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104725 septembre 2006 — On a lu Jim Lobe, il y a trois jours, expliquer l’étrange dualité contradictoire entre la diplomatie US d’une part, de plus en plus inclinée, ou forcée à être inclinée à l’accommodement dans la crise iranienne, et la ligne “dure” plus que jamais partisane d’une attaque de l’Iran.
Lobe: «If you're feeling increasingly confused about whether the administration of President George W. Bush is determined to go to war with Iran or whether it is instead truly committed to a diplomatic process with its European allies to reach some kind of modus vivendi, you're not alone.
»On the one hand, a growing number of informed voices are arguing that the administration is simply going through the diplomatic motions in order to persuade domestic and international opinion that it had acted in good faith before it pulls the plug and launches attacks on Iran's suspected nuclear facilities and related targets some time before the end of Bush's term. (…)
»On the other hand, a second group of analysts, also increasing in number, believes that the administration has effectively discarded the military option on Iran and has instead resigned itself to a protracted diplomatic process that will likely end in Washington's adoption of a “containment” strategy designed to curb Tehran's regional influence and delay as long as possible its acquisition of a nuclear-weapons capacity.»
Samedi, sur le même site Antiwar.com, Leon Hadar revient sur le problème et développe d’abord l’argument général très solide pour que l’attaque US n’ait pas lieu : de moins en moins de moyens de le faire, un environnement international de plus en plus hostile à cette attaque, etc. Il y ajoute le statut de plus en plus affirmé de l’Iran dans la région, son influence grandissante, — essentiellement, bien sûr, grâce à l’absurde politique américaniste, avec ses menaces, ses accusations infondées, la brutalité de manière et la médiocrité de pensée de ceux qui défendent la cause US au niveau international (Bolton, archétype du cas), mettant en évidence par contraste la finesse et l’habileté iraniennes.
Du côté des partisans de la guerre, quoi? L’hystérie belliciste des néo-conservateurs, qui est loin d’être un cas-clinique isolé, qui serait plutôt un cas un peu plus affirmé d’un sentiment général qui continue à prédominer à Washington, et qui ne cesse même de se renforcer. C’est une sorte d’affirmation d’une lourdeur martiale incroyable, qui n’a aucune nécessité d’être démontrée. Contre toutes les évidences accumulées ci-dessus, il y a le sentiment irrationnel toujours grandissant qu’il est impensable que Washington n’impose pas sa loi et que cette loi ne peut être faite que de l’airain et du tonnerre de la guerre. Littéralement, la pensée washingtonienne est dans une sorte d’autisme : elle ne peut penser autrement que dans le sens de la surenchère.
Hadar termine son analyse par quelques observations qui nous disent, d’une certaine façon en tout illogisme : alors que tout nous dit que l’attaque n’aura pas lieu, elle aura lieu.
«Instead, [Bush-Cheney] are now in the process of writing their historical legacy which will center on their policies in the Middle East. Leaving office with Iraq in ruins and Iran emerging as the military hegemon in the Persian Gulf – equipped with nuclear military power! – would damage whatever remains of the Bush-Cheney “legacy.”
»While the possibility of the Democrats taking over the House of Representatives and even the Senate could make it difficult for the administration to deploy more troops in Iraq, it will not face major opposition from the mostly pro-Israeli Democrats on Capitol Hill if and when it decides to take military action against Iran.
»Of course, there is another way for Mr. Bush and Mr. Cheney to deal with the challenges they are facing in the Middle East: a diplomatic dialogue with Iran (and Syria) combined with an effort to revive the Israeli-Palestinian peace process. But for an administration that has portrayed the Iranian regime as a member of the axis of evil and has placed itself squarely behind Israel, such a move would be out of character.»
Il y a d’autres indications allant dans le sens d’une interprétation belliciste pour nous dire : oui, malgré toutes les apparences vertueuses de la diplomatie, malgré toutes les perspectives de négociations, Washington tapera sur Téhéran.
• Un article du 21 septembre de Larisa Alexandrovna, sur le site RAW Story, est l’une de ces indications :
«The Pentagon's top brass has moved into second-stage contingency planning for a potential military strike on Iran, one senior intelligence official familiar with the plans tells RAW STORY.
»The official, who is close to the Joint Chiefs of Staff, the highest ranking officials of each branch of the US military, says the Chiefs have started what is called “branches and sequels” contingency planning.
»“The JCS has accepted the inevitable,” the intelligence official said, “and is engaged in serious contingency planning to deal with the worst case scenarios that the intelligence community has been painting.”»
• Il est fait grand cas des avis du colonel (à la retraite) Gardiner, qu’on dit fort proche du Pentagone. D’où l’intérêt de la publication de son rapport «The end of the summer diplomacy — Assessing U.S. Military options on Iran», disponible sur le site de The Century Foundation. On y trouve les détails de l’attaque telle qu’elle aura lieu de toutes les façons. Pour un peu, on disposerait même des résultats…
Que conclure de ces attitudes et appréciations contradictoires ? On peut faire comme Jim Lobe, les constater et tenter d’établir une comparaison, pour voir quelle partie progresse et quelle partie recule. C’est faire un travail d’analyse rationnelle qui a sa raison d’être mais qui semble si peu correspondre à la réalité de la situation à Washington. Une autre possibilité existe, correspondant mieux à la psychologie américaniste qui domine aujourd’hui dans cette capitale. Elle fait la part belle, essentielle voire exclusive à l’irrationnel, et c’est elle que nous privilégions.
Lorsqu’on envisage la possibilité d’une attaque contre l’Iran, tout le monde pense au précédent de l’attaque contre l’Irak. Les mêmes procédés sont développés, comme les pressions faites sur la CIA pour obtenir un renseignement sur mesure pour justifier la guerre.
Le grand fait, la grande différence par rapport à la situation pré-irakienne à laquelle tout le monde pense, c’est évidemment l’état de la puissance US. Cette puissance est considérablement diminuée et, par conséquent, elle réduit tout aussi considérablement les options. Elle constitue un fardeau psychologique d’un poids incroyable.
Dans le cas iranien, à part l’option aérienne, rien de bien sérieux ne peut être envisagé (même si l’on signale des activités de forces spéciales US en Iran, ce qui n’est pourtant pas confirmé). Cette situation est un fait opérationnel qui est pris en considération dans la comptabilité des attaques possibles, mais sans qu’une conclusion plus large ne soit tirée. Personne n’ose écrire que le roi est nu.
Cette situation de la faiblesse militaire US est surtout un frein psychologique, certainement inconscient pour l’essentiel, qui n’est nulle part présenté à hauteur de son importance réelle (sauf dans le chef de quelques dissidents). Ce frein psychologique joue pourtant, à notre sens, un rôle considérable.
Les affirmations d’attaques nécessaires et inévitables surgissent de façon épisodique, comme des spasmes, mais sans la moindre continuité et sans une progression notable qui soit continue et réponde à une véritable “montée en puissance”, comme dans le cas irakien en 2002-2003. Le rapport “authoritative” du colonel Gardiner n’est pas le premier du genre, dans l’esprit dans tous les cas. On en voit défiler de semblables depuis plusieurs mois, qui alimentent l’affirmation d’une attaque inéluctable. Aucun ne règle pourtant le cas.
La position des chefs militaires est du même type. Elle est régulièrement présentée comme acquise après un débat douloureux, les militaires acceptant finalement la perspective de l’attaque. Puis de nouvelles informations viennent démentir cette acceptation présentée comme finale, pour nous informer d’une nouvelle remise en cause de l’attaque. Il y a le cas de Seymour Hersh, annonçant (le 9 avril) que le principe de l’attaque est acquis, éventuellement avec du nucléaire, puis montrant (le 3 juillet) comment le cas a été revu, notamment avec l’abandon de l’option nucléaire. Hersh fait-il du sensationnalisme? Toute sa carrière nous montre que non. Il rapporte les soubresauts, les spasmes de la direction washingtonienne sur laquelle pèse cette terrible pression inconsciente de la puissance militaire dans un déclin accéléré, proche d’être rendue impuissante par rapport aux ambitions politiques.
Le tableau qui surgit est contrasté. Tantôt, l’attaque paraît évidente, tantôt c’est tout juste si on y pense encore. Même les néo-conservateurs sont parfois à court de souffle. Partout à Washington règne une atmosphère, un conformisme de fer qui emprisonne la pensée américaniste avec sa psychologie malade dans ce caractère d’inéluctabilité de l’attaque. Il s’agit d’une scène complètement virtualiste, qui décrit beaucoup plus une impuissance complète avec les tourments psychologiques qui l’accompagnent, les erreurs d’évaluation qui la ponctuent, les fausses appréciations qui s’en déduisent. La conclusion peut être empruntée à Charlie Reese le 23 septembre sur Antiwar.com : «As crazy as it sounds, President George Bush might be planning to bomb Iran's nuclear facilities.»
“Crazy” (traduction facile) est le mot qui convient. Ce n’est pas la première ni dernière analyse sur “l’inéluctabilité d’une attaque qui est pourtant impossible” que nous offrons à nos lecteurs. Parfois, cela paraît être une répétition sans but et sans fin. D’une certaine façon, c’est le cas : une sorte de balbutiement convulsif qui n’est pas loin du déséquilibre mental.
Il y a un prix à payer dans la réalité. Il sera de plus en plus fort. On en voit une indication dans notre ‘Bloc-Notes’ d’hier. La situation irrationnelle de Washington, entre nécessité d’agir et impossibilité d’agir, entre affirmation belliqueuse et impuissance des moyens, produit l’effet de l’affaiblissement constant de la perception qu’on a de la puissance américaniste. Cela n’est pas une nouvelle qui se proclame au jour le jour, sauf dans l’une ou l’autre occasion ; c’est une tendance de fond, puissante et irrésistible, qui s’impose dans les esprits par le biais de la perception de la psychologie.
Il ne faut pas se bercer d’espoirs fallacieux. C’est un paradoxe incroyable mais bien réel, parce que l’Iran est effectivement un cas plus “sérieux” (du point de vue de la puissance) que le montage pitoyable fait autour de la puissance irakienne en 2002-2003 : l’accord est bien plus général à Washington sur la nécessité d’éliminer la puissance iranienne qu’il n’était dans le cas de l’Irak. En quelque sorte, la folle tromperie du cas en faveur de l'attaque de l'Irak impose de prendre bien plus au sérieux encore le cas iranien, — sorte d'enchaînement général du virtualisme au second degré, comme on a déjà vu dans le cas spécifique de la CIA...
L’analyse faite ici dépasse complètement le cas GW Bush, qui paraît en l’occurrence plus un bouchon sur une mer déchaînée qu’un pseudo-chef de guerre décidé à en découdre. La description que nous faisons de Washington dépasse l’administration Bush et ses manigances et la situation qu’elle restitue est destinée à durer et durer, au-delà de 2008 s’il le faut. C’est la description de la décadence finale de la puissance américaniste.
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