient se manifester des deux côtés à cet égard.

Cette situation générale de désordre pourrait également renforcer certaines déterminations dont on distingue actuellement le germe, notamment la plus importante d’entre elles qui est la question de savoir si Ron Paul pourrait envisager de faire campagne comme indépendant. D’une façon très caractéristique, certains conseillers de Ron Paul commencent à envisager que le candidat, même s’il était bien placé au sein du parti républicain malgré toutes les entraves auxquelles il doit faire face, aurait plus de chance comme indépendant dans la mesure où il serait libéré des contraintes d’un parti républicain complètement en folie, et dont cette folie va se refléter dans le programme du parti auquel il serait lié en tant que candidat républicain.

C’est sans doute la première fois dans les annales de l’histoire des USA qu’une campagne présidentielle, même, et surtout dans une atmosphère de crise, ne va pas amener un élément de stabilisation et de rangement de la situation politique mais, au contraire, un élément de désordre supplémentaire. Jamais une telle occurrence ne s’est manifestée et l’on dispose là d’une mesure majeure et exceptionnelle de l’état de crise du système politique des USA aujourd’hui.

La crise des “présidentielles 2012”

Maintenant, il faut considérer un autre aspect, qui est celui de la superposition des crises, ou plutôt de l’accumulation par empilement (sans hiérarchie particulière) des crises. La “crise” de l’échec de la “super commission”, qui est en fait un nouveau paroxysme d’une crise déjà ancienne, se signale au moment où une délégation d’Occupy Wall Street arrive à Washington, ayant fait à pied le chemin depuis New York. Elle fait sa jonction avec October2012, ou Occupy Washington D.C. qui reste sur ses positions sans interférences policières.

En même temps, Occupy se signale par deux interventions dans des meetings de deux candidats aux présidentielles de 2012. Sera-t-on surpris si ces deux candidats sont, d’une part, Ron Paul, de l’autre, Barack Obama, – comme un choix symbolique d’Occupy, comme s’il s’agissait des deux candidats qui s’affronteraient finalement ? Ron Paul a assuré ses interrupteurs qu’il les soutenait pour nombre de leurs exigences : «If you listen very carefully, I’m very much involved with the 99 [percent]. I’ve been condemning that 1 percent because they’ve been ripping us off. So, we need to sort that out. But the people on Wall Street got the bailouts and you guys got stuck with the bills and I think that’s where the problem is.». Obama, lui, a affirmé de façon bien plus ambigüe et incertaine  : «We’ll be talking about a whole range of things today and I appreciate you guys making your point. Let me go ahead and make mine, alright? And I’ll listen to you and you listen to me. […] You’re the reason that I ran for office in the first place.»

(Qui trouvera une meilleure expression indirecte, et sans doute involontaire, de l’aveu du plus piteux échec d’Obama, traître à sa rhétorique, traître à sa tactique, traître à sa parole électoraliste, – bref, traître à toutes les fausses “valeurs” qui font l’âme falsifiée d’un politicien ? … Disant aux 99%, «You’re the reason that I ran for office in the first place», alors que les 99% sont encore bien plus 99% qu’ils n’étaient en novembre 2008, lors de son élection, que lui-même, Obama, n’a jamais eu que quelques mots prudentissimes pour acter leur existence en tant qu’Occupy, et rien de plus. Ce premier président Africain-Américain a parfaitement assimilé la leçon, et rien, vraiment rien, puisqu’il n’est pas politically correct de parler de la couleur de la peau, ne le distingue en vérité d’un président WASP [White, Anglo-Saxon, Protestant] modèle standard décadent.)

Tout cela nous montre combien toutes ces crises, – dans ce cas, d’une part Occupy, d’autre part la dette et le Congrès, mais tant d’autres dans le même sens, – combien ces crises avec leurs effets sur la campagne des présidentielles, s’imbriquent et s’interconnectent les unes dans les autres. Nous ne sommes plus dans le schéma d’il y a un ou deux ans, où une crise chassait l’autre (sans pour autant la supprimer ou la terminer d’ailleurs), mais désormais dans le schéma où les crises se poursuivent, ressurgissent, et, dans telle ou telle circonstances, se rencontrent, s’imbriquent, s’interconnectent, s’influencent les unes les autres, se nourrissent et se relancent... La crise de la dette ne fait pas oublier Occupy mais les deux se marient et, qui plus est, semblent aménager dans un environnement vaste et chargé de tension l’événement déjà en plein développement qui se nommera “présidentielles de 2012”.

Il s’agit d’un cas exemplaire du phénomène que nous désignions le 22 novembre 2011 comme le phénomène de “la dissolution crisique”, ce phénomène étant l’effet de la situation que nous décrivons. Ces crises touchant le même domaine (ici la structure de la direction politique américaniste, avec son influence sur la population), se suivent sans s’annuler, mais en s’accumulant et en se renforçant. Ce qui compte alors n’est pas l’éclat ou le paroxysme de leur apparition ou de leur relance, tout comme leur apparente disparition des premières préoccupations par ordre quantitatif décroissant, mais leur existence se poursuivant, parallèlement et conjointement. Le tout forme effectivement ce tissu de dissolution du Système, que nous pouvons alors désigner comme le phénomène de “la dissolution crisique”.

Ainsi, l’affaire de la dette non résolue, qui va nous valoir au Congrès des déchirements sans fin, des luttes intestines, des développement dans le sens d’un enchaînement des heurts et des tensions, s’inscrivant dans la dynamique ainsi définie, chacune des crises intervenant après l’autre, et avant que l’autre n’intervienne à son tour. Chaque acteur d’une crise est aussi bien confronté à sa propre crise qu’aux effets indirects de telle ou telle autre crise qui lui est liée. Tout cela se forme et se reforme, s’agglutine, se renforce, dans un tourbillon vertigineux dont l’effet est effectivement la dissolution de la puissante substance du Système.

L’effet de ce processus général est évidemment le désordre et toujours le désordre, avec l’accentuation de l’irresponsabilité et de l’illégitimité dans le chef des autorités. Cela sera particulièrement sensible au Congrès, dont la côte de confiance (pour ne pas parler de “popularité”) est aujourd’hui de 9% dans la population, ce qui constitue un record historique, vers le bas, depuis qu’existe la technique du sondage (depuis les années 1930). D’une certaine façon, on pourrait penser qu’Occupy est aujourd’hui bien plus légitime, et donc bien plus responsable que le Congrès (sans parler des banques et de leurs $trillons généreusement légués par les presses à imprimer de la Federal Reserve, qui sont ainsi totalement délégitimées par rapport à un Occupy). Cette situation, vu l’identité et le statut des protagonistes respectifs, et parce que leurs crises sont liées comme on les voit et nullement exclusives l’une de l’autre, est un puissant composant du processus de “dissolution crisique” ; elle dissout complètement les positions des uns et des autres dans le Système, réduisant à néant les acteurs institutionnels les plus fondamentaux de ce Système. Les dates étant ce qu’elles sont, ce processus va prendre toute sa puissance tout au long de 2012, avec ce qu’on peut déjà désigner comme la “crise des présidentielles” aux USA, avec l’inexistence totale du parti républicain orthodoxe (hors Tea party) et la seule existence d’un candidat républicain absolument mis à l’index par son parti (sauf la composante Tea Party) et déjà immensément populaire (Ron Paul), avec un président en mal de réélection à la dérive parce que jouant constamment à contrepied en s’appuyant sur un adversaire politique qu’il juge puissant et nécessaire alors que cet adversaire est complètement discrédité (le parti républicain orthodoxe), et tous ces acteurs de la “crise des présidentielles” ayant nécessairement un pied dans la crise de la dette et du Congrès d’une part, dans la crise populiste d’Occupy d’autre part.

La “dissolution crisique” se trouve aussi dans cette perte des repères et cette incompréhension presque diamétralement antagoniste de la vérité de qui est légitime, ou de ce qui est perçu comme légitime. Aujourd’hui, Occupy est évidemment bien plus légitime que le Congrès, sa dette et son train. Cette situation constitue effectivement une dissolution du fondement du Système. Elle pèsera de tout son poids tout au long de l’année 2012, qui pourrait être, de la sorte, l’année d’une “dissolution décisive”.