Institutionnalisation de l'inversion

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Institutionnalisation de l'inversion

14 novembre 2019 – Les audiences publiques, et grandement télévisées pour se référer dans l’inconscient arc-en-ciel d’un parti démocrate devenu fou aux heures glorieuses du  Watergate, ont commencé hier à la Chambre des Représentants du Congrès des États-Unis. Cette digne institution, pilier absolument et quasiment transcendantal de la Grande République, est en train de s’installer dans un acte décisif d’institutionnalisation de la démence et du désordre, conjointement désormais mais avec la démence comme cause originelle.

Voilà pour le fond des choses, pour la stratégie si vous voulez. Pour la tactique, c’est-à-dire la manœuvre courante pour mettre tout cela en, place, on prendra les deux premiers paragraphes du  texte de ce jour de WSWS.org, site auquel nous faisons dans cette circonstance grande référence pour ses qualités d’analyse et sa fureur contre les deux constituants du Parti unique US (démocrates et républicains) qui conviennent parfaitement à notre approche tactique de l’événement. 

(Quant à la stratégie de WSWS.org, à finalité stratégique, elle nous fait grandement sourire par son entêtement dans une conception puérile et complètement dépassée de la Grande Crise présente, tant elle est d’un autre univers, notamment et entre autres jugements, en identifiant le président Trump comme “raciste” et “fasciste”. Passons outre tant cela est totalement et absolument hors de propos et ridicule. Cette mise au point suffit.)

Les deux paragraphes en question :

« Le premier jour des audiences publiques télévisées sur la destitution éventuelle du président Trump a été dominé par les dénonciations de la Russie par Adam Schiff, président du House Intelligence Committee, et les deux premiers témoins, George Kent et William Taylor, fonctionnaires actuels du département d'État.
» Ces déclarations soulignent la nature réelle de la campagne de destitution : les démocrates ne ciblent pas Trump pour ses crimes contre les immigrés, ses attaques contre les droits démocratiques ou ses efforts pour construire un mouvement raciste et fasciste en Amérique. Au lieu de cela, ils agissent en tant que représentants et avocats politiques d'une puissante faction de l'appareil de sécurité nationale qui s'oppose fermement à Trump sur les questions de politique étrangère concernant la Russie, l'Ukraine et le Moyen-Orient. »

Un autre texte du même site, présenté le 13 novembre (14 novembre en version française) nous a semblé intéressant dans la mesure où, annonçant le début des auditions publiques, il faisait du même coup une analyse générale de la crise de la destitution, à quel stade elle se trouve, quelles sont les positions des uns et des autres, les possibilités d’évolution, etc. (On le trouvera par ailleurs sur ce site, ce même jour, présenté sous forme de “grand spectacle”.) Il montre bien ce qui finalement domine le débat sur la destitution du président Trump, qui se trouve réuni en plusieurs aspects qui sont tous caractérisés par le terme d’“inversion” qu’on trouvera dans ces quelques remarques.

• Il est de bon ton aujourd’hui, dans la presse US (presseSystème en tête) et dans les commentaires de minimiser la procédure de destitution comme étant une procédure assez banale du combat politique. Cette idée a certainement été renforcée par la comédie grossière,  légère et crade à la fois de la crise de destitution de Bill Clinton de 1998 autour d’un aspect spécifique relativement mineur (Clinton a-t-il menti en disant qu’il n’avait pas eu de relations sexuelles avec  sa partenaire compte tenu du fait stratégique fondamental qu’une fellation n’est pas considéré comme un “acte sexuel” [lequel acte, citoyens, doit nécessairement impliquer une pénétration en un lieu bien précis] ?) ; cela, indirectement lié à l’aspect lui-même mineur d’une aventure de passage d’un président connu pour ses frasques, avec une stagiaires de la Maison-Blanche (Monica Lewinsky). 

Toute personne qui a vécu au temps du Watergate et suivi cette affaire qui devait mener à la destitution s’il n’y avait pas eu démission du président Nixon devra aisément convenir qu’au contraire de ce qu’on en dit aujourd’hui, l’acte de la destitution constitue une crise institutionnelle majeure. Au contraire de la destitution-bouffe Clinton-Lewinsky, le Watergate constituait la représentation extérieure d’une crise profonde du système de l’américanisme, reposant sur la terrible déroute de la guerre du Vietnam, et déclenchée en 1970 par un complot (effectivement, il s’agit de “complotisme”) contre Nixon dans le chef du chef d’état-major des armées, l’amiral Moorer, avec l’aide d’un officier du renseignement naval, Bob Woodward, bientôt engagé par un hasard bienheureux par le Washington Post. Les suites de la démission de Nixon ont montré combien cette enjeu d’une destitution exprimait une très profonde crise du système de l’américanisme, laquelle dura jusqu’à l’élection de Reagan en novembre 1980, élection par ailleurs truquée. (L’excellent Robert Parry, décédé l’année dernière, a montré comment cette victoire était basée sur un arrangement secret avec les dirigeants de la République Islamique d’Iran sur le sort des 59 otages US de l’ambassade de Teheran emprisonnés en novembre 1979.)

• Le processus actuel de destitution est remarquablement paradoxal en ce qu’il réunit les deux aspects précédents en un cocktail explosif. D’une certaine façon, le point de départ précis de la mise en accusation est au moins aussi léger, sinon plus que ce qu’on trouve dans l’affaire Clinton-Lewinsky, quoique dans un autre domaine moins courtelinesque. En effet, l’accusation de départ est basé sur une conversation téléphonique dont la transcription montre que ce dont est accusé Trump n’existe pas. Les conditions dans lesquelles évolue l’enquête sont sur plus d’un point scandaleusement inconstitutionnelles, notamment dans le chef du comportement des démocrates, de la pression faussaire extraordinaire de la presseSystème, de l’amoncellement de faux-témoignage (sous serment) de fonctionnaires en état de rébellion vis-à-vis de la présidence. De ces faits, l’ensemble tend alors à confirmer qu’effectivement le processus de destitution est une pièce sans importance soumise à toutes les intrigues et manœuvres du dispositif constitutionnel US, et qu’on peut déformer à volonté selon les intérêts politiciens.

Mais à la complète différence du cas Clinton-Lewinsky, ce qu’exprime cette affaire bâclée du processus de destitution en cours est une représentation-bouffe d’une profonde tragédie d’une crise sans précédent du système de l’américanisme, dépassant très largement en gravité le  Watergate. Nous sommes ainsi dans l’archétype de la “tragédie-bouffe”, comme nous nommons un aspect si spécifique de notre époque ; où l’aspect bouffe est “hénaurme” jusqu’à la démence dans la  narrative  et par conséquent l’énorme entrave du déterminisme-narrativisteoù il faut poursuivre sa perception et son intervention dans la logique des mensonges fondamentaux et énormes de l’origine ; où l’aspect tragique pur est d’une profondeur sans précédent puisque c’est l’équilibre, sinon l’existence même du système de l’américanisme dans le chef des composants de son pouvoir qui sont menacés de destruction, de dissolution et même d’entropisation. 

• Dans cet exposé se trouve justifié le mot d’“inversion”, qui est d’ailleurs lui-même une forme de définition de l’expression “tragédie-bouffe”. Il y a inversion complète dans l’importance accordée à la cause prétendue de la mise en accusation. Il y a inversion complète dans la gravité extraordinaire que recouvre ce montage-bouffe qui conduit la mise en accusation. Une autre inversion est apparue dès le premier jour des auditions avec la réapparition de l’énorme bidouillerie nommée Russiagate pour attaquer Trump à partir d’accusations martelées depuis 2016, et complètement démenties par l’enquête de deux années conduite par un procureur complètement sénile nommé Mueller.. Cette nomination du sénile Mueller, autre signe d’inversion dans le choix par le Système des personnes chargées des missions les plus importantes dans cette entreprise également de complète inversion de destruction du président Trump, jusqu’ici sans la moindre amorce de réussite au contraire des habitudes du Système dans ce genre d’entreprise.

... Mais il est vrai que nous sommes, alors pour le coup sans aucun doute, dans la dynamique de l’inversion suprême. Jamais le Système, dans sa représentation opérationnelle qu’est le système de l’américanisme, n’a aussi complètement présenté son caractère fondamental d’inversion. Sa marche en avant si impétueuse, que nous nommons “surpuissance”, engendre une production tout aussi ébouriffante d’“autodestruction”. C’est l’équation invertie par excellence : surpuissance = autodestruction.

Le Système et les délices de l’autodestruction

Nous écrivons plus haut, dans le dernier point consacré à une appréciation plus nette de l’“inversion” qui mène toute cette aventure, et tous les actes du Système, à propos de la nomination du procureur Mueller pour conduire l’enquête sur l’Objet-Simulacre-Terriblement-Identifié qu’est Russiagate : “...autre signe d’inversion dans le choix par le Système des personnes chargées des missions les plus importantes dans cette entreprise également de complète inversion de destruction du président Trump, jusqu’ici sans la moindre amorce de réussite au contraire des habitudes du Système dans ce genre d’entreprise.” Il est vrai en effet que le Système n’a plus du tout a aujourd’hui l’habileté, l’à-propos et l’efficacité qu’il a toujours montrées pour l’élimination sous diverses formes de personnalité prétendant ou assumant la fonction suprême, et qu’il (le Système) jugeait gênantes ou trop peu sûres...

(Cette habileté qu’il montra en 1944 pour écarter le vice-président Wallace promis à remplacer Roosevelt mourant, en 1963 pour pulvériser radicalement le président Kennedy, en 1974 pour chasser le président Nixon, en 1980 pour interdire un deuxième mandat au président Carter, en 2000 pour piéger le vice-président Gore au profit de GW Bush... Où l’on voit que les étiquettes et les orientations politiques de convenance [conservateurs, progressistes, etc.] ne comptent guère, ce sont des personnalités identifiées comme gênantes en fonction de critères-Système et de la logique-Système et rien que cela qu’on expédie et élimine tous ces personnages, – sans le moindre souci d’idéologie ou d’orientation politique.)

Au contraire de cette habileté, nous voyons depuis quatre ans un extraordinaire manque d’habileté, presque jusqu’à la perfection, déployé par le Système vis-à-vis de Trump. Ce candidat aurait dû être  être “traité” d’une façon ou l’autre, avec un moyen ou l’autre, selon la logique du Système dès juillet 2016 et sa nomination comme candidat, et bien plus encore en novembre 2016 avec sa victoire. L’extraordinaire incompétence des “grrrrands” services, FBI, CIA et leur compère MI6, sortant des rapports bidonnés, des accusations mal fagotées, des témoignages à mourir de rire de diverses escort girlspour crocheter Trump, a été l’une des grandes marques de l’effondrement grotesque des capacités du Système affublé de son très-seyant masque de DeepState (pourquoi pas celui du Joker ?)

Il était alors évident, en fonction du personnage que paraissait être Trump, que cette fameuse habileté-Système pouvait être utilisée avec bonheur pour en faire un parfait exécutant du Système. Le narcissisme de Trump et sa vanité proverbiale, et puis ses faiblesses devant les apparences et ses incompétences politiques, etc., tout cela laissait toutes les possibilités pour trouver des arrangements. On pouvait aisément envisager des arrangements où l’aspect central de la personnalité de Trump pouvait être satisfait sans compromettre les grandes lignes d’action du Système, et surtout, – c’est la principale de ces “lignes d’action”, – en conservant la stabilité du système de l’américanisme et du pouvoir qui sont la condition de l’efficacité de l’action.

Ce modus operandi était d’autant plus concevable que l’on sait très bien que nombre de politiques de Trump répondent parfaitement aux vœux du Système, notamment sa politique commerciale agressive, son mépris des normes internationales ; ses habitudes de pression sans la moindre retenue sur nombre de pays souverains ; ses initiatives de “désengagement” qui ne sont que des simulacres de communication et n’empêchent en rien l’interventionnisme de se poursuivre partout ; son soutien à des dépenses d’armement renforcées et augmentées, etc. On comprend comment un peu d’habileté et de contrôle de la situation et du personnage aurait pu en faire un parfait exécutant du Système tout en conservant intactes les structures fondamentales du pouvoir à Washington D.C.

...Mais entretemps, Washington D.C. était devenu “D.C.-la-folle”. C’était le “grain de sable divin” que le Système n’avait pas prévu.

L’on peut alors se demander si Trump lui-même n’est pas, sans qu’il le sache, sans qu’il le veuille, sans qu’il l’imagine une seconde, – Grand Dieu, non ! – si Trump n’est pas, lui, ce “grain de sable divin”. Cela ne lui vaudra ni considération particulière de notre part, ni reconnaissance de la métahistoire dans ce sens, mais le simple constat une fois de plus que, vraiment, “les voies du seigneur sont impénétrables”.

Ce qu’a réalisé Trump sans le vouloir une seconde ni conduire une stratégie à ce propos, c’est de semer un incendie extraordinaire de puissance, de rancune, de colère, de mépris, de haine, de fureur aveugles à son encontre, ôtant à ses adversaires qui auraient dû tenir en substance leur rôle des zombieSystème exécutant les consignes de Système, – cette habileté justement, – toute capacité de le faire, se laissant emporter tempêtueusement par un affectivismepoussée jusqu’à la démence, jusqu’à l’irresponsabilité totale, jusqu’à la fantasmagorie dans leur perception de leur politique et des intérêts du Système qu’il faut savoir défendre.

Il faut bien avoir à l’esprit que ce n’est pas Trump qui a suscité tout cela, comme on élabore une stratégie voulons-nous dire (Trump est incapable d’élaborer une stratégie). C’est la réaction des zombieSystème, et finalement du Système lui-même, avant même que Trump ne les justifiât, qui est cause du désordre ; tout cela fut pris d’une complète démence, hybris-Systèmene supportant pas l’hybris supposé de Trump, qui enferma Trump dans son rôle de producteur de haine et de fureur contre lui-même, provoquant en retour chez lui-même des réactions extrêmes, irrationnelles. Ainsi Trump devint-il rétif à tout contrôle, devenu élément totalement incontrôlable, un antiSystème sans le savoir et en s’en fichant complètement.

Le résultat est un formidable champ de ruines que constitue le mandat de Trump, – et champ de ruines pour le Système d’abord ; bien plus que pour Trump qui désormais vit dans le désordre comme un très gros poisson dans l’eau saumâtre du marigot de Washington. Au-delà, sur ce champ de ruines fumant et pétaradant des folies humaines, avec cette pantomime de la destitution enchaînant sinon interférant sur les présidentielles (USA-2020) les plus folles, et de très loin, qu’aient jamais connues les États-Unis, on voit s’esquisser la perspective d’une bataille encore plus titanesque, de la sorte où des empires parmi les plus grands qu’on ait vus se sont effondrés dans la dérision, la néantisation et le ricanement d’une métahistoire qui n’en attendait pas tant, et si vite.