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2 juin 2007 — Il s’agit sans doute du cas le plus évident et le plus impressionnant de la nouvelle puissance d’Internet comme acteur majeur de la communication et de l’information, avec des conséquences politiques directes et mesurables. On parle de l’information mise en ligne par Steven C. Clemons sur son site TheWashingtonNote.com le 24 mai, dont nous nous sommes faits l’écho dans notre “Bloc-Notes” du 25 mai.
Ce que nous en disions :
«L’excellent chroniqueur washingtonien Steve C. Clemons publie sur son site The Washington Note, en date du 24 mai, la nouvelle de ce que l’on pourrait appeler un “complot” monté par Cheney contre GW Bush, pour forcer à une attaque contre l’Iran.
»L’idée serait de provoquer une attaque limitée (avec des missiles de croisière) amenant une riposte iranienne qui entraînerait une riposte US et un conflit au plus haut niveau ; le plan serait notamment renforcé par l’appréciation que le président iranien Ahmadinejad aurait intérêt à un tel affrontement pour renforcer son pouvoir, et saisirait l’occasion d’une telle riposte. La poussée de Cheney et de ses partisans se fait alors que, et parce que le président soutient de plus en plus les efforts diplomatiques vers l’Iran, conduits par Rice (département d’Etat), par Gates (Pentagone) et soutenus notamment par la CIA. Clemons cite une source dans l’administration selon laquelle les manœuvres de Cheney s’apparentent à une “insubordination criminelle potentielle” contre le président.»
L’information de Clemons, recoupée par d’autres, est rapidement devenue un cas international de grave dissension au sein des pays regroupés pour négocier avec l’Iran. C’en est au point où Condi Rice a dû publiquement affirmer que les informations de dissension à l’intérieur de l’administration étaient fausses. Elles sont vraies, bien sûr, et la démarche de Rice mesure l’embarras de Washington.
La chose faisait la “une” du site de l’International Herald Tribune, reproduisant un article daté du 1er juin et publié dans les éditions d’aujourd’hui du quotidien US international. Les extraits ci-dessous résument l’intervention de Rice et les agitations et les pressions qui l’ont motivée, notamment une interview tonitruante du directeur de l’IAEA, Mohamed El Baradei, à la BBC.
«Secretary of State Condoleezza Rice sought Friday to minimize any sense of division over Iran within the Bush administration after the head of the United Nations nuclear watchdog agency criticized the “new crazies” pushing for military action against Tehran.
»“The president of the United States has made it clear that we are on a course that is a diplomatic course,” Rice said here. “That policy is supported by all of the members of the cabinet and by the vice president of the United States.”
»Rice's comment came as senior officials at the State Department were expressing fury over reports that members of Dick Cheney's staff have told others that the vice president believes the diplomatic track with Iran is pointless and is looking for ways to persuade Bush to confront Iran militarily.
»In a news conference Friday, Rice said Cheney supported her strategy of trying to deal with Iran's nuclear ambitions through diplomacy. A senior Bush administration official separately denied that there was a deep divide between Rice and Cheney on Iran.
»But, the official said, “the vice president is not necessarily responsible for every single thing that comes out of the mouth of every single member of his staff.” The official spoke on condition of anonymity because he was not authorized to speak publicly about any divide within the administration.
»The reports about hawkish statements by members of Cheney's staff surfaced last week in The Washington Note, a blog put out by Steve Clemons of the left-leaning New America Foundation. The reports have alarmed European diplomats, some of whom fear that the struggle over Iran's nuclear program may evolve into a decision by the Bush administration to resort to force.
»In interviews, people who have spoken with Cheney's staff have confirmed the broad outlines of the report. Some said that some of the hawkish statements to outsiders were made by David Wurmser, a former Pentagon official who is now Cheney's principal deputy assistant for national security affairs. The accounts were provided by people who expressed alarm about the statements but declined to be quoted by name.
»In an interview with BBC Radio that was broadcast Friday, Mohamed ElBaradei, director general of the United Nations' International Atomic Energy Agency, said he did not want to see another war like the one raging in Iraq four years after the U.S.-led invasion.
»“You do not want to give additional argument to new crazies who say, 'let's go and bomb Iran,’ ” ElBaradei said. “I wake up every morning and see 100 Iraqis, innocent civilians, are dying.”
»ElBaradei, who has urged Western powers to consider allowing Iran limited enrichment on its own territory, has faced criticism from Bush administration officials who contend he should stick to monitoring Iran's nuclear program and leave diplomatic policy to the six countries that have banded together to try to rein in its nuclear ambitions.
»But several West European officials echoed his concerns and said privately that they were worried that Cheney's “red line” — the point at which he believes that Iran would be on the brink of acquiring a nuclear weapon and a military strike was necessary — may be coming up soon.
»ElBaradei said in the BBC interview that one could not “bomb knowledge.” Asked who the “new crazies” were, he replied: “Those who have extreme views and say the only solution is to impose our will by force.”»
Attachons-nous ici à l’aspect politique de cet événement, en lui accordant une importance considérable. Le rôle central de la perception est pour beaucoup dans notre jugement. Peut-être pourrait-on avancer que c’est l’événement le plus important dans la très longue saga de la crise nucléaire iranienne depuis la déclaration de Bush, en février 2005 à Bruxelles, selon laquelle «toutes les options sont sur la table» concernant l’attitude des USA vis-à-vis de l’Iran, — ce qui fut prestement entendu comme : y compris et surtout l’option de l’action militaire. Depuis cette déclaration, répétée ensuite sans surprise, la crise nucléaire iranienne du côté US a été une suite ininterrompue de rumeurs, de spéculations, etc., concernant une attaque. Cette fois, la réaction publique de Rice signifie plusieurs choses :
• La reconnaissance implicite que la prise en compte générale des révélations de Clemons, notamment par El Baradei, impliquait une sorte d’“officialisation” de celles-ci, qui nécessitait une réfutation. Dans ce cas, sans nul doute, le démenti vaut confirmation, — en même temps qu’il nous confirme dans la perception d’une très grande faiblesse de l’administration GW.
• L’affirmation solennellement explicite que la politique iranienne suivie par le département d’Etat est d’instruction également explicite du président et qu’elle est celle de la diplomatie. «The president of the United States has made it clear that we are on a course that is a diplomatic course», dit-elle, — par conséquent : «That policy is supported by all of the members of the cabinet and by the vice president of the United States.» Ces phrases signifient que, pour l’instant dans tous les cas, l’option militaire n’est plus tout à fait (plus du tout?) sur la table et que tout le monde dans l’administration doit évidemment accepter ce choix, y compris le vice-président.
Quel tableau général tracer à partir de ces péripéties ? Sans aucun doute celui d’une administration à la dérive, éclatée, avec chaque parti qui tente de récupérer à son compte la politique centrale. Loin de voir dans cette intervention la prise en main de la politique extérieure par Rice, on doit plutôt y voir une fortune temporaire de la tendance Rice, par ailleurs renforcée par le soutien d’autres factions à l’intérieur de l’administration (Gates, une importante partie des forces armées dont la Navy). Car ce qui domine la situation de l’administration, c’est la personnalité et la position du président, qu’on sent tiraillé par les sollicitations diverses, y compris les machinations plus ou moins connues de tous d’un vice-président dont on comprend bien qu’il pourrait revenir en grâce du jour au lendemain si, après tout et tout compte fait, GW décidait qu’il faut remettre fermement sur la tale l’option de l’attaque militaire.
Plus encore, cette mise à jour implicite des tensions intérieures mesure l’aggravation de l’affaiblissement du président et de son administration. Ce n’est pas d’un affaiblissement conscient et mesurable dont nous parlons. GW Bush continue à agir avec les certitudes les plus roboratives et les plus abracadabrantesques, c’est-à-dire dans la plus parfaite inconscience de sa position et des perspectives de son action. Mais autour de lui, les choses se défont de plus en plus, à mesure des échecs de sa politique lunatique, de la proximité grandissante de la fin du mandat, des intérêts exacerbés des uns et des autres. Comme l’on comprend bien, ce n’est donc pas le triomphe d’une tendance mais le désordre et les manoeuvres, avec notamment les extrémistes (Cheney & Cie) de plus en plus activistes.
Du point de vue international, l’évolution est également importante. Alors que l’intervention de Rice voudrait rassurer, elle constitue au contraire une dramatisation de facto. Elle met brusquement en lumière ce que tout le monde sait à voix basse, à savoir que l’incertitude de l’administration GW Bush peut aussi bien déboucher, même si “accidentellement”, sur une poussée belliciste et une attaque militaire. La publicité implicite de cette possibilité, même si c’est pour dire qu’elle n’est pas d’actualité, constitue cet événement important dont nous parlons, — où l’on voit effectivement que la perception joue un grand rôle. Il y a maintenant, entre les pays alliés, la perception officielle, dramatisée par les déclarations d’El Baradei, que la crise peut déboucher sur cette folie militariste. Quoi qu’il en soit des prises de position de Rice, cela affaiblit la position US au sein du groupe des pays impliqués, — d’une part parce que l’événement fait se demander si Rice représente bien toute l’administration et, éventuellement, le GW Bush de demain ou d’après-demain ; d’autre part parce que l’incident, par l’aspect officiel qu’il a pris, renforce a contrario l’idée cauchemardesque qu’une intervention militaire US a été et reste possible et que, dans ce cas, nul n’ignore qu’elle serait bien pire qu’un Iran nucléaire selon la formule classique de l’américanisme du remède pire que le mal.
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