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323310 novembre 2020 – Ici, à ce point, je marque un temps d’arrêt par rapport aux événement extrêmement rapides des Temps-Courants (Très-Vite). Il s’agit d’un texte qui me renvoie à mes souvenirs mais dont on verra qu’il n’est pas sans intérêt pour ces mêmes Temps Courants.
Ce qui m’attache et me fascine, ce sont les engagements des uns et des autres, au travers de l’imbroglio du simulacre qui est devenu la nature même du monde. Il faut savoir naviguer, comme au milieu d’une mer déchaînée sur les brisants du Cao Horn, ce lieu mythique des mers perdues qui terrorise tous les marins du monde. Nous sommes effectivement au cœur d’une séquence mythique de l’histoire du monde, une sorte de Cap Horn de l’histoire de notre pseudo-civilisation, qui pourrait s’écarteler comme sur un iceberg, et se volatiliser en une ferraille à deux balles comme celle du Titanic après un siècle et 20 000 lieues sous les mers. Il y a à la fois la médiocre impuissance humaine, les arnaques et les ambitions des faiseurs, des Biden et des Macron, de leurs discours, de leurs sourires, de leurs masques ; et puis, il y a les âmes poétiques, celles qui vibrent en regardant une cathédrale ou une sculpture de Rodin.
Le texte auquel je me réfère, du 1er novembre 2020 dans TomDispatch.com (et le 3 novembre, dans une version plus courte, sur CounterPunch), me renvoie assez curieusement aux événements de deux périodes, – ceux des années1960-1970, et des proximités ou des amitiés littéraires et initiatiques, – ceux des années 1999-2008 et des proximités ou des amitiés politiques et initiatiques. Il y a au départ de cette courte réflexion, un auteur américain, bloggeur de grand talent sur son site TomDispatch, Tom Engelhardt, qui doit avoir mon âge à peu près ; et les multiples croisements, engagements, solidarités variables selon les tournants inattendus d’une époque qui est entièrement, totalement, eschatologiquement faite de simulacres.
Ce sont des remarques qui ne sont pas mélancoliques mais qui ont un certain apprêt de la nostalgie, – dont on sait que, chez moi, le mot est chargé d’espérances d’au-delà de l’horizon et d’au-dessus de notre ciel trop limité et qui ne peut prétendre être ‘des cieux’. Il y a comme un mélange de tristesse, de fatalité, et aussi de cette nostalgie si roboratives chez moi, et autant d’instruments qui permettent de mesurer l’incroyable médiocrité à-la-Mordor à laquelle sacrifient les créatures, de droite ou de gauche, trumpistes ou antitrumpistes qu’importe, qui sont les ennemis jurés parce qu’esclaves du Mordor, de la haute culture, de l’âme poétique, de tout ce qui vous fait et nous fait supporter d’être ce que nous sommes.
J’ai connu Engelhardt sans jamais le rencontrer, et je suis à peu près sûr, – disons à 105%-110%, – qu’il ne me connaît pas. Ce n’est rien, nothing personal. Quoi qu’il en soit, entre 1999-2002 et 2008-2009, Engelhardt fut une de mes grandes références politico-culturelles sur le net, disons au niveau de mes plus proches inconnus, les Raimondo et quelques autres amis que nous ne connûmes jamais. A partir de 2010-2011, nos chemins, celui d’Engelhardt et le mien, ont commencé à diverger. Engelhardt est un homme résolument, définitivement “à gauche”, mais comme on peut l’être d’une certaine façon aux USA, c’est-à-dire à la fois “de gauche” et dissident, ce qui est une catégorie pratiquement introuvable en France où, depuis Robespierre et la guillotine et jusqu’à la collaboration (le fait majoritairement de la gauche radicale-socialiste et des dreyfusards, et du PCF jusqu’au 21 juin 1941) et au communisme-stalinien, la gauche est du côté des institutions établies et très occupées à trahir dans la continuité la nation-française, pour en fournir avec constance et dévotion les rangs toujours grouillants du “parti de l’étranger”.
Voici un passage, dans le texte d’Engelhardt du 3 novembre 2020, qui m’arrête. On le lit, si vous le voulez bien, après que j’en ai fait mon beurre, en espérant que nous en ferez le vôtre...
« C’était l’été, il y a près d’un demi-siècle, quand je suis monté dans cette camionnette Volkswagen et que j'ai commencé mon voyage à travers le pays avec Peter, un ami photographe. Je le faisais officiellement en tant que reporter pour une petite agence d’information de San Francisco, ayant été envoyé pour rendre compte de l'humeur de la nation dans un moment si politiquement chargé. La guerre du Vietnam, avec toutes ses protestations et ses troubles intérieurs, venait de se terminer [avec l’accord de Paris de janvier 1973] [et se terminerait officiellement en avril 1975] lorsque les troupes nord-vietnamiennes [entreraient] dans la capitale sud-vietnamienne, Saigon. Le président des États-Unis, Richard Nixon, était alors pris au piège d'un scandale de plus en plus grave appelé ‘Watergate’.
» Et voici une chose bien étrange. Je me sentais piégé, moi aussi. D’une certaine façon, je me sentais perdu. Comme je l’ai dit à l'époque (et cela devrait vous rappeler quelque chose, même si, en 1973, je ne parlais que de la version télévisée du journal télévisé), “Ce qui semblait un film projeté sur l’écran a hanté toute ma vie. D’une certaine manière, je voulais l’interrompre et découvrir de nouveaux points de référence plus humains, un véritable centre de gravité”. J’avais envie de sortir de ce monde et d’accomplir l’initiation de la vraie Amérique, l’initiation selon Jack Kerouac : partir ‘On the Road’ [“Sur la route”]. »
Dans cette introduction, rien ne m’est étranger, ni incompréhensible (avec cette petite erreur que Engelhardt situe la chute de Saigon en 1973 alors qu’elle eut lien en 1975, et qu’entretemps on avait changé d’époque, – et peut-être ce changement d’époque, que je situe avec l’année 1974 et la crise pétrolière, le ‘Watergate’ et la démission de Nixon, etc., joue-t-il un rôle dans ce lapsus.). Ce qui est étrange, également, c’est que le jeune homme américain, désenchanté par l’issue de ces terribles années, que ce soit cette vraie-fausse paix du Vietnam ou le débat du ‘Watergate’, décide de partir “On the Road” pour retrouver l’âme de l’Amérique, à l’imitation d’un Américain-Acadien d’origine française, et si Français par certains aspects, Jacques “Ti Jean’ Kerouac (du clan breton des Jean-Louis Le Bris de Kerouac). Kerouac était venu auparavant en Bretagne, en 1965, alors que, – coïncidence ou autre à propos de laquelle le Ciel, qu’Il en prenne note, aurait quelques comptes à nous rendre, – je faisais moi-même mes classes de matelot de la Marine Nationale, au Centre de Formation Maritime de Brest. Moi, je rendais mon service national à la France, ‘Ti Jean, entendait, lui, rendre son service mémoriel pour retrouver les racines de sa propre famille. (Kerouac fit de cette visite en France le thème de son dernier livre, ‘Satori à Paris’, avant de mourir en 1969.)
... D’ailleurs, et cela fera l’objet d’une autre échappée, j’ai ma thèse, moi, sur cette symbolique présence d’un garçon si français et breton dans l'origine, Kerouac, comme mythe et animateur d’un mouvement si peu américaniste et si authentiquement américain, – les Beatniks, – pour soi-disant ‘retrouver’ l’âme de l’Amérique. On peut déjà lire un peu de cette réflexion par ailleurs...
Quoi qu’il en soit, Engelhardt s’en alla “On the Road” avec l’un ou l’autre compagnon. Les années passèrent, les choses ne s’améliorèrent que dans des simulacres vains. Il y eut le compagnonnage entre lui et moi dont j’ai parlé plus haut, quand des gens de fortunes, d’origines et de langues, de cultures si différentes, se trouvèrent réunis sans se connaître ni s’être jamais vus devant les agressions terribles que lançait contre eux le Système. Et puis, le temps continuait à passer, vous savez...
Il faut dire qu’après 2008-2010, j’ai été moins souvent rendre visite à Engelhardt, et presque plus du tout à partir de 2015, lorsque Trump est apparu sur la scène. Trump nous a séparés, c’est vrai, nullement parce que nous y croyions ou pas, antitrumpiste ou trumpiste, mais parce qu’il croyait aux contines idéologiques contre Trump et que je croyais à l’analyse du faiseur de chaos pour-Trump. Sur le fond, je crois que ni lui ni moi n’avions choisi de destination nouvelle ; mais nous avions choisi des chemins de traverse différents.
J’ai peu de goût de devoir le dire, mais je crois qu’il n’a pas eu raison dans cette fausse querelle, cette non-querelle qui nous opposa. Lui, il fut tout de même obligé de s’engager sous une vraie bannière (contraire de “fausse-bannière’), cette bannière false-flag de “la gauche”, selon les pitreries d’étiquette encore en vigueur. Engelhardt est surout sensible à l’effondrement du monde, la crise de l’environnement et toutes ces choses, et il y avait des attitudes de Trump à cet égard qui le hérissaient absolument ; je ne peux pas dire qu’elles me satisfassent, moi, et je les trouve même, comme Engelhardt, absolument ignobles et dégueulasses, que l’on aille du fracking à cette sorte d’adduction si américaniste du pétrole, en passant par les mamours faites aux Saoudiens, et les guerres de clown sanglant faites aux Yéménites.
Mais je ne crois pas qu’un Biden, ou son ersatz un peu noirci de peau qui va le remplacer vite-fait si on leur fait polace nette, y changera quoi que ce soit. Simplement, il le fera croire, et les nombreux et malheureux Engelhardt du monde entier tomberont à nouveau dans le piège. Tandis que ne pas être contre Trump dans cette affaire comme dans tant d’autres des cinq dernières années, mais sans lui épargner la moindre critique, le moindre signe de mépris, ce ne fut et ce n’est en aucun cas être pour tout ce que j’ai critiqué et méprisé. En n’étant pas pour Biden et en étant quelquefois, quand il me plaît, pour Trump, et surtout en étant pour le désordre qu’il suscite et la troiuille qu’il leur cause, eh bien moi je suis libre et j’accomplis ma Mission autant que faire se peut.
C’est tout de même attristant ; lui qui souhaitait la victoire de Biden, y compris sa ‘victoire’-simulacre, il écrivait, deux jours avant que l’on ne votât :
« Pendant ce temps, la corporatisation, – j'aurais pu alors la considérer comme une fast-foodatisation, – du pays que Peter, Nancy et moi traversions était déjà bien engagée. Dans le même temps, un nouveau type d'inégalité entre tous les Américains commençait à peine à se faire sentir dans ces années-là. Aujourd'hui, alors que le premier milliardaire de la Maison-Blanche et d'autres milliardaires, même en pleine pandémie, continuent à faire des ravages alors que tant d'Américains souffrent, l'inégalité qui a laissé Frank Nelson et ses pairs si désespérément mal à l’aise n’a jamais cessé de s’accroître pour atteindre des niveaux vraiment stupéfiants.
» Croyez-moi, même si Donald Trump doit quitter le Bureau ovale le 20 janvier 2021, nous serons toujours dans son Amérique. Et 47 ans après mon long et étrange voyage, je pense pouvoir vous garantir une chose : s'il n'y avait pas eu la pandémie qui a frappé ce pays et qui a écarté tant d'entre nous de tout chemin, un jeune reporter, fou et malheureux, pourrait encore se lancer ‘On the Road’ dans ce XXIe siècle et trouver des versions actualisées de Frank Nelson à foison (dont un nombre surprenant pourrait être bien armé et en colère).
» Bienvenue en Amérique ! Il ne fait aucun doute que, si longtemps après que Peter, Nancy et moi ayons emprunté cette route pas si ouverte que l’on dit, nos vies et ce pays sont bien au-delà de notre contrôle.
» En écrivant sur les personnes que j'avais alors interviewées, [...] j’ai dit “Je ne doute pas qu'ils se dirigent encore, comme moi, à contrecœur vers un avenir qui fera paraître l'été 1973 vraiment irréel et nous laissera tous perplexes en nous demandant : la vie a-t-elle vraiment été telle que nous l’avons vécue ?”
» Dans l'Amérique de Covid-19, où la côte ouest brûle toujours, dans le Colorado emportés dans des flammes d’une dimension historique, où un nombre record de 11 tempêtes ont frappé la côte du Golfe et ailleurs en cette saison des ouragans, où des crises naturelles ou pas s’élèvent de toutes parts, ne croyez pas une seconde que l'expression “hors de contrôle” ne pourrait pas prendre un nouveau sens dans les décennies à venir.
» Bienvenue dans une version plus extrême du monde que Frank Nelson et moi avons déjà habité en 1973. »
Comment ne pas mesurer sa tristesse et son désarroi, celui qui jeta l’anathème contre Donald Trump et qui écrit, deux jours avant l’élection : « Croyez-moi, même si Donald Trump doit quitter le Bureau ovale le 20 janvier 2021, nous serons toujours dans son Amérique » ?