’“Insaisissable” résilience : le cas Erdogan

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“Insaisissable” résilience : le cas Erdogan

3 juin 2013 – ... Ou bien, “insaissable” Turquie ? Développant notre Notes d’analyse (le 1er juin 2013) sur la “guerre syrienne” que nous qualifiions d’“insaisissable” et dont nous observions qu’elle ramenait à elle toutes les tensions de sa région, sinon de la crise d’effondrement du Système, nous ignorions les événements déjà en cours en Turquie, dans leur éventuelle dimension structurelle. Nous sommes toujours dubitatifs, peu inclinés à en tenir compte dans l’immédiat, devant des événements soudain encore trop “immatures” pour juger s’ils ont de la substance ou s’ils ne sont que “l’écume des jours”. Pourtant, à vingt-quatre heures près, certes, cette affaire turque en passe de devenir une “crise turque” méritait sa place dans notre florilège.

... En effet, il ne fait aucun doute pour nous (on le verra plus loin) que la politique syrienne d’Erdogan est pour beaucoup, voire pour l’essentiel dans la détonation de la chose, dans cette crise turque partie d’un rassemblement de 50 personnes outrées que l’on déracinât quelques arbres et transformât une partie (Gezi Parki) du parc Taksim, l’un des rares espaces verts restants du centre d’Istanboul, en galerie marchande. Nous parlons de la politique syrienne d’Erdogan aussi bien en termes de symbole qu’en termes de forme fondamentale, abandonnant l’orientation principielle qui avait heureusement marqué la “nouvelle politique turque” dans les années précédentes. Cette politique d’avant la Syrie avait donné à Erdogan une légitimité qui concernait tous les domaines, – l’extérieur bien sûr, où elle se fondait principalement, mais aussi l’intérieur, – et assurait à son pays autant qu’à lui-même une stabilité certaine et fondée. Les événements de ces derniers jours font éclater un malaise qui ne cesse de grandir depuis deux ans, et qui s’exprime notamment par un divorce entre la politique syrienne d’Erdogan et le sentiment populaire. Du coup, l’explosion ressort tous les problèmes non résolus et s’identifie aux mouvements antiSystème (Occupy, “indignés”, etc.), en même temps qu’elle achève la perception de la transformation d’une autorité incontestable d’Erdogan, une autorité légitimée, en une “dérive” autoritaire dans son comportement et sa politique.

En même temps, les événements illustrent le terme-programme de “résilience” que nous avons déjà utilisé (voir notamment et principalement le 9 novembre 2012). Nous l’utilisons pour deux occurrences, d’abord pour qualifier la forme des événements en cours, ensuite pour qualifier, plus loin dans notre propos, l’importance des fondements d’une politique qu’Erdogan a abandonnée à ses dépens.

• Sur les événements et leur signification, il y a une intéressante interview du Britannique Mark Almond, professeur en Relations Internationales détaché à l’Université Bilkent, à Ankara, sur Russia Today, le 2 juin 2013. Quelques extraits donnent une bonne appréciation de la situation, des réactions maladroites et confuses d’Erdogan qui est la cible principale sinon unique du mouvement, de l’ampleur inattendue de ce mouvement, de sa diversité de composition et de la diversité de ses motifs conjoncturels jusqu’à celui d’une manifestation de protestation pour conserver à Istanboul un lieu... où manifester. Éventuellement, on peut percevoir ainsi les structures et les forces qui démontrent effectivement ce que nous nommons résilience dans ce mouvement, et certaines comparaisons qui symbolisent à la fois la rapidité et les renversements paradoxaux de ce temps : Erdogan, le premier grand dirigeant à avoir demandé la démission de Moubarak, qui semble suivre un comportement semblable à celui de Moubarak jusqu’à sa chute. (Dans ses interventions du week-end, Erdogan s’est montré fermé à toute interprétation accommodante et dynamique des événements. Il en a rejeté la responsabilité sur “des extrémistes”, sur les partis d’opposition sur les “réseaux sociaux” type-tweeter  : «There is now a menace which is called Tweeter. The best examples of lies can be found there. To me, social media is the worst menace to society.» [Guardian, le 3 juin 2013].) ... Mark Allmond :

«And this is a very dramatic moment for Prime Minister Erdogan, who’s had for the first time to step back. He was extremely aggressive in his initial statements that he wouldn’t tolerate protest. And now the man who was the first world leader to call for [Egyptian] President Mubarak to resign is talking rather eerily like Mubarak did shortly before his own fall. He is now saying he’s going to investigate the police, he’s concerned for the people. He wants to carry on the project, so he’s managing to, in a sense, muddy the water.

»But I don’t think it will calm the situation, because if he insists on carrying on with the project, which is very unpopular - and symbolic of what many people see as kind of a high-handed approach where property developers and government together simply push aside local opinion – he still is going to keep the protest going. But at the same time he’s shown weakness, and this is the first time he’s shown weakness.» [...]

«...And they were taken by surprise by a rather complex movement of different groups of people we see – classic, if you like, student protesters, anarchists, the Twitter generation. But we’ve also seen, which is worrying for the prime minister, people from his own side of politics. We’ve seen Muslims praying in the square opposing this policy, we’ve seen a Kurdish MP actually injured, trying to stand in the way of one of the bulldozers. So we now have a situation that a very broad coalition has sprung up not just in Istanbul, but in other cities. And some of it is actually from the side of politics that in the past, and recently has been supporting the government…» [...]

«And the Turkish economy, which had been doing very well for the first 10 years of Erdogan, is beginning to stall. The property boom is turning into a bubble that’s bursting. The war in Syria is worrying people with violence on the border. But also, if you then begin to have measures that are fighting off tourists, including, of course, his measures about alcohol, his moral reform measures, you begin to have a whole dangerous mélange of issues all bubbling up together.

»And I’m not sure that the government really has thought through what is its main priority, who are the people that it really needs to keep on board, does it really need to offend all these different groups, does, actually, the center of Istanbul, not need at least one bit of green space. It’s a huge city with a very little space, and, of course, people say ‘How can we have democracy, if there’s nowhere where you can demonstrate, if everywhere is filled in only narrow streets?’ I’m afraid, like it or not, you need Trafalgar Square, you need Taksim Square.»

• On peut trouver un reportage de The Observer, du 2 juin 2013, montrant comment le mouvement commence à s’organiser, à s’installer en adoptant les us et coutumes désormais de cette sorte de protestation, notamment et essentiellement pour s’implanter et durer. Ce qu’il y a de “résilience” dans ce mouvement, effectivement, c’est la façon dont il s’est naturellement identifié à la tactique et au style du mouvement fameux dit-Occupy, commencé par Occupy Wall Street, en se dénommant lui-même Occupy Turkey. Un autre aspect montrant ce même caractère de résilience se trouve dans la façon dont la “reste du monde” a aussitôt répondu aux événements turcs, avec diverses manifestations et interventions de soutien, notamment aux USA, et particulièrement à New York où quelques centaines de manifestants (le nombre importe peu dans cette occurrence) réunis au Parc Zuccoti d’où était parti Occupy Wall Street, ont réussi à réveiller l’écho de l’automne 2011, toujours avec les mêmes références, telle que Occupy Gezi, créant une impression de continuité et de solidarité transnationales (voir Russia Today ce 1er juin 2013).

• Une réaction particulièrement notable et qui a eu beaucoup d’échos est celle de Noah Chomsky, notamment reproduite par la presse turque. Le quotidien Hurriyet la retranscrit le 1er juin 2013 : «I would like to join Amnesty International and others who defend basic human rights in condemning the brutal measures of the state authorities in response to the peaceful protests in Taksim in Central Istanbul. The reports of the past few days are reminiscent of some of the most shameful moments of Turkish history, which, it seemed, had been relegated to the past during the progress of the past years that has been welcomed and praised by all of us who wish the best for Turkey and its people.»

• Au niveau de la politique régionale et nationale, on appréciera aussitôt la réaction du gouvernement syrien, toujours en place malgré les efforts frénétiques d’Erdogan à son encontre. PressTV.ir rapporte, ce 1er juin 2013 la réaction du ministre syrien de l’information accusant Erdogan de “terroriser” son peuple, ce qui est un renvoi d’ascenseur de circonstance ... «Syrian Information Minister Omran al-Zohbi says Turkey’s Prime Minister Recep Tayyip Erdogan is “terrorizing” his own people, calling on the premier to resign his post. “Erdogan is leading his country in a terrorist way, destroying the civilization and achievements of the Turkish people,” the Syrian information minister said on Saturday.» Cette intervention met en évidence combien, effectivement, la situation turque est aujourd’hui inextricablement imbriquée dans la crise syrienne et l’implication d’Erdogan dans la “guerre syrienne”

• Au niveau politique intérieur, un homme a aussitôt suivi un rôle médian entre l’extrémisme d’Erdogan et la contestation populaire. Il s’agit du président Gül, ancien ministre d’Erdogan désormais perçu comme un adversaire institutionnel et politique du Premier ministre. Gül voudrait rester à la présidence en 2014, mais Erdogan entend le remplacer après avoir assuré une réforme constitutionnelle donnant des pouvoirs fondamentaux (type-Vème République) au président. Bien entendu, ces projets sont désormais complètement en question, devant l’incertitude née de la crise. (Selon le pourtant très modéré Murat Yekin, éditorialiste de Hurriyet, le 1er juin 2013 : «To cut the story short, the Taksim wave of protests has turned into the first public defeat of the almighty image of Prime Minister Tayyip Erdogan, and by Turkish people themselves. [...] To call this a “Turkish Spring” would be over-dramatizing it. It could be, if there were opposition forces in Turkey that could move in to stop the one man show of a mighty power holder. But it can easily be said that the Taksim brinkmanship marked a turning point in the almighty image of Erdogan.»)

Concernant l’attitude du président Gül et son rôle, qui apparaît très important, durant le premier tournant de la crise avec un premier retrait des forces de police du square Taksim après les premiers jours de très durs affrontements, on lira également Hurriyet le 1er juin 2013. (L’on se souviendra que Gül a marqué plus d’une fois des réticences claires à propos de la politique syrienne d’Erdogan, la trouvant trop extrémiste, trop anti-Assad et trop alignée sur le bloc BAO. Il est certain que l’affaiblissement d'Erdogan, – première certitude de cette crise, sans préjuger de l’avenir, – va conduire Gül à se découvrir un peu plus et à s’affirmer comme un adversaire beaucoup plus marqué de la politique syrienne d’Erdogan.)

«Official sources told the Hürriyet Daily News that around 2:30 p.m. Gül called the Istanbul Governor Hüseyin Avni Mutlu, Interior Minister Muammer Güler and Prime Minister Recep Tayyip Erdogan. Emphasizing that the situation was “very sensitive,” Gül urged moderation. Following the call, the interior minister called for the police forces to be pulled back from Taksim, ahead of the main opposition Republican People's Party (CHP) rally in the afternoon. The president said he had shared these issues with state and government officials, including PM Erdogan. “I believe that everybody will immediately do his share to provide calm and discuss the issue in a way that will suit us,” he said.»

• La brutalité policière, qui est aspect très spécifique de ces événements et constitue un des éléments déclencheur ou aggravant de leur course, constitue un problème spécifique de la séquence (voir Russia Today, le 2 juin 2013). Elle ajoute au malaise général qui caractérise la crise, en créant une sensation d’isolement sécuritaire du régime, ou du gouvernement, correspondant parfaitement aux tendances des régimes des pays du bloc BAO face aux diverses manifestations de la crise générale. Bien entendu, ce facteur renforce le constat sur l’illégimité, ou sur “la légitimité perdue”, de la direction d’Erdogan...

La légitimité perdue de Recep Tayyip Erdogan

... Tout cela, ce gâchis remarquable du point de vue de ses ambitions pour la Turquie, qui nous conduit à cette question : mais qu’est donc allé faire Erdogan dans ce guêpier, ce bourbier, cette juste cause type-BAO et parti des salonards, trop belle et bien trop fardée de narrative convenues pour être juste ? Cette cause fondée sur le “principe” grotesque dans son schématisme primaire et faussaire du slogan mécaniquement répété “Assad est un monstre” ? On ne gaspille pas de cette façon un capital de popularité fondé sur une véritable légitimité telle que celle qu’Erdogan avait amassé en quelques années d’une politique devenue indépendante des USA et même d’Israël, sinon à prouver que le destin s’est trompé et que l’homme d’État plein d’un brio élégant et bronzé dans la vérité du monde s’est révélé comme un faussaire incapable de maîtriser ses humeurs et victimes d’illusions en forme de mirages... Chomsky lui-même l’a bien dit, d’une façon indirecte ou involontaire puisqu’il n’évoque que le “progrès” auquel il est encore sensible en tant que dissident “de gauche” ; il porte ce jugement, qui concerne effectivement ces années de fortune pour la Turquie, qui sont celles où Erdogan affirmait toute sa légitimité, et il semble alors déplorer implicitement qu’elles aient été ainsi gaspillées pour des chimères : «The reports of the past few days are reminiscent of some of the most shameful moments of Turkish history, which, it seemed, had been relegated to the past during the progress of the past years that has been welcomed and praised by all of us who wish the best for Turkey and its people...»

Nous pensons qu’Erdogan avait bâti cette légitimité dont nous parlons en construisant une politique extérieure qui était fondée sur l’idée générale du Principe, – cela considéré aussi bien comme règle d’action, comme orientation politique qui sont l’opérationnalisation d’une orientation principielle, que sur le respect effectif de certains principes qui peuvent être encore d’application. Il l’avait montré, par exemple, en août 2008, lorsque la Turquie avait défendu la Russie dans la crise géorgienne, contre l’activisme déstructurant d’un Saakachvili commandité par l’OTAN et les officines américanistes qui vont bien. (Cela, alors que la Turquie était membre de l’OTAN, comme elle l’est toujours, ce qui marquait sa détermination.) Novosti notait, le 13 août 2008 : «M.Erdogan a dit que son pays était solidaire de la Russie dans la situation autour de l'Ossétie du Sud, alors que M.Medvedev a estimé que “les pays aussi proches que la Russie et la Turquie” devaient “faire le point de leurs relations en cas de problèmes”. “Malheureusement, il y a assez de problèmes, notamment la récente agression géorgienne contre l'Ossétie du Sud”, a ajouté le président russe.» (On notera tout de même, et cela a un rapport avec ce qu’on a vu plus haut de la situation politique actuelle, que c’est Abdullah Gül, à peine devenu président après avoir quitté son poste de ministre des affaires étrangères, qui avait le mieux défini la position turque en énonçant effectivement des notions principielles dans l’explication de la position turque. [Voir le 18 août 2008].)

Cette notion d’une politique principielle assurant la légitimité, à l’exemple de divers cas historiques dont le plus récent est évidemment de Gaulle et le gaullisme, diffère complètement des notions d 'un droit sacralisé et de l’idéologie démocratique où l’on prétend assurer la légitimité par le seul automatisme de processus aboutissant en principe à l’expression populaire souveraine. Ces processus, qu’on ne peut certes écarter parce qu’il importe de transiger sur les moyens, n’ont jamais montré en aucune façon qu’ils fussent fondamentalement source principielle et producteur de légitimité, – sinon un Sarko et un Hollande en auraient été nécessairement transformés, ce qu’ils ne furent pas. Ils n’ont cessé, ces dernières années, de se dégrader du point de vue de leurs mécanismes et de leurs effets pervers, à la mesure du développement du système de la communication, de la dictature de l’argent et de la corruption généralisée qui s’ensuit, à la mesure de la contraction du temps et de l’accélération de l’Histoire qui caractérisent notre époque, avec l’épanouissement catastrophique du Système que cela suppose. Plus que jamais, la légitimité s’acquiert à la fois dans les actes s’ils sont d’essence principielle, et dans les manifestations éventuellement transcendantes que parviennent à manifester les dirigeants politiques devenus “hommes d’État” par le fait. (C’est dire s’il n’y en a plus guère puisque cette époque est celle de l’effondrement principiel, et par conséquent en général de la légitimité.) Pour ce qui concerne les actes à production principielle, on ne peut les trouver majoritairement que dans une politique à projection et dimension extérieures, et dans la politique extérieure elle-même, dans la mesure où toutes les situations intérieures dépendent évidemment de la grande crise d’effondrement du Système et de la globalisation qui en est la représentation structurée. Par conséquent, la légitimité intérieure notamment s’acquiert à partir d’actes à résonnance extérieure et de la politique extérieure elle-même. (C’est la raison pour laquelle plus aucun dirigeant européen n’a aujourd’hui la moindre légitimité, avec le transfert de souveraineté des nations à des organes supranationaux eux-mêmes dépourvus de la moindre légitimité, aboutissant à des actes extérieurs et des politiques extérieures vidés de toute substance et laissé à l’affectivité et à l’hystérie. La Syrie, bon exemple de ce déchaînement de nihilisme impuissant.)

Erdogan avait construit sa légitimité en développant cette politique extérieure s’orientant vers l’indépendance nationale, l’établissement de liens hors bloc BAO (avec la Russie, avec l’Iran), enfin la rupture avec Israël au nom de la condamnation de l’illégitimité des actions de force israéliennes, caractéristiques de l’“idéal de puissance” qui inspire toutes les velléités d’actes politiques du bloc BAO. Il avait ainsi construit un “modèle turc”, absolument fondé sur les principes de souveraineté et d'équilibre des relations internationales (“idéal de perfection”, selon Guglielmo Ferrero) qui fondaient à leur tour sa propre légitimité. La Syrie a changé tout cela, en découvrant certainement un problème individuel de caractère et de perversion psychologique dans le chef d’Erdogan, interférant gravement sur la brillante dimension collective d'un destin. Le Premier ministre turc a choisi la voie et le camp de l’“idéal de puissance”, avec pour son compte l’affirmation d’ambitions hégémoniques passant notamment par la liquidation de la Syrie dans son état actuel, qui devraient apparaître grotesques dans la perspective et qui l’étaient effectivement dans le détail qu’on en donna (cartes du Moyen-Orient remodelé façon-Erdogan) comme l’on distribue le programme des festivités au début d’une représentation, par exemple au cirque. Erdogan a donc troqué la légitimité qui implique la domestication de la force par l’établissement de l’équilibre des producteurs de force que sont les nations et autres entités, au profit d’une ambition hégémonique relevant effectivement de l’“idéal de puissance” et, dans son chef personnel, d’un déséquilibre psychologique dont l’hubris est une des productions les plus dévastatrices. Le résultat net, absolument paradoxal, a été que la Turquie est retombée, par la voie de l’imbroglio syrien, dans l’orbite du bloc BAO (USA, OTAN, Israël, etc.), avec à la clef des alliances douteuses (avec le Qatar) et des réconciliations complètement perverses (avec Israël, dont une grande partie de l’establishment continue à nourrir une haine féroce à la Turquie malgré, ou à cause de la réconciliation forcée par Obama en avrils dernier).

Notre conviction est que cet aspect puissant de l’évolution turque et de l’évolution d’Erdogan joue un rôle fondamental dans la crise actuelle, où aspects intérieur et extérieur se mélangent pour organiser la perception d’un dirigeant politique légitime perverti dans la délégitimation, et instituer un jugement de condamnation que nourrit la psychologie ainsi orientée. C’est bien la dissolution puis l’entropisation de la légitimité d’Erdogan qui assurait son autorité, qui ont conduit par contraste à l’affirmation d’un autoritarisme illégitime, qui alimente la revendication et la colère populaires. Les conditions de cette évolution catastrophique ont conduit à des situations complètement inverties. Dans la politique syrienne d’Erdogan, on voit le paradoxe grossier et insupportable de ce dirigeant autoritaire et adepte de l’idéal de puissance sacrifier la souveraineté et la sécurité de son pays, notamment sur sa frontière syrienne, aux entreprises douteuses des groupes islamistes installés en Turquie et opérant en Syrie, et même à des bandes du crime organisé, avec actes de violence, pressions contre la population, etc. Il nous apparaît évident que cette situation a contribué décisivement, du point de vue de la perception et par conséquent de l'évolution de la psychologie, à ce que les événements des derniers jours prennent l’ampleur qui est la leur.

L’on voit donc que la crise turque, puisque crise il y a finalement, rejoint la cohorte des autres crises rassemblées et exacerbées par l’“insaisissable guerre syrienne”, comme une des expressions de la crise haute et, plus généralement, de la crise d’effondrement du Système. Par ailleurs, la crise turque introduit dans la même “insaisissable guerre syrienne”, qui l’est ainsi de plus en plus, un nouveau facteur de confusion et d’incertitude en affaiblissant dramatiquement et peut-être en paralysant l’un des acteurs régionaux les plus importants de la coalition anti-Assad réunis par le bloc BAO. Par ailleurs enfin, et pour boucler la boucle, se manifeste la résilience des dynamiques de contestation du Système, car c’est bien le sens que va prendre cet épisode qui semble assurer une sorte de continuité certainement symbolique, et opérationnelle éventuellement, des mouvements type-Occupy, “indignés”, etc.