Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
5896• Dans les documents publiés par le gouvernement chinois le 24 février, un an après le déclenchement d’‘Ukrisis’, on trouve une critique virulente de la politique étrangère US. • Les Chinois dépassent le réalisme et la géopolitique et montent au niveau civilisationnel. • Ils se retrouvent complètement en phase avec la Russie de Poutine, qui déploie aujourd’hui une capacité d’affrontement civilisationnel contre le Système, esquissé par Poutine lui-même dans un discours de la fin 2013. • Enjeu de taille : la Tradition contre la modernité.
_________________________
On sait que, comme pour “commémorer” le début de la guerre en Ukraine, le gouvernement chinois a oublié un certain nombre de documents. On a beaucoup parlé d’un “plan de paix” qui n’est en fait qu’une reprise de la position chinoise sur le conflit, avec en plus, en croisant avec d’autres documents, l’affirmation de la Chine qu’elle ne tolérera pas une défaite de la Russie, – et donc interviendrait dans le cas d’une aggravation de la situation pour la Russia, – laquelle “aggravation” est bien loin de se produire, l’évolution allant clairement dans le sens contraire.
Mais il faut retenir un autre document, celui où la Chine fait une analyse extrêmement critique de la politique étrangère “d’hégémonie” des USA. Une voix amie nous a suggéré d’écouter le Christoforou-Mercouris du 25 février à cet égard, et nous nous sommes exécutés. On sait notre penchant pour ce duo, travaillant cette fois (titre de la vidéo) sur le thème de « La Chine et la Russie s’alignent pour défier l’“Ouest collectif” ».
Mercouris apprécie ce document critique de la politique US de la sorte :
« ... Et je dois dire qu’il est étonnant de constater combien c’est une attaque absolue, un assaut frontal contre la politique extérieure des USA et la façon dont elle est conduite... »
Mercouris énumère les divers points de la critique, effectivement terriblement poivrée ; mais la voix amie avait attiré notre attention sur le dernier point de cette liste impitoyable. C’est à cela que nous nous attachons.
Effectivement, Mercouris s’intéresse particulièrement à ce dernier point, en le considérant sans aucun doute comme exceptionnel de la part de la Chine...
« La partie la plus intéressante [du document chinois] est celle de la critique de la façon dont les États-Unis tentent de répandre leur système par le moyen de la culture [et de la communication] par les médias, les réseaux sociaux, les films, et la façon dont tout cela est immensément destructeur de toutes les valeurs et des traditions des autres pays, et au bout du compte, corrompt les autres systèmes. »
On dira que cette dénonciation n’est pas nouvelle ; en fait, elle a été véhiculée dès le XIXème siècle par tant de voix et tant de plumes, et se marie bien entendu parfaitement avec la critique de la modernité, – l’une et l’autre se confondant finalement. Mais elle est nouvelle, dans les circonstances présentes, de la part de la Chine et de son gouvernement, en l’espèce le PCC (Parti Communiste Chinois). Elle représente tout de même une ingérence dans une “politique intérieure”, puisque la culture américaine est effectivement une dimension intérieure, et l’on sait combien la Chine dénonce absolument cette démarche ; le paradoxe, ici, tient au fait que les USA veulent imposer cette culture au reste du monde en complète posture d’ingérence (c’est pourquoi nous dirions plutôt “culture américaniste”, – Mercouris disant “globaliste”, – c’est la même chose et l’expression “politiqueSystème” met tout le monde d’accord). Dans ce cas, les Chinois se jugent absolument fondés d’oublier ce principe essentiel de leur politique puisque c’est pour lutter contre une violation complète de ce principe par un pays devenant ainsi agresseur.
Là-dessus, Mercouris précise :
« C’est une analyse extraordinaire mais prenons un peu de distance pour constater que nous avons déjà entendu tout cela de la part de quelqu’un d’autre ... et la personne en question n’est autre que Vladimir Poutine...
» Les Chinois ont complètement accepté la critique russe de la politique étrangère des USA, la politique étrangère globaliste des USA... »
Effectivement, c’est un événement remarquable et assez surprenant de la part des Chinois, que cette façon d’en arriver à une critique de l’essence (ou la non-essence) de la civilisation américaniste, à partir de l’exemple russe qui ne fut jamais d’une grande proximité géopolitique de la Chine, – mais c’est, justement, qu’il n’est pas question de géopolitique ! (Et, de ce fait, le civilisationnel prenant nécessairement le dessus, la géopolitique suit.)
Si l’on remonte à la source événementielle de la position de Poutine, qui s’avère être l’inspirateur de l’évolution chinoise, on choisira fin 2013 et un discours resté assez ignoré, au contraire du fameux discours de 2007 à Munich, qui était, lui, fondamentalement géopolitique. Depuis le retour au pouvoir de Poutine de 2012, les événements avaient notablement évolué vers une sorte de “guerre douce” livrée par l’Occident contre la Russie, notamment au niveau sociétal (c’est en 2012 qu’il y eut l’affaire du groupe des ‘Pussy Riots’ à Moscou, qui provoqua tant d’émois médiatiques en Occident).
Poutine se montra de plus en plus attentif à cet aspect des événements, y voyant autant un moyen de pression politique (pseudo-géopolitique) qu’un signe de la dégénérescence accélérée de l’Occident avec potentiellement des effets catastrophiques de contamination de la société russe. C’est alors que nous sommes vraiment passés dans une autre dimension de l’affrontement, perceptible dès 2014 avec les événements d’Ukraine où des groupes plus ou moins LGTBQ, ou plus tard identifiés à la mouvance politico-sociétale LGTBQ jouèrent un rôle subversif notable.
En décembre 2013, assimilant et constatant cette évolution, Poutine fit un discours où il constatait cet aspect sociétal et de décadence des mœurs comme un signe d’une catastrophique dégénérescence de la civilisation dont la Russie devait se protéger. C’est à propos de ce discours que l’ancien conseiller de Nixon Patrick Buchanan écrivit son texte, que nous citons souvent :« Is Putin One of Us ? ». Nous observions et annoncions, – faussement pour l’immédiat, sans aucun doute, ] – un reclassement fondamental passant de la géopolitique (et de l’idéologie qui va avec) à la conception civilisationnelle par rapport à la Tradition.
« Qui connaît un peu Patrick Buchanan, celui-là sera troublé et intéressé, stupéfait dans un premier temps, finalement écartant cette surprise inutile et dépassée, en lisant le commentaire de Buchanan du 17 décembre 2013 sur le site UNZ.com, qui reprend les textes originaux et importants de personnalités US, et commentaire sous ce titre : “Is Putin One of Us?” Buchanan fut le speechwriter de Nixon, partisan de Reagan, républicain et conservateur traditionnel anticommuniste et viscéralement antirusse durant l’essentiel de sa carrière, devenu “paléo-conservateur” pour se distinguer des “néoconservateurs”, mais restant marqué dans le chef de ses accusateurs rémunérés de tendance extrême-droitières (et bien entendu d’antisémitisme pour achever de plier le discours dans le sens convenu) comme isolationniste, adversaire de Roosevelt à cause de sa collusion avec l’URSS de Staline, etc. Dans le texte cité, où question vaut réponse positive évidemment, Buchanan fait de Poutine le porte-drapeau d’un mouvement mondial, transnational, contre les ravages du “progressisme” ou “libéralisme”... [...]
» Nous citons abondamment le texte de Buchanan, parce qu’il constitue un exemple extrêmement intéressant du reclassement en cours à une vitesse extraordinairement rapide, notamment aux USA, avec la Russie et Poutine comme détonateur de la chose. L’observation de Buchanan du passage d’une conception verticale de l’affrontement à une conception horizontale, transnationale, absolument étonnante pour un commentateur US qui a toujours entretenu une hostilité constante pour tout ce qui n’est pas US et pour la globalisation, pulvérise l’argument habituel “globalistes versus nationalistes” qui est un autre faux-nez du Système pour diviser les tendances antiSystème (d’ailleurs souverainistes plus que nationalistes) en les enfermant dans un ghetto isolationniste, alors que leur cause se retrouve dans un nombre de plus en plus élevé de pays, et devient par conséquent une cause globale. (Ce terme de “global” sans plus, et l’on pourrait même dire “mondiale” ou “universelle”, pour éviter de trop se référer au globalisme, doctrine spécifiquement pro-Système puisque réunissant les forces-Système dans une structure transnationale.) »
Ce que nous prévoyions comme un « reclassement en cours à une vitesse extraordinairement rapide » n’a pas eu lieu, pas du tout à cette vitesse dans tous les cas. L’aspect civilisationnel fut prestement étouffé par un retour de l’aspect géopolitique et politique tout court avec l’Ukraine (2014 jusqu’à nous) et le ‘Russiagate’ où la corruption totale de la classe politique US exacerba un antirussisme monté sur un complet simulacre et activa l’antagonisme entre la Russie et l’“Occident collectif”.
Mais aujourd’hui, nous revenons, dans des conditions formidablement aggravées (wokenisme, ‘genrisme’, conformisme, etc.) aux références de fin 2013 parce que la crise ‘Ukrisis’, avec l’alliance des neocon et des LGTBQ guerriers (féminisme guerrier notamment, et ‘R2P’), a fait éclater la géopolitique pour retrouver le civilisationnel. Ces années d’interruption d’un courant faussement jugé irrésistible par nous sur le moment, ont pourtant permis cette chose imprévue, qui semblait impossible en 2013 où cette puissance restait sur la réserve, de voir la Chine rallier de façon aussi affirmée le “camp russe” (le “camp de la Tradition” et des antmodernes) dans le conflit civilisationnel où réapparaît au premier plan l’enjeu de la Tradition contre la modernité. C’est certainement la chose la plus importante que nombre d’intellectuels occidentaux qui se veulent antiSystème ou antimodernes n’ont pas vue dans le conflit ukrainien.
Car ce problème énorme, ce retour à l’essentiel que soulèvent le document chinois et le ralliement de la Chine à la vision russe doit à un moment ou l’autre se manifester puissamment au cœur de l’“Occident collectif”, qui est, dans sa forme actuelle, une coquille vide de tout sens. Ce sera cet instant où certains qui ont embrassé le combat du simulacre ukrainien arrangé par Victoria Nuland, s’apercevront que les principes qu’ils veulent défendre pour eux-mêmes ne sont pas de ce côté. Ils devront revoir leur copie.
Mis en ligne le 27 février 2023 à 16H30
Forum — Charger les commentaires