Incompréhension des élites du bloc BAO et d’une Grande Guerre

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Incompréhension des élites du bloc BAO et d’une Grande Guerre

Le chroniqueur de Moscow Time, Dmitry Babich, ne comprend pas les “intellectuels” occidentaux. (Disons pour notre compte : les élites du bloc BAO, comprenant les politiques, la communication, les people, et certes ce qu’on nomme encore, par libéralisme du rangement, les intellectuels.) Dans son texte du 6 septembre 2012 (sur Moscow Time) Babich s’étonne de ce qu’il juge être leur inconséquence.

Il relève, depuis plusieurs semaines, divers articles parlant de la possibilité d’une “Grande Guerre” (disons la Troisième Guerre mondiale, pour faire court et expéditif) à partir d’une situation au Moyen-Orient de plus en plus dangereuse (crise syrienne, crise iranienne, disons crise haute dans ce domaine). («There is something substantial that changed in Europe’s intellectual landscape during the last 1-2 months: talk of a new “big war” (some intellectuals even say “world war”) is no longer taboo.») Mais, s’exclame Babich, qui a causé cette situation sinon le bloc BAO dont tous ces intellectuels sont parties prenantes ? L’idée (l’accusation) remonte au Kosovo de 1999, lui aussi objet des fameux “bombardements humanitaires” (formule made in Vaclav Havel) sanglants et cruels, en toute illégalité et selon une logique arbitraire, au nom d’une morale unilatéraliste et ainsi de suite.

«“The Drums of War in the Middle East” – that is the title that the former German foreign minister Joschka Fischer has chosen for his opinion piece for Project Syndicate. “This World War that Ambushes Us” – the prolific French writer Max Gallo, former secretary of state in the French government under president Francois Mitterand in the 1980s, echoes Fischer’s fears in the French daily Le Figaro. “The Virus of a Total War” – that is the title of an article by Gueorgy Mirsky, a veteran pro-Western Russian Arabist and a brilliant intellectual, in the Moscow-based Nezavisimaya Gazeta…»

Babich passe donc en revue ses stupéfactions diverses devant tous ces “intellectuels” s’effrayant de cette possible guerre à venir alors que la politique de leur gouvernement, de leur pays, de leur groupe de pays a tout fait pour en préparer les conditions et qu’ils n’ont rien fait pour la modifier, certains la soutenant activement, y participant même. L’exclamation est classique, elle n’en est pas moins tonitruante… Prenant une citation de l’ancien ministre allemand des affaires étrangères Joschka Fisher sur les évènements du Moyen-Orient, et puis sur ceux de leur chère Europe également, après tout, l’Europe de Barroso, de Goldman Sachs et des retraités qui s’immolent par le feu à Athènes ; et citation qu’il n’est nul besoin de reproduire pour entendre les geignements humanitaires et les soupirs libéraux du pauvre esprit, et de la morale vertueuse et soudain effrayée des horreurs du monde, et peut-être celles qui sont à venir très vite… Babich est parfaitement fondé de développer cette dialectique furieuse : mais qui t’a fait roi ?!

«How very interesting. Can Mr. Fischer, one of the architects of modern Western foreign policy, name just one of the aforementioned crises that would not be Western-made? Who hastily supported the so called “Arab spring” in Egypt and Libya despite Russia’s warnings and doubts? Wasn’t it this support, as well as the Western engagement on the rebel Sunni side in the mutiny in Syria that brought about a dramatic growth of Islamist Sunni influence in regional politics? Which “economic and political” crises does Fischer mean? If he means the debt crisis in the Eurozone and the rising unemployment in Greece and Spain, it is a direct consequence of HIS policies, as well as the policies of his colleagues from the European Union (it was under Mr. Fischer as the foreign minister that euro was introduced and whole branches of traditional European industries were made redundant by the EU integration). And if Mr. Fischer means the crisis of international law, it was HIS support for the illegitimate war against Yugoslavia in 1999 that brought to fruition the crisis that we saw in Libya and continue to see in Syria…»

Le propos est lumineux d’évidence. Il y a même une citation du dernier guerrier du dernier carré, qui tient à rester fidèle jusqu’au bout à son extrême “sottise de l’intelligence” autant qu’à ses engagements plus ou moins opportuns et qui permettent de vivre, et qui nourrissent la parade jusqu’au bout héroïque dans les maquis exaltants des salons parisiens ; il y a donc la dernière citation de l’inévitable Glucksmann, le toujours nouveau “nouveau philosophe” et jusqu’au-boutiste de la pose neocon européanisée… «Here is one example. Andre Glucksmann, France’s most anti-Russian “philosopher,” when answering questions from Der Spiegel magazine this week, says: “In this anarchist context, Europe must reaffirm its power and take a position of attack, not defense, against the threats facing it. Putin’s Russia, with its desire to reconquer a part of its former power, is one such threat.”»

Mais comment Babich pourrait-il seulement espérer, au-delà de sa colère furieuse, comprendre un processus incompréhensible par les voies de la raison, de la logique politique, de la responsabilité des actes et du jugement ? De tout cela, il n’y a rien, pas la moindre manifestation. Le texte de Babich est un signe de plus de l’incompréhension bien compréhensible des élites russes devant le comportement du monde occidental, du bloc BAO dans le chef de ses propres élites et de ses directions politiques. Au reste, dans cette volonté rationnelle de l’analyste et du commentateur qui cherche sincèrement une explication également rationnelle, – caractère si spécifique de la démarche russe, balançant les tendances naturelles de l’“âme russe” par cette volonté de raison réaliste, – on trouve la façon dont Babich se prive des instruments d’une compréhension éclairée de cette situation incompréhensible du bloc BAO, qui est après tout le centre et l’inspirateur de la civilisation actuelle… Mais il se trouve que cette civilisation est devenue contre-civilisation. Babich rate cela, lorsqu’il fait allusion à 1914 (puisque tous ces chroniqueurs qu’ils dénoncent parlent d’une “Grande Guerre”, voire d’une “Guerre mondiale”, renvoyant à 1914) :

«Max Gallo writes that he is afraid of a chain reaction of conflicts, which, starting in Syria, may get other countries involved – with the Middle East playing the same role of a fuse that the Balkans played in 1914. A wise comparison, but why is Mr. Gallo so pessimistic about Europe’s ability to stop this chain reaction? After all, one of the saddest details about the World War I was that there were so few European intellectuals who raised their voice against the war in 1914, dismissing lots of mutual (and largely imaginary) fears that led to this fratricidal conflict… […] Here we are again in 1914, with somber predictions and invented enemies.»

… Ce n’est pas le cas, contrairement à ce qu’en écrit Babich. La guerre de 1914, la Grande Guerre, est loin, très loin d’être le résultat de “peurs largement imaginaires” et d'“ennemis inventés”, mais au contraire le résultat d’un enchaînement psychologique et métahistorique qui dit le vrai de notre destin. Jamais un conflit, contrairement à ce qu’en dit en général l’analyse historique rationnelle, fut aussi inéluctable et inévitable. (Nos références sur ce site sont nombreuses concernant cette approche de la Grande Guerre. Voyez par exemple le 11 novembre 2008, le 11 juillet 2009, le 27 novembre 2009, le 25 janvier 2010, le 9 août 2012, etc.) Mais la Grande Guerre fut inéluctable et inévitable pour des causes dissimulées, plus fondamentales et plus impératives que celles auxquelles se réfère la raison et qu’elle ne retrouve pas… Ce qui nous ramène évidemment à la situation actuelle, – peut-être pas nécessairement pour une néo-Grande Guerre, mais sans nul doute pour la psychologie et la métahistoire.

Notre propos est, bien entendu, d’observer que le comportement de nos “intellectuels”, de tous ces gens d’une raison si souvent submergée par l’affectivité dans le contexte oppressant du Système omniprésent, ne peut être compris s’il n’est pas fait appel à des références qui n’ont rien à voir avec une raison de toutes les façons subverties et impuissantes à remplir sa fonction haute. Il s’agit d’esprits submergés par l’inversion qu’impose le Système, lorsque l’affectivité tient lieu évidemment d’aliment du jugement, lorsque la responsabilité se blottit dans les rets d’une infraresponsabilité extérieure à soi, bien plus puissante que soi et qui tire vers le plus bas. Le jugement rationnel, s’il s’en tient à ses seuls instruments de la raison, ne comprend rien à de telles attitudes, qui mêlent la responsabilité de l’acte perçu comme nécessaire et juste, et les conséquences de l’acte perçues comme affreux et catastrophiques, sans faire un lien de causalité entre ceci et cela pour s’interroger sur cette contradiction. On soupçonne aussitôt un cynisme incroyable, une cruauté impudente, que la plupart de ces personnages n’ont bien évidemment pas la force d’avoir, – qu’ils n’ont évidemment pas puisque règnent en maîtres dans leur attitude l’inconscience des choses, l’aveuglement dès que la vérité se manifeste, la paralysie les empêchant de se détacher du seul présent immédiat, l’impuissance d’échapper à la fascination qu’exercent la dialectique du Système, la publicité des bons sentiments réduits à la dialectique du slogan, l’inculpabilité et l’indéfectibilité (caractères psychologiques américanistes étendus au bloc BAO). Ils ne sont pas coupables et s’ils sont responsables de leur inconséquence, c’est parce qu’ils sont irresponsables… Ils sont dans un territoire où le Système règne et leurs esprits terrorisés découvrent parfois avec horreur que les choses pourraient devenir horribles. Nous sommes dans une phase de cette sorte.


Mis en ligne le 10 septembre 2012 à 09H07

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