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309423 septembre 2024 (17H20) – On commence par des compliments et échanges de bonnes manières. Hier soir, dans son style si caractéristique d’un impeccable anglais, parfois un peu pompeux, Alexander Mercouris tenait absolument à commencer son programme par une note toute personnelle. Je vous la livre intégralement :
« Avant de commencer et avant d'aborder les sujets de ce programme, permettez-moi tout d'abord d'exprimer mes plus sincères remerciements pour les mots extraordinaires et très bienveillants que Robert Kennedy Jr a dit à propos de Duran et d'ailleurs de moi-même dans un programme qu'il a fait avec l’excellent Jim Web l'autre jour. J'ai été vraiment extraordinairement ému par la gentillesse et la générosité des mots utilisés pour décrire le travail que nous faisons et mon travail. Ma femme, qui suit de près la campagne de Robert Kennedy et est une de ses grande admiratrice bien qu'ils ne soient pas d'accord sur tous les sujets, – je dis cela sans autre intention que la précision du propos, – ma femme a été absolument submergée de joie et de gratitude quand elle a entendu ses mots très bienveillants à mon sujet et aussi bien les mots très bienveillants de Jim Web. Laissez-moi vous dire pour ce début de programme qu'ils ont été énormément appréciés et que j’en suis très reconnaissant. »
Avec Mercouris, l’on peut être sûr de la réalité de ce qu’il rapporte, et que toutes les précautions nécessaires ont été prises ; je veux dire qu’il n’aurait jamais pris de lui-même la décision de citer RFK comme il le fait ici, et donc l’on peut être sûr que RFK a insisté pour lui faire savoir ses propos et qu’ainsi lui donnant l’autorisation tacite, sinon impérative, de les citer. Par conséquent, nous nous trouvons devant une occurrence d’importance : un homme politique d’une dimension conjoncturelle essentielle à l’heure des présidentielles, avec une réputation d’une grande famille politique, complimentant avec tant d’éclats un commentateur indépendant, sans liens avec les forces puissantes, – influence, argent, etc., – du monde médiatique de la presseSystème. De plus, complimenter Mercouris c’est complimenter un commentateur des plus “sérieux” lui aussi, attaché aux grandes affaires très “sérieuses” du monde.
Pourquoi s’arrêter à ce qui paraîtrait être un épisode qui devrait être très courant lorsqu’on admet l’extrême talent de Mercouris dans le domaine de l’analyse et du commentaire ? Justement, parce qu’il n’est pas courant. Quoi qu’il en soit de la réalité indubitable de son extrême talent, Mercouris appartient à un monde mis à l’index par la mécanique du Système, censureuse et faussaire, accusatrice encore plus que simplement soupçonneuse, qui assure la chasse aux sorcières du Système. Jusqu’ici on a vu des journalistes de la presseSystème passer avec succès à la presse indépendante (Chis Hedges, Tucker Carlson), ou bien des indépendants connaître une certaine notoriété dans des domaines moins austères que l’analyse commentée et volontairement stricte des affaires internationales très-“sérieuses”. Mercouris est l’un des premiers, et l’un des meilleurs, à s’imposer sans venir d’une base institutionnelle qu’il quitterait volontairement justement par souci d’indépendance.
Jusqu’ici, cette sorte d’appréciation élogieuse de RFK était réservée à des grands noms de la presseSystème, et associée à la publication où ils travaillaient. C’est ici que je veux en venir précisément, pour constater avec quel fracas cette pratique s’est dissipée, en même temps que l’aura qualitative de l’objectivité de la presseSystème s’est littéralement désintégrée, – en un seul nom tout est dit, il suffit de citer le New York ‘Times’ (NYT) dont il est justement question ici. L’article que cette courte réflexion introduit est en effet un extrait d’un livre récemment publié, “Against the Corporate Media – Forty-two Ways the Press Hates You”, qui comprend 42 contributions d’auteurs concernant l’évolution catastrophique de la presseSystème. L’un des contributeurs, J. Peder Zane, a publié sa contribution qui concerne l’évolution fulgurante du NYT : “The Sins of the Grey Lady”, du vénérable surnom donné depuis plus d’un siècle au NYT : “La vieille dame grise” (“The Old Grey Lady”).
Le parcours en dix ans et quelques de la vieille dame est stupéfiant. Il raconte comment l’universel journal de référence est devenu un brûlot complètement acquis à la cause du wokenisme ultra-gauchisme, allant de l’antiracisme systématiquement exprimé sous la forme originale du racisme antiblanc à toutes les sortes possibles des nuances chatoyantes de l’arc-en-ciel des LGTBQ. Parallèlement, l’alignement du NYT sur les thèses neocon de la politiqueSystème, déjà évident depuis la guerre du Kosovo, est total, allant volontairement jusqu’aux campagnes les plus mensongères du Russiagate, à propos desquelles le NYT n’a jamais rien imprimé de rectification ni d’excuses concernant tous les mensonges démontés et dépentis officiellement dont sont criblées ses campagnes. Le “journal de référence” est devenu une feuille furieusement de la néo-extrême-gauche, mariant l’extrémisme sociétal sous toutes ses formes et le bellicisme d’un impérialisme démocratique sans la moindre retenue.
Cela fait un trou béant qui s’est ouvert dans le système de la communication, que n’arrivent pas à combler les innombrables organismes auto-proclamés “vérificateur anti-FakeNewsisme”. C’est ici que s’insinue cette évolution qui voit des indépendants qui ne passèrent pas par l’adoubement d’un de ces grands titres en plein naufrage devenir des références pour les rares dirigeants “sérieux” survivants dans l’océan de notre bêtisier globalisé. L’énorme succès désormais établi et confirmé d’un Tucker Carlson qui préfère développer sa propre entreprise de presse plutôt qu’utiliser sa notoriété pour d’autres aventures est également un de ces signes du nécessaire changement qui s’impose.
Le texte ci-dessous est le fuit d’une documentation extrêmement riche sur l’évolution du New York Times. Le plus étonnant est que cette évolution est devenue révolution de l‘intérieur même, sans que personne n’y prenne vraiment garde, fruit d’un travail de termites idéologisées accompli avec une rigueur implacable.
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Les lecteurs du New York Times savent que les informations peuvent changer, mais le message reste toujours le même dans leur journal de référence. Il met en avant toutes les querelles républicaines et minimise les scandales démocrates tout en présentant le choix entre les deux partis comme une lutte manichéenne entre le bien et le mal. Désormais vêtue des couleurs de l’arc-en-ciel, la Old Grey Lady va, au nom de l’inclusion, célébrer un large éventail de comportements jusqu’ici marginaux – l’homosexualité, la polygamie et le transgendérisme – tout en semant la division des Américains en deux camps ennemis basés sur la race, le sexe et l’ethnicité.
La transformation du Times, et d’une grande partie du journalisme américain, au cours de la dernière décennie, d’un journal traditionnel qui rapporte principalement l’actualité en un journal quotidien de la révolution « woke » qui cherche à saper les piliers traditionnels de la société américaine est désormais si complète qu’elle peut sembler banale. Ses défenseurs comme ses critiques savent exactement à quoi s’attendre lorsqu’ils ouvrent ses pages. Une telle acceptation, ou résignation, est dangereuse car elle normalise le grand péché du New York Times : la trahison des principes journalistiques jusqu’ici fondamentaux d’équité, d’objectivité et de pluralisme qui ont fait du Quatrième pouvoir un pilier de la démocratie américaine au cours du XXe siècle.
La réinvention radicale du journal en un outil axé sur les résultats au service du changement social de gauche s’est produite rapidement – le Times de 2010 ne ressemble guère au journal publié aujourd’hui. Mais suffisamment de temps s’est écoulé pour que nous puissions identifier à la fois les incidents clés et les forces politiques, culturelles et économiques dynamiques qui ont transformé le journal le plus influent des États-Unis, et donc la nation elle-même.
Cette histoire a commencé à prendre de l’ampleur le 7 août 2016 – le jour où le journalisme américain a franchi le Rubicon. C’est à ce moment-là que le New York Times a publié un article en première page affirmant que Donald Trump était un candidat tellement « anormal » que les « normes normales » de couverture de son sujet étaient désormais « intenables ». À partir de maintenant, le journal a clairement indiqué que les colonnes d’information du Times prendraient parti. « Si vous considérez la présidence de Trump comme quelque chose de potentiellement dangereux », a écrit Jim Rutenberg, « alors vos reportages vont refléter cela. Vous vous rapprocherez plus que jamais de l’opposition. »
L’article n’explique jamais pourquoi les normes normales d’objectivité sont insuffisantes. Si Trump était vraiment un danger pour la République, un compte rendu honnête de son comportement ne suffirait-il pas à le démasquer ? Comme il est devenu évident dans les années qui ont suivi, le véritable danger pour la nation viendrait de la licence que l’article de Rutenberg a donné aux journalistes du Times et aux nombreux médias qui ont suivi son exemple pour trahir les principes fondamentaux du journalisme moderne, non seulement en couvrant Trump, mais sur un large éventail de questions. « Toutes les nouvelles qui méritent d’être imprimées » a été redéfini comme toutes les nouvelles qui font avancer le discours de la gauche sur la race et la criminalité, le changement climatique et le genre, le capitalisme et même l’histoire des États-Unis.
L’ampleur de cet effort a été suggérée par le chercheur Zach Goldberg, dont les recherches par mots-clés dans les archives du Times ont révélé l’adoption politiquement correcte par le journal de termes brûlants associés au mouvement Black Lives Matter. En 2010, Goldberg a constaté que moins de deux cents articles par an mentionnaient le mot « justice sociale » ; en 2018, le total enregistré avait plus que quadruplé. Il a constaté une augmentation similaire des articles mentionnant « diversité et inclusion », « blancheur », « privilège blanc », « suprématie blanche », « racisme systémique », « discrimination », « théorie critique de la race », « préjugés inconscients » et « préjugés implicites ». En 2010, Goldberg a trouvé quelque quatre cents articles du Times qui incluaient le mot racisme ; en 2018, le total avait été multiplié par six.
Le Times n’a pas seulement radicalement changé ce qu’il couvrait, mais aussi la façon dont il le couvrait. Les opinions sur la race et d’autres questions qui étaient en conflit avec le discours progressiste a été de plus en plus perçues à travers le prisme trumpien comme « anormales » et « potentiellement dangereuses ». Comme l’a suggéré Rutenberg, l’engagement traditionnel du journalisme en faveur de « l’objectivité » a été réduit à néant devant l’argument selon lequel la diffusion respectueuse d’un éventail de points de vue sur des questions importantes était la proie du péché de « bilatéralisme », de « whataboutisme » ou d’« équivalence morale » – c’est-à-dire donner à ceux considérés comme des menteurs (les conservateurs) le même espace que ceux qui disent la vérité (les progressistes).
Faisant écho à un langage autrefois limité à la discussion de l’Holocauste, le Times qualifie de « négateurs du changement climatique » et de « négateurs des élections » quiconque remet en question l’orthodoxie du réchauffement climatique ou les résultats de l’élection présidentielle de 2020. Ceux qui remettent en question la sagesse de permettre à de jeunes enfants se déclarant atteints de dysphorie de genre de recevoir un « traitement médical » irréversible ou qui affirment que l’Amérique a, en fait, supprimé les obstacles raciaux à l’avancement, sont considérés comme des bigots.
Oui, le Times a toujours eu un parti pris libéral, et son histoire est remplie d’exemples flagrants de couverture déformée. Comme Ashley Rindsberg l'a documenté dans son livre de 2021, ‘The Gray Lady Winked: How the New York Times’s Misreporting, Distortions and Fabrications Radicalement Alter History’, il s’agit notamment de la minimisation des crimes de Staline dans les années 1930, de l’ignorance générale de l’Holocauste pendant la Seconde Guerre mondiale, de la romantisation de Fidel Castro dans les années 1950 et de la diffusion d’une longue histoire de couverture anti-israélienne.
Mais son virage récent est différent grâce à son ambition et à sa portée agressives. Plutôt que de servir d’intermédiaire honnête dont la mission est de fournir aux lecteurs les informations nécessaires pour prendre des décisions sur des questions importantes, il met constamment son pouce sur la balance, tant en termes d’histoires couvertes que de celles ignorées. En remplaçant le scepticisme par l’idéologie, le New York Times ne cherche pas à informer, mais à persuader. Son objectif n’est pas de refléter la société mais de la transformer, et les opinions contraires sont interdites, au-delà des limites du discours acceptable.
Parce que le Times est, de loin, le média d’information le plus influent des États-Unis, son adhésion à l’idéologie progressiste a eu un effet de cascade, transformant la couverture et la sensibilité de milliers de journaux et de sites Web, de stations de télévision et de radio, de sociétés de divertissement et d’entreprises qui suivent son exemple. Il a délibérément légitimé et intégré les opinions d’extrême gauche.
Comme l’a démontré Goldberg, l’engagement du Times envers la révolution culturelle en cours est profondément ancré dans la sensibilité et les hypothèses de presque tous les articles qu’il publie. Il s’agit notamment de célébrations sans nuance du polyamour et des drag queens et de la généralisation de la confusion des genres chez les enfants dans sa section spéciale « New York Times for Kids ». Mais deux échecs particulièrement significatifs – le Projet 1619 et la couverture par le journal de la théorie du complot Trump/Russie – illustrent le chemin extrême et dangereux que le journal de référence suit désormais.
En août 2019, le journal a consacré un numéro entier du New York Times Magazine au projet 1619. Son « objectif » déclaré était de « repenser l’histoire américaine en réfléchissant à ce que cela signifierait de considérer 1619 [l’année où les Africains subsahariens réduits en esclavage ont débarqué pour la première fois en Amérique du Nord] comme la “véritable” année de naissance de notre nation. Pour ce faire », a écrit le rédacteur en chef du magazine Jake Silverstein dans une introduction, « nous devons placer les conséquences de l’esclavage et les contributions des Noirs américains au centre même de l’histoire que nous nous racontons sur ce que nous sommes en tant que pays. » À travers dix-huit articles et quinze contributions artistiques couvrant toute la durée de l’histoire américaine, le projet a abandonné la mission traditionnelle du journalisme qui consiste à présenter la complexité des problèmes importants afin de faire valoir que le passé, le présent et l’avenir de la nation ont été et seront toujours définis par le racisme anti-noir. Il n’y a eu aucune opinion dissidente et peu de faits contradictoires. L’ambition du Projet 1619 souligne la transformation du Times en un outil de la révolution culturelle dont le but est de bouleverser les conceptions et les croyances traditionnelles sur presque tous les aspects de la vie américaine. L’orgueil est stupéfiant. Alors que les journaux ont souvent revisité des épisodes du passé en réponse aux informations nouvelles découvertes par des chercheurs, le Projet 1619 a commencé avec une position idéologique sur l’ampleur de l’histoire américaine qu’il a ensuite entrepris de démontrer à travers des articles tendancieux. L’essai principal n’a pas été écrit par un chercheur, mais par une journaliste noire activiste, Nikole Hannah-Jones.
La réaction a été immédiate, car de nombreux historiens de premier plan ont écrit de longues critiques de presque chaque article. Cela comprenait une lettre au Times signée par cinq éminents chercheurs – dont James M. McPherson et Sean Wilentz de l’Université de Princeton et Gordon Wood de l’Université Brown – qui contestait deux des affirmations les plus radicales de Hannah-Jones concernant la guerre d’indépendance et Abraham Lincoln.
« Sur la Révolution américaine, élément central de tout récit de notre histoire, le projet affirme que les fondateurs ont déclaré l’indépendance des colonies de la Grande-Bretagne “afin de garantir la pérennité de l’esclavage”. Ce n’est pas vrai. […] Le projet critique les vues d’Abraham Lincoln sur l’égalité raciale mais ignore sa conviction que la Déclaration d’indépendance proclamait l’égalité universelle, pour les Noirs comme pour les Blancs, une opinion qu’il a défendue à plusieurs reprises contre les puissants suprémacistes blancs qui s’opposaient à lui. »
Les historiens ont écrit que « ces erreurs, qui concernent des événements majeurs, ne peuvent pas être qualifiées d’interprétation ou de « cadrage ». Ce sont des faits vérifiables, qui sont le fondement à la fois d’une recherche et d’un journalisme honnêtes. Elles suggèrent un remplacement de la compréhension historique par l’idéologie. »
Au lieu de s’adresser à ces éminents chercheurs, Hannah-Jones les a rejetés en les qualifiant d’« historiens blancs ». Quelques mois plus tard, leur interprétation de l’esprit idéologique du projet a été soulignée par Leslie M. Harris, une historienne afro-américaine de l’université Northwestern qui a aidé à vérifier les faits de l’essai d’Hannah-Jones. Elle a écrit dans ‘Politico’ qu’elle était stupéfaite par l’affirmation d’Hannah-Jones selon laquelle « les patriotes ont combattu la Révolution américaine en grande partie pour préserver l’esclavage en Amérique du Nord », car « j’avais vigoureusement argumenté contre [ce point] auprès de son vérificateur des faits ».
En réponse à une lettre des cinq historiens, Silverstein a admis que « nous pouvons difficilement prétendre avoir étudié la période révolutionnaire aussi longtemps que certains des signataires, et nous ne prétendons pas non plus leur dire quoi que ce soit qu’ils ne sachent déjà. […] nous ne sommes pas d’accord avec leur affirmation selon laquelle notre projet contient d’importantes erreurs factuelles et est motivé par l’idéologie plutôt que par la compréhension historique ».
Au lieu de s’attaquer directement à leur érudition fondée sur des décennies d’expérience professionnelle et de recherche, Silverstein a avancé la vision postmoderne selon laquelle il n’y a pas de vérité. « Comme le savent bien les auteurs de ces cinq lettres, il y a souvent des débats, même parmi les experts du domaine, sur la façon de voir le passé. La compréhension historique n’est pas figée ; elle est constamment ajustée par de nouvelles recherches et de nouvelles voix. »
La recherche et le journalisme ne sont cependant pas censés être des chambres d’écho pour une quelconque opinion actuelle, ce sont des disciplines professionnelles car elles utilisent de multiples processus de vérification. Elles comparent les interprétations et les opinions à l’ensemble des faits connus – qui peuvent changer – pour déterminer la version la plus précise de la réalité. Silverstein a rejeté cette norme parce que lui et son équipe ne voulaient pas rechercher la vérité, ils voulaient faire valoir un argument. « Le principe même du Projet 1619, en fait, est que de nombreuses inégalités qui continuent d’affliger la nation sont le résultat direct de la blessure non cicatrisée créée par 250 ans d’esclavage et un siècle supplémentaire de citoyenneté de seconde classe et de terrorisme suprémaciste blanc infligé aux Noirs. » Cela explique pourquoi le Times a ignoré la plupart des éminents chercheurs de l’époque lors de la préparation de sa refonte radicale de l’histoire américaine. Dans des interviews après la publication, Hannah-Jones a été encore plus explicite dans la structure axée sur les résultats du Projet 1619 lorsqu’elle a déclaré que son objectif « est qu’un projet de loi sur les réparations soit adopté » pour indemniser les Afro-Américains pour les mauvais traitements passés. Autre signe du pouvoir du Times, l’appel à des réparations pour les Afro-Américains, longtemps un mouvement marginal, est devenu un sujet de préoccupation majeur à la suite de la publication, car de nombreuses communautés et États ont ouvertement envisagé l’idée, y compris la Californie, qui a réuni une commission qui a demandé plus de 800 milliards de dollars de paiements.
L’influence et le pouvoir du Times ont également été évidents lorsque Hannah-Jones a reçu un prix Pulitzer pour son essai principal malgré ses profondes erreurs.
Le Times a partagé un autre prix Pulitzer, avec le Washington Post, en 2018 pour sa couverture de la théorie du complot Trump/Russie. Bien que les rapports de deux procureurs spéciaux, Robert S. Mueller et John Durham, aient rejeté l’accusation selon laquelle Donald Trump aurait conspiré avec Vladimir Poutine pour voler l’élection de 2016, les deux journaux ont remporté le premier prix du journalisme pour ce que le jury du Pulitzer a décrit comme leur « couverture minutieusement sourcée et implacablement rapportée dans l’intérêt public, qui a considérablement amélioré la compréhension de la nation de l’ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016 et de ses liens avec la campagne de Trump, l’équipe de transition du président élu et son administration finale ».
Comme pour le Projet 1619, la couverture du Times sur le Russiagate était si unilatérale, si motivée par l’objectif de monter le dossier contre Trump, que la nouvelle selon laquelle Mueller avait blanchi Trump des principales accusations portées contre lui a été un choc pour de nombreux lecteurs du Times. Pourtant, sa corruption est facile à voir dans le refus de du journal remédier aux manquements et de corriger les erreurs évidentes.
D’une part, le journal s’appuyait souvent sur des sources anonymes pour ses affirmations. Le 14 février 2017, le Times a publié l'un des articles fondateurs de la théorie du complot, dans lequel il rapportait que « les relevés téléphoniques et les appels interceptés montrent que des membres de la campagne présidentielle de Donald J. Trump en 2016 et d'autres associés de Trump ont eu des contacts répétés avec de hauts responsables du renseignement russe au cours de l'année précédant l'élection, selon quatre responsables américains actuels et anciens ». Quatre mois plus tard, le directeur du FBI de l'époque, James B. Comey, a déclaré au Congrès que « dans l'ensemble », le rapport du Times « n'était pas vrai ». Des documents déclassifiés en 2020 montrent que Peter Strzok, le principal agent de contre-espionnage du FBI qui a ouvert l'enquête Trump-Russie, a qualifié l'article à l'époque de « trompeur et inexact ».
De même, le 30 décembre 2017, le Times a publié un autre article basé sur des sources anonymes qui prétendaient décrire l’événement qui a conduit le FBI à ouvrir l’enquête dirigée par Strzok. Il commençait ainsi :
« Au cours d’une nuit de beuverie dans un bar chic de Londres en mai 2016, George Papadopoulos, un jeune conseiller en politique étrangère de la campagne Trump, a fait une révélation surprenante au chef de la diplomatie australienne en Grande-Bretagne : la Russie avait des informations politiques embarrassantes sur Hillary Clinton. Environ trois semaines plus tôt, M. Papadopoulos avait été informé que Moscou avait des milliers de courriels qui embarrasseraient Mme Clinton, apparemment volés dans le but de nuire à sa campagne. »
Le diplomate australien, Alexander Downer, a directement contredit ces détails dans des interviews ultérieures. Il a déclaré que Papadopoulos et lui avaient chacun bu un verre en début de soirée au bar de Londres, au cours duquel Papadopoulos n’a jamais mentionné de « saletés » ou de « milliers de courriels », mais simplement que « les Russes pourraient utiliser des informations qu’ils ont sur Hillary Clinton dans la période précédant l’élection, ce qui pourrait être préjudiciable ». La communication électronique utilisée par le FBI pour ouvrir officiellement l’enquête le 31 juillet 2016 était encore moins précise. Elle indiquait que Papadopoulos avait « suggéré que l’équipe Trump avait reçu une sorte de suggestion de la part de la Russie selon laquelle elle pourrait aider à la publication anonyme d’informations pendant la campagne qui seraient préjudiciables à Mme Clinton (et au président Obama). On ne sait pas si lui ou les Russes faisaient référence à des informations obtenues publiquement ou par d’autres moyens ». Pour être juste envers le New York Times, le canular du Russiagate a été fomenté par des responsables actuels et anciens des plus hautes sphères du gouvernement – y compris la CIA et le FBI – qui ont presque certainement servi de sources anonymes aux journaux. Comme les journalistes dépendent des autres pour obtenir des informations, ils peuvent être dupés. Mais, une fois que la manipulation est évidente, toutes les promesses de confidentialité sont rompues et les journalistes ne sont pas tenus de protéger les sources qui les ont intentionnellement utilisés et induits en erreur. En fait, ils ont le devoir public d’identifier la source pour de nombreuses raisons. La première est de rendre leur première ébauche de l’histoire aussi précise que possible. Dans le cas du canular du Russiagate, cela signifiait identifier les auteurs de la fraude. Que cherchaient-ils à obtenir ? Quelles faiblesses des systèmes actuels ont-ils exploitées ? Il y a aussi des préoccupations journalistiques : pour rester fidèles à leur public, les organes de presse doivent expliquer pourquoi ils ont transmis de fausses informations. Ils ont également un intérêt professionnel à démasquer les menteurs pour dissuader d’autres sources de les induire en erreur. Non seulement le Times n’a jamais révélé ses sources trompeuses, mais des années plus tard, le journal n’a toujours pas corrigé ces erreurs et d’autres qu’il a identifiées dans ses reportages.
Ce refus délibéré de rétablir les faits est une illustration frappante de la transformation idéologique du journal. Le Times, bien sûr, publie chaque jour une colonne de rectifications. Au cours de sa longue histoire, il a également, à plusieurs reprises, réexaminé et reconnu des lacunes dans son propre travail, notamment une réévaluation très publique de ses reportages sur la question de savoir si un scientifique atomique taïwanais-américain du nom de Wen Ho Lee avait espionné pour les communistes chinois ; et, dans un article de sept mille mots en première page sur la façon dont un journaliste en difficulté de la discrimination positive du nom de Jayson Blair avait produit un certain nombre d’articles fabriqués et plagiés. Cela a conduit à sa démission forcée en mai 2003.
Le Times n’a cependant pas mené une telle introspection au sujet du Russiagate – même après que l’un de ses anciens journalistes vedettes, Jeff Gerth, ait écrit un article de vingt-quatre mille mots dans la Columbia Journalism Review qui reprochait au journal et à d’autres médias leur couverture de l’affaire Trump-Russie, qui « comportait de graves défauts ». Il semble que l’histoire était trop importante pour être corrigée. Néanmoins, les problèmes liés à la couverture du Russiagate étaient si évidents que le comité Pulitzer a pris la mesure très inhabituelle de commander ce qu’il a appelé deux « examens indépendants » des articles primés soumis par le Times et le Washington Post. Cependant, dans un autre signe de la façon dont la corruption du Times est devenue une procédure opérationnelle standard aux plus hauts niveaux du journalisme américain, le comité a refusé de publier les rapports ou d’identifier leurs auteurs. Au lieu de cela, il s’est contenté de publier une brève déclaration affirmant qu’« aucun passage ou titre, aucune affirmation ou affirmation dans aucun des articles primés n’a été discrédité par des faits apparus après l’attribution des prix ».
La dissimulation du Times par le jury Pulitzer montre pourquoi les péchés du journal sont particulièrement graves et lourds de conséquences. En tant que joueur de flûte du journalisme, le Times joue la musique – établit le récit, normalise les pratiques – que d’autres suivent. Si le Times n’avait tout simplement pas rejeté les « normes normales » du journalisme – s’il avait accepté que son rôle principal est d’informer et non de persuader – notre débat national serait bien moins enflammé. Au lieu de cela, les Américains sont manipulés au plus haut niveau, car le Times adopte l’approche Rutenberg tout en invoquant les valeurs traditionnelles qu’il viole à chaque instant. Car même si le Times déforme l’actualité, son autorité dépend toujours de son image de courtier honnête en informations – ce qui est une autre raison pour laquelle il est si réticent à admettre de graves erreurs. Comme il trahit cette confiance, il doit redoubler d’efforts pour se vanter d’être digne de confiance. Dans son discours sur l’état du Times de 2023, le président et éditeur du journal, A.G. Sulzberger, a déclaré :
« L’écosystème de l’information a été envahi par la désinformation, la propagande, les experts et les pièges à clics, ce qui rend plus difficile que jamais de distinguer les faits de la fiction. Et dans cette époque de plus en plus polarisée, de moins en moins d’institutions s’engagent dans le difficile travail de recherche de la vérité avec un esprit ouvert et un engagement de premier ordre envers l’indépendance, l’équité et l’exactitude. »
Sulzberger a cependant diagnostiqué la maladie sans aucune suggestion sur la manière dont le Times la propage. Au lieu de répondre aux critiques légitimes de sa couverture, le journal continue de les rejeter comme des points de discussion de droite. Cela dit, il serait erroné de blâmer le Times pour tous ces maux. Malgré son énorme influence en tant que leader d’opinion, il est également un suiveur fragile, essayant de rester rentable à une époque où le secteur de l’information continue de subir des pertes financières importantes pendant une période de changement social et technologique.
Le Times n’a pas inventé les critiques post-modernes de l’objectivité. Il n’a pas créé les plateformes de médias sociaux qui ont donné du pouvoir aux militants radicaux. Il n’a pas corrompu le système éducatif américain – de la maternelle à la terminale jusqu’à la plupart des collèges et universités – qui sont devenus des usines d’endoctrinement de gauche. Il n’a pas déclenché le « Grand Réveil », cette culture de l’identité et de la politique tribale, de la rancune et de la culpabilité, qui définit de plus en plus la vision du monde de ses lecteurs. Il a, au contraire, capitulé et facilité l’intégration de ces forces dangereuses et malhonnêtes.
Cela tient en partie à une décision commerciale. Le Times s’est transformé en une opération numérique et dépend désormais beaucoup plus des revenus des abonnés partisans que des annonceurs qui ont longtemps rechigné à la controverse. Ces lecteurs exigent de plus en plus que le journal présente des informations qui confirment leurs opinions. L’ancienne rédactrice en chef de la rubrique Opinion, Bari Weiss, a décrit comment le Times a changé dans sa lettre de démission de 2020 à Sulzberger :
« Twitter est devenu son rédacteur en chef ultime [du journal]. « À mesure que l’éthique et les mœurs de cette plateforme sont devenues celles du journal, le journal lui-même est devenu de plus en plus une sorte d’espace de performance. Les histoires sont choisies et racontées de manière à satisfaire le public le plus restreint, plutôt que de permettre à un public curieux de lire sur le monde et de tirer ensuite ses propres conclusions. On m’a toujours appris que les journalistes étaient chargés d’écrire la première ébauche de l’histoire. Aujourd’hui, l’histoire elle-même est une chose éphémère de plus, modelée pour répondre aux besoins d’un récit prédéterminé. »
Weiss a noté que le personnel du journal – qui, comme les lecteurs du journal, considère de plus en plus le journal comme un instrument de changement social – a également fait pression sur le journal pour qu’il abandonne les valeurs traditionnelles. Le 3 juin 2020, par exemple, le journal a demandé au sénateur républicain Tom Cotton de l’Arkansas d’écrire un article en réponse aux émeutes qui se propageaient alors à travers le pays après la mort d’un homme noir, George Floyd, aux mains d’un policier blanc à Minneapolis. Cotton a estimé que « ces émeutiers, s’ils ne sont pas maîtrisés, non seulement détruiront les moyens de subsistance des citoyens respectueux de la loi, mais prendront également davantage de vies innocentes. … Une chose par-dessus tout rétablira l’ordre dans nos rues : une démonstration de force écrasante pour disperser, arrêter et finalement dissuader les contrevenants. »
La réaction au sein de la salle de rédaction a été immédiate. Des dizaines de journalistes du Times ont tweeté une capture d’écran de l’article de Cotton avec le commentaire suivant : « La publication de cet article met en danger le personnel noir du @NYTimes. »
L’affirmation selon laquelle les mots avec lesquels on n’est pas d’accord sont une forme de violence est à la fois une atteinte au Premier Amendement et un outil de censure courant pour la gauche. Le 4 juin, Sulzberger s’est senti obligé de défendre l’article de Cotton dans une note de service. « Je crois au principe d’ouverture à une gamme d’opinions, même celles avec lesquelles nous pouvons être en désaccord, et cet article a été publié dans cet esprit », a-t-il écrit. « Mais il est essentiel que nous écoutions et que nous réfléchissions aux préoccupations que nous entendons, comme nous le ferions avec tout article faisant l’objet de critiques importantes. »
Cela n’a pas réussi à apaiser la foule ; le rédacteur en chef de la page éditoriale James Bennet, dont le département avait commandé l’article, a présenté des excuses abjectes lors d’une réunion du personnel le 5 juin. « Je veux juste commencer par dire que je suis vraiment désolé, je suis désolé pour la douleur que cet article particulier a causée », a-t-il déclaré, ajoutant : « Je pense que c’est le moment pour moi et pour nous de remettre en question tout ce que nous faisons dans Opinion. » Bien que Cotton ait décrit un processus rigoureux de va-et-vient qui comprenait au moins trois versions de l’éditorial et une édition ligne par ligne, le Times a affirmé qu’un examen interne « a clairement montré qu’un processus éditorial précipité a conduit à la publication d’un éditorial qui ne répondait pas à nos normes ».
Le 7 juin, Bennet, qui avait été considéré comme un candidat sérieux pour devenir rédacteur en chef du journal, a été contraint de démissionner. Revenant sur cette expérience dans une interview accordée en 2022 au site de médias en ligne Semafor, Bennet a déclaré :
« Mon regret est la note de l’éditeur. Mon erreur a été d’essayer d’apaiser les gens », a-t-il déclaré. Le Times et son éditeur, a déclaré Bennet, « veulent avoir le beurre et l’argent du beurre ». Sulzberger est « de la vieille école » dans sa croyance en une publication neutre et hétérodoxe. Mais « ils veulent avoir les applaudissements et l’accueil de la gauche, et maintenant il y a le problème en plus de cela qu’ils ont reçu tellement de nouveaux abonnés au cours des dernières années et que l’attente de ces abonnés est que le Times soit du ‘Mother Jones’ sous stéroïdes ».
Le Times refuse résolument de s’attaquer aux critiques d’anciens initiés tels que Bennet et Weiss, qui ont souligné que son engagement déclaré envers les normes traditionnelles est en contradiction avec le journalisme quotidien qu’il produit. Lewis Menand a fait écho à ces préoccupations dans un essai de 2023 dans le New Yorker, « When Americans Lost Faith in the News » :
« Ce que les gens veulent, c’est un plaidoyer. … En fin de compte, nous ne nous soucions pas des faits, car il y a toujours plus de faits. On ne peut pas déformer les faits ; On ne peut que leur donner une autre tournure. Ce que nous voulons, c’est voir notre ennemi – Steve Bannon, Hunter Biden, qui que ce soit – en combinaison orange. Nous voulons des gagnants et des perdants. C’est pourquoi une grande partie de notre politique se déroule désormais dans une salle d’audience. »
Au cours de la dernière décennie, le Times s’est transformé en une publication très différente. Ce n’est pas un intermédiaire honnête, mais un organe de défense. Pour ses détracteurs, c’est une tragédie pour le journalisme et la nation. Mais, en tant qu’entreprise indépendante, c’est aussi son droit. Peut-être le Times pourrait-il défendre ces changements. Son refus de le faire, de rendre compte du monde tel qu’il est, et non tel qu’il voudrait qu’il soit, rend un très mauvais service au journalisme et à la nation.
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