Interférences de la crise ukrainienne sur la sécurité nationale US

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Interférences de la crise ukrainienne sur la sécurité nationale US

La vaste question des sanctions antirusses aux USA a déjà perdu la belle unité technique et politique que l’administration Obama entendait imposer, toujours d’apparence méthodique comme voudrait paraître son chef. Le désordre s’installe, avec les interférences des pouvoirs législatif (le Congrès) et judiciaire. Le cas est d’autant plus remarquable qu’il touche nécessairement des questions importantes, de l’ordre de la sécurité nationale, parce que c’est ce domaine qui fait un faux-nez idéal, qui donne à ces centres de pouvoir la pompe de l’argument patriotique (c’est-à-dire l’argument de tactique politicienne chez ces gens). Le résultat, outre le désordre, est de mettre en évidence certaines faiblesses technologiques et autres des USA, et, d’une façon plus général, la différence des conceptions russe et américaniste à cet égard.

• Le premier des deux cas concerne les lanceurs russes que les USA utilisent pour leurs tirs dans l’espace, et pour lesquels ils n’ont pas de substitut (voir le 7 avril 2014), mais aussi et plus précisément dans ce cas, la tentative en cours entre une association contractante US (Boeing-Lockheed Martin regroupés sous le sigle ULA pour United Launch Services) de développer pour l’USAF un lanceur US (l’Atlas V) équipé de propulseurs russes. Le projet a été conclu entre les contractants US et le fabricant russe NPO Energomash, et s’appuie essentiellement sur le moindre coût et l’efficacité, et la simplicité technologique du matériel russe. Mais cette décision vient d’être bloquée par un jugement, notamment au nom de la sécurité nationale, et du fait bien entendu que la Russie est impliquée. La décision du juge Susan G. Branden vient après une requête de la société californienne SpaceX, qui argue du principe de la concurrence qui n’aurait pas été respectée, et bien sûr au profit d’un matériel russe dans la situation politique actuelle. L’argument s'enrichit de l'observation de sanctions déjà prises (contre Rogozine personnellement, en tant que responsable du secteur de l’industrie de défense et individu peu recommandable pare que trop souvent ironique à l’encontre de la puissance américaniste). Le fondateur de SpaceX, Elon Musk, déclare que sa protestation vient essentiellement du fait que le contrat, portant sur 26 moteurs, n’a pas fait l’objet d’une compétition : «This is not SpaceX protesting and saying these launches should be awarded to us. We’re just saying these launches should be competed. If we compete and lose, that’s fine. But why would they not even compete it? That doesn’t make sense.» (Dans Russia Today, le 1er mai 2014.)

«On Wednesday evening, Judge Branden agreed, ruling that, "in the court’s judgment,the public interest and national defense and security concerns that underlie Executive Order 13,661 warrant issuance of a preliminary injunction in this case,” thus prohibiting both the US Air Force and ULA “from making any purchase from or payment of money to NPO Energomash.” Judge Branden’s decision also prohibits the Air Force and ULA from doing business with any entity, whether governmental, corporate or individuals, that is controlled by Russia’s deputy prime minister, Dmitry Rogozin — just one of the latest foreign officials sanctioned by Washington as a result of Moscow’s perceived role in the unrest that continues to plague eastern Ukraine.»

• Le deuxième cas concerne des hélicoptères russes Mil Mi-17, que le Pentagone doit acquérir sous un contrat déjà signé. Il s’agit de 25 Mi-17, suivant d’ailleurs des commandes précédents du Pentagone portant sur près d’une centaine de Mi-17 en lots successifs depuis 2005, et spécifiquement destinés à l’Afghanistan et aux forces afghanes. Le Congrès veut liquider cette commande de Mi-17, unilatéralement, éventuellement sans payer l’amende de rupture de contrat, selon un comportement absolument illégal et assimilable à une sorte de “piraterie internationale” dont les autorités US, qui défendent avec tant de zèle le droit internationale, sont coutumières au nom bien entendu de l’exceptionnalisme américaniste justifiant unilatéralement le choix du caractère vertueux ou non de tel ou tel acte. Le site RBHL (Russia Beyonf the HeadLines) détaille cette affaire le 30 avril 2014.

«The U.S. Congress is putting pressure on the U.S. military department to cease cooperation with the Russian supplier of military equipment Rosoboronexport, with which the Pentagon is bound by a large contract. [...] The U.S. Department of Defense is asking Congress to be “flexible” and not consider any sanctions against the Russian exporter, as the breach of this contract threatens Washington with a fine of up to $100 million, according to the Christian Science Monitor.

»Sanctions against Rosoboronexport had been imposed during the presidency of George W. Bush, but they were canceled when Barack Obama came to power. Now, the U.S. Congress proposes to terminate the contract without paying any penalty. “In my view, if it’s simply penalties for breaking contracts, let the Russians try to collect from us,” said Senator Blumenthal, who chairs the Senate Armed Services Airland Subcommittee. It is proposed to supply Afghanistan with the American CH-47 Chinook instead of the Russian helicopters (Russia still has to transfer to the U.S. another 21 rotary-wing aircraft)...»

• Le même texte rapporte quelques précisions sur l’extrême satisfaction du Pentagone dans l’utilisation du Mi-17 et de ses diverse caractéristiques. L’expérience du Mi-17, par sa durée et sa constance, peut être considérée comme un test de comparaison de l’efficacité comparée des technologies US et russes, et dans conditions générales d’acquisition... (On comprend l’intervention des lobbyistes des hélicoptéristes US, comme Sikorsky, qui pourraient aller jusqu’à craindre que certains, au Pentagone, puissent songer à des acquisitions d’hélicoptères russes pour des unités US elles-mêmes, – des hélicoptères russes plus efficaces que les équivalents US, et d’un prix de deux à trois fois moins élevé.)

«As shown by a special analysis, carried out by the U.S. Central Command in 2005, the use of the Mi-17 in Afghanistan turned out to be the most effective and efficient compared to other helicopters. The Mi-17 is still twice cheaper than its American and European analogues with comparable characteristics, despite the fact that the price of each helicopter is steadily increasing, having already exceeded $15 million. Due to its technical characteristics, the Russian rotorcraft is very reliable and is not as complicated as the American helicopters. According to the soldiers fighting in Afghanistan, the Mi-17 can be repaired even using improvised materials, such as cans of soda. Of course, modern American helicopters cannot be fixed in such a way...»

• Ces remarques portent à la fois sur la question des sanctions au cœur de la crise ukrainienne et sur la question du technologisme tel que développé par les USA (le bloc BAO) d’un côté, par les Russes de l’autre, et d’ailleurs correspondant à des mentalités différentes et à des influences contraires. Elles peuvent être complétées, du point de vue du technologisme par un article très récent de Bill Sweetman, de Aviation Week & Space Technology, repris le 28 avril 2014 par The Daily Beast, pour une fois utile, et portant sur notre fameux JSF. Bill Sweetman, dont la compétence est unanimement reconnue et respectée, expédie tout simplement la caractéristique et la vertu essentielles, la raison d’être du JSF, présentés comme l’“arme absolue” de la merveille, aux poubelles de l’histoire de l’absolu du technologisme. Sweetman nous précise qu’il s’agit d’un radar d’une technologie déjà connue et expérimentée, qui est totalement “immunisé” contre la technologie furtive, que les Russes et les Chinois ont désormais en service des systèmes très au point intégrant ces radars. Cela implique que le JSF, lorsqu’il volera en opérations, – s’il vole jamais en opérations, – devra être accompagnée d’une couverture d’avions de guerre électronique, qui n’utilisent absolument pas les technologies furtives, rendant ainsi totalement inutile les technologies furtives, par ailleurs inefficaces, du JSF. (Pour ces avions de guerre électronique, principalement le “fameux” F/A-18G Prowler que Boeing propose [voir le 28 avril 2014] à la place des JSF, – et ceci expliquant cela, certes.) Le triomphe est total, sans un pli...

«America’s gazillion-dollar Joint Strike Fighter is supposed to go virtually unseen when flying over enemy turf. But that’s not how things are working out. The F-35 Joint Strike Fighter—the jet that the Pentagon is counting on to be the stealthy future of its tactical aircraft—is having all sorts of shortcomings. But the most serious may be that the JSF is not, in fact, stealthy in the eyes of a growing number of Russian and Chinese radars. Nor is it particularly good at jamming enemy radar. Which means the Defense Department is committing hundreds of billions of dollars to a fighter that will need the help of specialized jamming aircraft that protect non-stealthy—“radar-shiny,” as some insiders call them—aircraft today.

»These problems are not secret at all. The F-35 is susceptible to detection by radars operating in the VHF bands of the spectrum. The fighter’s jamming is mostly confined to the X-band, in the sector covered by its APG-81 radar. These are not criticisms of the program but the result of choices by the customer, the Pentagon. To suggest that the F-35 is VHF-stealthy is like arguing that the sky is not blue—literally, because both involve the same phenomenon... [...]

»The counter-stealth attributes of VHF have been public knowledge for decades. They were known at the dawn of stealth, in 1983, when the MIT’s Lincoln Laboratory ordered a 150-foot-wide radar to emulate Russia’s P-14 Oborona VHF early-warning system. Lockheed Martin’s Fort Worth division—makers of the F-35—should know about that radar: they built it. [...]

»Last August, at an air show near Moscow, I talked to designers of a new, highly mobile counterstealth radar system, now being delivered to the Russian armed forces. Its centerpiece was a 100-foot-wide all-digital VHF AESA, but it also incorporated powerful higher-frequency radars that can track small targets once the VHF radar has detected them. More recently, however, it has emerged that the U.S. Navy is worried because new Chinese warships carry the Type 517M VHF search radar, which its maker says is an AESA.

»None of this is to say that stealth is dead, but it is not reasonable to expect that the cat-and-mouse game of detection and evasion in air combat has stopped, or that it ever will. [...] [...T]he threat’s demonstrated agility drives home the lesson that there is no one winning move in the radar game. Excessive reliance on a single-point design is not a good idea, and using fictitious secrecy to quash the debate is an even worse one.»

Cet ensemble de remarques permet d’observer de considérables interférences rassemblant des crises diverses, avec des effets d’interconnexion dans tous les sens. L’on part ainsi des sanctions dans le cadre de la crise ukrainienne choisies, comme d’habitude, comme “arme” principale par les USA, et aussitôt entrées dans une zone de désordre avec les interférences du Congrès, nécessairement extrémiste, irresponsable, complètement soumis à la corruption du Corporate Power, mais aussi, fait nouveau, avec les interférences de la justice. L’on découvre aussitôt 1) que ces sanctions affectent le domaine essentiel de la sécurité nationale, et 2) qu’elles produisent des contre-effets aux USA avant même d’affecter vraiment la Russie, si elles affectent la Russie.

Des experts russes jugent néanmoins que, dans ce domaine de la sécurité nationale, les USA vont attaquer les exportations d’armement russes, notamment en faisant pression sur les pays acheteurs. C’est le cas du major général Pechourov, devenu analyste indépendant, qui est cité dans l’article de RBHL référencé plus haut. Pechourov estime que les USA vont effectivement abandonner le contrat des Mi-17, et il poursuit :

«The Americans have a very serious approach to the issue of sanctions. They are now carefully studying the geography of our defense deliveries, and it is possible that Washington will attempt to bring pressure on those countries that traditionally buy our weapons,” he said. So it could become a real problem to sell the refused helicopters somewhere else. For now, the effects of sanctions, if adopted by the American side, will not be too noticeable in Russia, but in a few years they will become quite painful...»

Cet avis d’expert prend en compte une situation institutionnelle conventionnelle qui assume comme deux faits avérés, 1) la toute-puissance d’influence des USA et leur capacité d’en user habilement, et 2) le prestige et l’efficacité de la technologie US permettant de proposer des solutions alternatives aux nations que ces mêmes USA décourageraient d’acheter du matériel russe. Les deux affirmations sont hautement contestables, d’une façon générale qui est de plus en plus évidente pour l’influence des USA, au travers des différents exemples examinés plus haut pour ce qui est des technologies, – c’est-à-dire du technologisme. Ce que nous voyons confirmée à cet égard, c’est la valeur d’adaptation et de souplesse d’emploi des technologies russes, conçues souvent avec une rusticité correspondant aux exigences des conditions naturelles d’emploi, avec des effets positifs sur les capacités, l’usage, les coûts, etc. De l’autre côté, l’exemple pour l’instant théorique du JSF, – et sans doute théorique pour longtemps tant cet “avion” est cloué au sol par ses innombrables capacités et merveilleuses qualités, – montre combien le technologisme extrémiste des USA peut entraîner vers des impasses catastrophiques au niveau opérationnel, surtout lorsque le sujet est le seul avion de combat envisagé pour le XXIème siècle, et qu’il se trouve ainsi “à découvert” devant des technologies pourtant connues depuis longtemps. Tout cela va peser lourds dans les tentatives des USA de faire se détourner un certain nombre de pays clients de la Russie de leur fournisseur, et plutôt en attirer d’autres vers les équipements russes. Si l’on y ajoutait, par exemple, des restrictions sur des ventes d’armes à la Russie dans le cadre des sanctions dans la crise ukrainienne, si une affaire comme le contrat franco-russe des porte-hélicoptères et navires de commandement classe Mistral se terminait par une décision française de ne pas livrer, s’ajouteraient aux conséquences catastrophiques à court terme pour la France des conséquences à long terme de manque de confiance des pays acheteurs dans la fiabilité des exportateurs occidentaux si complètement soumis aux caprices politiques des sanctions décidées unilatéralement.

Cet ensemble général donne par ailleurs une impression extrêmement mitigée sur les habituelles rodomontades du bloc BAO, concernant sa supériorité technologique sur la Russie, en cas d’affrontement militaire. Il s’agit d’une étrange “supériorité” qu’on doit assimiler certainement à l’extrémisme suprématiste de ces pays qui d’ordre quasiment mythique et civilisationnel (voir le 1er décembre 2013), mais qui peut s’avérer absolument contre-productif dans les conditions d’un conflit. Nous aurions alors bouclé la boucle du technologisme et satisfait à l’équation surpuissance-autodestruction qui caractérise toutes les conceptions, tous les actes, toutes les illusions de la politique générale et de la “conquête” du monde que manifeste le bloc BAO.


Mis en ligne le 2 mai 2014 à 10H18