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15 août 2007 — «End of ‘Bush’s brain’ will bring down the curtain on lame-duck President» titre hier le Times de Londres à propos du départ de Karl Rove. GW est fini, a “lame-duck President” sans Rove, a «President in limbo» (titre de la une). Est-ce bien sûr? Ou plutôt: quelle importance? Les règles du jeu, à Washington, ne sont plus celles auxquelles nous étions accoutumés. Le départ de Karl Rove n’a absolument aucune importance et ne changera strictement rien.
S’il faut accepter ces expressions classiques du semi-jargon politicien US, nous dirions plutôt que c’est l’establishment washingtonien qui est “lame-duck”, ou “
Sans consigne, sans mot d’ordre, sans pression de rien du tout, cet incroyable montage s’est réalisé sous nos yeux, a été accepté sans discussion, est devenu une référence à la manière d’une icône sacrée, a renversé complètement le courant contraint qui parcourait Washington depuis les élections de novembre 2006. Brutalement, la perspective de la guerre que tout le monde s’entendait à dénoncer comme monstrueuse et chaotique est devenue celle de la “victoire possible”.
Le cas est fascinant. Comme on l’a vu, l’un des deux “coupables” (vraiment, le terme a-t-il sa place ici?), interviewé par un journaliste un peu dissident, s’est aussitôt déculotté sans l’ombre de l’ombre d’une gêne, simplement pour tirer sa misérable épingle du jeu en cours à Washington. Le mensonge virtualiste avait été accepté par tout le monde, par omission, par tacite complicité, par solidarité de “servilité volontaire”, sans que personne ne cherche à en savoir plus. Lorsqu’un journaliste MSM, par inadvertance ou par un reste de conscience professionnelle, avait levé un instant, de très courte durée vu la lourdeur de la chose, la lourde tenture du virtualisme sur le pot aux roses, personne, même pas lui (le journaliste MSM) d’ailleurs, n’avait tiré la moindre conclusion.
(Wolf Blitzer sur CNN le 3 août…
«Blitzer: Was this part, though, of a U.S. military tour, if you will, that they took you around, you were escorted from location to location to location and they were the ones that took you to specific places? Or did you have the freedom to say I want to go here, I want to go there? Who organized, in other words, the stopovers, the visits that you were having?
»Pollack: It was — largely this was — it was largely organized by the military. We felt that was important because right now the big story is the military story.»)
L’enchaînement psychologique du phénomène, surtout, est fascinant. L’absence de mot d’ordre, de censure, du moindre processus de contrainte est remarquable. L’article O’Hanlon-Pollak s’est imposé comme une référence insoupçonnable en un temps record, sans la moindre mise en question sérieuse, sans pression d’aucune sorte, comme s’il répondait d’une façon impérative à un besoin psychologique. Il est apparu à un moment de tension extrême, où l’attente du rapport Petraeus constitue l’essentiel de l’activité politique à Washington. Le sentiment général, avant l’article O’Hanlon-Pollack, était que ce rapport donnerait une fausse impression de bonne nouvelle générale à l’aide d’un délayage de petites améliorations parcellaires sans mention du reste en général catastrophique (par exemple, 262 Irakiens, 6 G.I.’s tués le 13 août) ; cela pour permettre de de prolonger le délai du “surge”, — donc de prolonger l’illusion de GW Bush sur l’Irak, donc de prolonger la guerre. (Ce sera sans doute ffectivement le cas pour le rapport Petraeus.) Avec le passé des quatre dernières années, il aurait été évidemment impossible de souscrire au seul optimisme contraint du rapport Petraeus ; c’eût été une déception de plus, un pas de plus dans la descente vers ce qui pourrait être perçu comme une “défaite” de la puissance américaniste. La perspective était sans doute insupportable. L’article O’Hanlon-Pollak est apparu, par un hasard extraordinaire, — un hasard voulu par les dieux, les services de RP de Petraeus n’ayant par ailleurs fait que leur travail habituel, — comme une sorte de garantie d’authenticité du rapport Petraeus avant la lettre. Le soulagement fut littéralement formidable. Tout le monde accepta le diagnostic, — la victoire “possible”… On changea donc son M16 d’épaule.
(Voir le New York Times du 13 août. L’explication qu’en donne, ce 15 août, le site WSWS.org, bien qu’elle ne manque pas d’intérêt intellectuel, nous paraît d’une complication et d’une élaboration typiques de l’explication rationnelle faite après-coup, — du type “pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué”. Le NYT n’a fait que suivre la nouvelle tendance O’Hanlon-Pollack, qu’il avait d’ailleurs suscitée dans ses colonnes, avec le soulagement psychologique que l’on devine pour l’immense vanité américaniste qui gouverne toutes ces évolutions.)
Washington est enchaîné à la notion de la nécessité de la “victoire”, — ce mot étrange qui n’a guère son sens courant en Irak. (Voir plus loin.) Cette notion implique tout aussi nécessairement le maintien de forces importantes en Irak. Cette nécessité de “victoire”, ou de “perspective de victoire” qui revient au même pour ces esprits, est directement liée à la peur qui domine aujourd’hui les analyses washingtoniennes. Cette peur est nécessairement le moteur d’une agressivité sans cesse renouvelée, ce qui est une caractéristique de ces périodes où “l’esprit aventurier” prend le pas sur “l’esprit reconstructeur”, selon les mots de l’historien Guglielmo Ferraro. Parlant de l’aventure napoléonienne continuant l’aventure révolutionnaire en s’y inscrivant dans le même esprit, Ferraro écrivait ceci qui peut parfaitement correspondre au comportement psychologique de Washington : «[L]e monde est entré dans le cercle infernal de la peur qui provoque les abus de la force, des abus de la force qui exaspèrent la peur.»
Ainsi est rencontrée la juste explication que donne William Pfaff, l’immense peur qui caractérise la psychologie washingtonienne aujourd’hui. William Pfaff écrivait le 17 mai: «No door can be closed this time because both Democrats and Republicans have interiorized the idea of the global war against terror. Integral to that is fear. […] This Great Fear will keep America in the Middle East. It is formal doctrine that the U.S. must be militarily dominant everywhere so as to fight “extremism.”»
Dans cette affaire, la situation en Irak tend à de plus en plus à ne plus avoir aucune importance, quelle que soit la forme de son évolution catastrophique, — du moins, plus d’importance du point de vue de Washington. Notre appréciation est qu’effectivement Washington perd de plus en plus son intérêt pour la réalité irakienne après avoir verrouillé sa perte de contact avec cette réalité. Désormais, la réalité irakienne tend à être réduite aux visites guidées type O’Hanlon-Pollack, et bientôt l’on se contentera de visiter les bases US en Irak où l’on débarquera en direct de Washington pour dire: tout va de mieux en mieux. Cela laisse le champ ouvert à tous les possibles de la situation sur place. L’essentiel est bien que les Américains semblent de plus en plus devoir rester en Irak, ce qui rencontre évidemment les vœux de leurs adversaires. La “victoire” en Irak, pour les adversaires des USA, c’est que les troupes US y demeurent, que toute la puissance US soit concentrée vers ce point, comme l’essentiel des énergies de la politique US.
Curieusement, — ou bien non, très logiquement, cette exigence de la tactique anti-américaniste rencontre les vœux les plus secrets de la psychologie washingtonienne. Ainsi évolue-t-on vers cette situation extraordinaire où l’on remonte le temps de l’analogie vietnamienne, passant de la “vietnamisation”-1970 qui annonçait le désengagement à l’escalade-1965 annonçant l’engagement US: «In December 2006, it appeared that the war in Iraq had crept up to 1970 on the Vietnam clock; the case against further devastation had been made, and the argument could turn to the logistics of withdrawal. Now the clock is back to 1965. The president and his general have been given permission. The next step is sure to be an increase in the destructiveness of the air war.» (David Bromwich de Huffington Report).
Pour le reste, il est difficile d’y voir le triomphe de quelque théorie que ce soit, celle du chaos par exemple, dans la mesure où ce chaos touche désormais directement Washington. Il n’y aura ni “victoire” ni “défaite” aux sens classiques de ces termes en Irak; les choses décisives se produiront avant, à Washington. Le pauvre David Walker n’est pas au bout de ses peines et l’on peut attendre qu’une très belle contribution à l’Histoire de la part de la Grande République évidemment devenue Empire sera une nouvelle version, inédite et dont nous guettons avec intérêt la forme certainement très originale qu’elle prendra, de “la chute de l’empire”.