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67717 mars 2005 — Il faut rassembler deux très récentes nouvelles pour avoir la mesure des préoccupations actuelles de l’Amérique à l’égard de ses diverses “arrière-cours”.
• La première concerne des projets de super-Fortress America, ou “Fortress North America”, notamment rapportés par le Toronto Star du 15 mars. Le journal canadien cite une étude présentée le 14 mars par le Council of Foreign Relations (on peut en trouver la présentation sur le site du CFR), en collaboration avec deux instituts –relais de l’influence US, le Consejo Mexicano de Asuntos Internacionales (COMEX) mexicain et le Canadian Council of Chief Executives, qui regroupe l’essentiel du big business canadien, partisan d’un alignement complet sur Washington. Le rapport propose de constituer un véritable “bloc” économique et sécuritaire constitué du Canada, des USA et du Mexique, — à l’image de l’Union européenne, mais avec un très fort accent mis sur l’aspect sécurtaire et militaire, c’est-à-dire une domination complète des USA qui serait assurée.
« A trilateral commission yesterday unveiled a series of proposals which also urge Ottawa, Washington and Mexico City to create a high-tech, biometric security system to speed passage of law-abiding travellers across borders that would ultimately diminish in importance, much as they have in the countries of the European Union.
» The commission calls for trilateral threat-intelligence centres and would jointly train law enforcement agents in the three countries. It would also expand NORAD with an eye to Mexico's defence and even swap bureaucrats among the countries' respective homeland security departments.
» The report, written for the U.S.-based Council on Foreign Relations, an independent but influential organization that specializes in the study of international affairs, is the work of Canada's former deputy prime minister John Manley, American William Weld, the former governor of Massachusetts, and Pedro Aspe, a former Mexican finance minister.
» “The security of North America is indivisible,” Manley said, stressing in an interview that the commission hopes to influence the trilateral summit taking place in Texas March 23. »
• La seconde concerne les projets d’élimination physique de Hugo Chavez. Il ne s’agit plus seulement des affirmations du président vénézuélien, répétées souvent en public (la dernière fois au début de la semaine, lors d’une conférence de presse à son passage à Paris). Il s’agit du témoignage télévisé, sur une chaîne anti-castriste de Miami, d’un ancien agent de la CIA. L’homme se nomme Felix Rodriguez et il est en général présenté comme ayant été impliqué dans l’action de la CIA, contrôlant et dirigeant l’opération de capture par l’armée bolivienne de Ernesto “Che” Guevara en 1967 en Bolivie, puis sa liquidation.
« In an interview on Miami’s Spanish-language channel 22, the former CIA agent Felix Rodriguez said that the U.S. government has plans to “bring about a change in Venezuela.” When pressed as to what type of plans these might be, Rodriguez responded that the Bush administration “could do it with a military strike, with a plane.”
» The former CIA agent’s comments were made last week, on Thursday, during the talk show of a well-known supporter of the anti-Castro movement, Maria Elvira Salazar. Rodriguez affirmed during the program, “According to information I have about what is happening in Venezuela, it is possible that at some moment they [the Bush administration] will see itself obliged, for national security reasons and because of problems they have in Colombia, to implement a series of measures that will bring about a change in Venezuela.”
» The moderator, not satisfied with his vague answer, asked Rodriguez what kind of measures these might be and he responded, “They could be economic measures and at some point they could be military measures.” He then added, “If at some point they are going to do it, they will do it openly.” As an example, Rodriguez gave the Reagan administration’s strike against Khadafi, whose residence was bombed and whose adoptive daughter was killed in the process.»
Ces deux nouvelles témoignent d’une préoccupation grandissante des USA pour le reste des deux Amériques, considéré en générale comme des arrière-cours indiscutables de la puissance continentale US. La proposition du CFR, en gestation depuis de nombreux mois et reprenant des projets anciens, a été accélérée et “durçi” ces dernières semaines, pour tenter de contrer l’effet désastreux du refus canadien de participer au réseau anti-missile US et la vague d’antagonisme qui grandit entre les deux pays, d’anti-américanisme au Canada et d’“anti-canadianisme” aux USA. L’intention est aussi que cette étude pèse sur le sommet trilatéral ALENA (Canada-USA-Mexique) du 23 mars.
Les réactions au Canada sont très soupçonneuses, voire pire. Le projet est perçu comme un moyen pour les USA d’accentuer et de verrouiller leur main mise sur le Canada, à l’heure où le Canada n’aligne pas complètement sa politique sur celle des USA. Le Toronto Star écrit encore:
« But the report set off alarm bells in Canada, where critics immediately branded it as a push to surrender Canadian control over its resources and an abdication of sovereign decision-making, while succumbing to America's security agenda. While Manley said Washington would not necessarily dictate the terms of any continental agreement, Public Safety Minister Anne McLellan said it would be “irresponsible” for Ottawa to turn over information to Washington on a wholesale basis. »
Pour l’affaire Chavez et les révélations de Rodriguez, il s’agit d’une menace constante contre le dirigeant vénézuelien, mais qui ne cesse de s’aggraver. A cet égard, il semble de plus en plus que les USA ne se sentent tenus par aucune contrainte, aucun aspect légal que ce soit. D’autre part, ils constatent l’étonnante expansion de l’“esprit Chavez” en Amérique Latine et sa popularité dans le reste du monde. L’“esprit Chavez” n’est pas la cause de l’intrusion extraordinaire de la Chine en Amérique Latine, mais il lui donne sans aucun doute une connotation politique qui fait de cet événement un événement stratégique propre à inquiéter Washington plus encore. (Voir ci-dessous.)
Ainsi découvre-t-on, de plus en plus affirmé, un double mouvement paradoxal dans la politique étrangère américaine, qui s’avère ainsi complètement échevelée: un mouvement d’expansion dans tous les sens, avec les guerres en Irak et en Afghanistan, les pressions contre la Syrie et l’Iran, les positions agressives diverses (contre l’Europe dans l’affaire de l’embargo des armes vers la Chine), les projets de bases militaires multiples; d’autre part, un mouvement de défense, voire de verrouillage du continent, impliquant la perception d’un danger en Amérique du Sud (l’activisme Chavez et ses effets) et sur le continent nord-américain lui-même (rapports plus tendus avec le Canada).
Comme on voit, il est de moins en moins question de terrorisme et de plus en plus de situations de tension classique face à des réactions nationales ou régionales suscitées par la politique américaine elle-même. Il semble qu’avec le deuxième mandat GW Bush, nous entrions dans une période de désordre accentué, passant d’un désordre soi disant contrôlé (poussées de déstabilisation américaines) à des effets en retour de cette poussée de désordre, cette fois hors du contrôle de Washington.
Dans son superbe article du 16 mars, publié simultanément sur TomDispatch.com et Antiwar.com sur la situation stratégique de la Chine et autour, l’historien américain Chalmer Johnson signale effectivement cette évolution chinoise vis-à-vis de l’Amérique Latine:
« The United States has long proclaimed that Latin America is part of its “sphere of influence,” and because of that most foreign countries have tread carefully in doing business there. However, in the search for fuel and minerals for its booming economy, China is openly courting many Latin American countries regardless of what Washington thinks. On Nov. 15, 2004, President Hu Jintao ended a five day visit to Brazil during which he signed more than a dozen accords aimed at expanding Brazil's sales to China and Chinese investment in Brazil. Under one agreement Brazil will export to China as much as $800 million annually in beef and poultry. In turn, China agreed with Brazil's state-controlled oil company to finance a $1.3 billion gas pipeline between Rio de Janeiro and Bahia once technical studies are completed. China and Brazil also entered into a “strategic partnership” with the objective of raising the value of bilateral trade from $10 billion in 2004 to $20 billion by 2007. President Hu said that this partnership symbolized “a new international political order that favored developing countries.”
» In the weeks that followed, China signed important investment and trade agreements with Argentina, Venezuela, Bolivia, Chile, and Cuba. Of particular interest, in December 2004, President Hugo Chavez of Venezuela visited China and agreed to give it wide-ranging access to his country's oil reserves. Venezuela is the world's fifth-largest oil exporter and normally sells about 60 percent of its output to the United States, but under the new agreements China will be allowed to operate 15 mature oil fields in eastern Venezuela. China will invest around $350 million to extract oil and another $60 million in natural gas wells. »